Dimanche soir, le festival limbourgeois a accueilli la rappeuse américaine la plus en vue du moment. Welcome to the jungle…
Après l’insupportable Chappell Roan, qui avait transformé vendredi soir la Main Stage en château gothique (ou devrait-on écrire en salle de torture?), c’est un autre poids lourd de l’industrie américaine qui partageait dimanche la tête d’affiche du Pukkelpop avec les Queens of the Stone Age. Oubliez la pop qui pique, le castlecore et les robes médiévales, Doechii qui s’est autoproclamée princesse des marécages est la nouvelle sensation du hip hop US. Sa mixtape Alligator Bites Never Heal (un clin d’œil à l’un des animaux emblématiques de sa région natale) lui a d’ailleurs valu le Grammy du meilleur album rap de l’année. Récompense que seules deux femmes dans l’histoire avaient eu l’honneur jusque-là de décrocher. En l’occurrence Lauryn Hill (1997) et Cardi B (2019). Excusez du peu.
Aux Grammy, Doechii était aussi notamment en lice avec Sabrina Carpenter, Raye et… Chappell Roan pour la statuette de la meilleure nouvelle artiste. Touche-à-tout, hardworkeuse et ambitieuse, la jeune femme de 27 ans est déterminée à croquer l’industrie à pleines dents. Doechii se présente non sans humour comme la «nouvelle Madonna du hip-hop» et la «Grace Jones de la trap». La presse lui prête la rage de Lauryn Hill, la technique de Kendrick Lamar et l’écriture de Missy Elliott. N’en jetez plus. La coupe est pleine et son entrée sur scène spectaculaire.
Doechii s’impose comme une véritable icône de la mode. En mars passé, elle a enflammé le Grand Diner du Louvre, un événement de levée de fonds organisé parallèlement à la fashion week parisienne. Pas de robe Valentino haute couture incrustée de joyaux ou de look Schiaparelli serti de boutons dorés dimanche au Pukkelpop. La panthère de Tampa débarque plutôt en reine de la jungle dans un décor verdoyant et des projections luxuriantes. Uniquement flanquée de sa DJ Miss Milan mais pas perdue pour un sou sur l’immense podium limbourgeois, Doechii a un solide débit et sait occuper l’espace.
Aujourd’hui adoubée par Kendrick Lamar qui fait sa pub sur Insta, Jaylah Ji’mya Hickmon (son vrai nom) a souffert de harcèlement raciste à l’école (une expérience traumatisante qui l’amena à une tentative de suicide) et a créé le personnage de Doechii, version d’elle-même à la langue acérée et à l’assurance revendiquée, durant ses années collège. Sportive et jusqu’au-boutiste, elle s’est formée aux arts de la scène, au théâtre, aux claquettes, à la gymnastique et a commencé à se faire une réputation en 2016 sur Soundcloud sous le pseudo Iamdoechii.
Bête de scène et thérapeute new age (paraît qu’elle sort parfois les bâtons de sauge), Doechii a explosé avec le tube Yucky Blucky Fruitcake, célébration sans concession de l’homosexualité devenue virale sur TikTok en 2020. Elle est ensuite devenue la première rappeuse signée par la prestigieuse écurie Top Dawg Entertainment (Schoolboy Q, SZA, SiR…), qu’elle n’hésite pas à tancer (Profit). Elle a assuré la première partie de Beyoncé sur son Renaissance World Tour ou encore tourné avec Doja Cat. Doechii a aussi collaboré avec du beau monde (Tyler, The Creator, SZA, Kodak Black, Missy Elliott…) et est apparue en featuring pour Katy Perry, Ravyn Lenae et Janelle Monáe.
«Rappeuse TikTok et actrice YouTube à temps partiel», comme elle ironise sur Stanka Pooh, l’Américaine est un phénomène. Pas besoin de danseurs et de gadgets… Un verre de vin à la main sur son bout de podium qui monte et qui descend, la rappeuse de Tampa en Floride («une petite ville pourrie remplie de caravanes») a impressionné pour son tout premier concert en Belgique. Bien aidée par sa présence et son flow d’une précision assassine, la Californienne d’adoption mélange les codes d’aujourd’hui avec ceux du hip-hop des années 1990. Les moments plus pop et r’n’b (ceux en fait où elle chante davantage qu’elle rappe) ont beau être un peu encombrants voire carrément chiants, Doechii a marqué les esprits. Twerk, grand écart et infrabasses à faire bourdonner les tympans… Sur invitation de sa DJ, les festivaliers pour le coup assez mélangés (en tout cas en termes de pyramide des âges) se mettent à fredonner Happy birthday. C’était le 14 août, mais on n’est pas à quelques jours près… Elle a beau avoir déjà été couronnée et compter des centaines de millions de streams, le Pukkelpop a en quelque sorte assisté à la naissance d’une méga star.