Dernières Nuits pour Paul-Henri Wauters: « Les musiciens veulent jouer au Bota, c’est la preuve d’une success story »
Quittant le Bota à la mi-mai, le boss Paul-Henri Wauters parle passé, présent et futur de l’emblématique lieu bruxellois, À la veille des Nuits. Sans oublier les trois concerts de Prince en une folle soirée du printemps 2014. Où il n’était pas là…
“En vacances en Italie, dans les Marches, j’apprends que Prince a -peut-être- l’intention de venir donner un after, voire plusieurs, au Bota. Impossible de prendre un avion pour revenir sur Bruxelles. Donc, tout a dû se régler par téléphone, 250 appels en deux jours et demi. Sans même savoir, jusqu’à la dernière minute, si ça se concrétiserait, alors que tout partait en extra. La sécurité, la technique et le reste, comme les appels des politiques, de la rue de la Loi et autres, qui demandaient une entrée.” Dans un resto à deux pas du Botanique, Paul Henri-Wauters raconte en ce 28 mars ses multiples histoires. Y compris celle du midget mauve US, Monsieur Prince Rogers Nelson, dont l’équipe débarque sur place la veille des performances supposées. Un rien visible, vu l’énorme bus avec le logo géant Prince garé le jour avant l’événement devant le Bota. Forcément, les fans-pisteurs de l’hyper-star attirent la curiosité immédiate. Paul-Henri: “La veille des supposés shows, il y avait déjà 300 personnes qui faisaient la file à l’extérieur. Faut bien dire que tout ça n’était pas vraiment contrôlé par nous, pas plus que le prix d’entrée à l’Orangerie. Les trois prestations à 20 heures, 22 heures et minuit, 100 euros l’entrée, intégralement au profit de l’artiste. J’ai eu un objectif, celui de ne pas perdre de l’argent. Et malgré tout, d’être content et fier que Prince nous choisisse.”
Paul-Henri (1960) est fils de la classe moyenne prolifique -sept enfants- du nord de Bruxelles. Maman est opticienne et papa vend des projecteurs cinés, baladant les copies de 16 mm dans les écoles et ailleurs. Lui, PHW, multiplie établissements catholiques, ou pas, et diplômes. Une main abîmée par accident n’empêchera pas l’attirance éternelle du piano -plus des études de musicologie et d’anthropologie- qui donneront bien plus tard, toutes ces collaborations cross-over Bota. Entre autres, Tindersticks et Arno, dans des configurations orchestrales divergentes. “Arno m’a dit que son concert avec une fanfare avait été, sous le chapiteau du Bota dans les années 90, incluant un tambour des Gilles de Binche, l’un des plus beaux moments musicaux de sa vie.” Sans oublier ces créations mixtes avec Pascal Comelade, Scylla/Pamart, Archive, Chamfort et Burgalat, et le Réunionnais Danyèl Waro.
Tu arrives au Botanique en 1988. Pourquoi?
Paul-Henri Wauters: Après un boulot dans un cabinet ministériel (PSC à l’époque, aujourd’hui Les Engagés. “Couleur politique” de Paul-Henri, sympathisant du parti sans y être inscrit, NDLR), j’arrive au Botanique en tant qu’assistant du secteur musique-audiovisuel. En 1991, je deviens chef du service musique, avec un premier festival aux Halles de Schaerbeek, puis directeur général adjoint en 2007, et directeur tout court dès 2018.
À quoi ressemblent alors ces anciennes serres?
Paul-Henri Wauters: Les plantes, venant le plus souvent du Congo (belge) ont été déplacées avant la Seconde Guerre mondiale vers Meise, en périphérie bruxelloise. Quand j’étais gamin, j’allais jouer au foot au Botanique. Le bâtiment appartenait alors à la Belgique. Et puis, suite aux lois fondant les communautés, la Communauté française a eu le choix entre l’Ancienne Belgique et le Botanique. Prenant cette dernière, dès 1984, comme un futur centre interdisciplinaire. Il s’y passe des travaux de rénovation importants, comme ceux que l’on va faire maintenant, où on va agrandir l’Orangerie, dès l’été 2024, augmentant sa capacité jusqu’à 1 100 places. Après le relifting de la Rotonde en janvier prochain, qui devrait pouvoir accueillir 400 personnes. Avec une hauteur doublée dans les deux lieux.
Une nécessité?
Paul-Henri Wauters: En 40 ans, le Botanique a connu un véritable changement archéologique industriel et technologique: on a dû modifier cinq ou six fois le système de câblage. Là, on parle de 5-6 futurs millions d’euros d’investissement, essentiellement financés sur fonds propres par le Botanique. Dont le budget annuel tourne autour de 5,5 millions d’euros, avec 3,8 millions de financement FWB et des aides ponctuelles de la Région sur les Nuits.
La concurrence/collaboration entre le Bota et l’AB tient-elle d’une relation haine-amour?
Paul-Henri Wauters: Non, on a trouvé notre façon de fonctionner, comme un TGV sur ses propres voies. Je regrette que le double festival AB Bota, dix éditions depuis 2007, se soit arrêté, essoufflé avec le temps.
En janvier 2017, une “lettre ouverte” de onze pages était entre autres envoyée à Alda Greoli, ministre de la Culture au sein de la FWB, t’accusant et celle qui est alors la directrice générale du Botanique, ta compagne Annie Valentini, de différents chefs d’accusation. “Harcèlements, conditions de travail apocalyptiques, attitude méprisante…” Une réaction?
Paul-Henri Wauters: Le conseil d’administration a enquêté sur cette lettre anonyme, aussi envoyée au Vif/L’Express, qui a été une réelle souffrance. Il y a eu une enquête sur le bien-être au travail, opérée par une société indépendante liée à la KUL, qui s’est soldée par une confiance dans l’institution et sa direction. La réalité a montré que le Bota se porte mieux que jamais. Et a finalisé un règlement de travail.
Tu as un label politique et Annie Valentini avait celui d’ex-PS: la culture passe-t-elle nécessairement par sa politisation?
Paul-Henri Wauters: Ça a énormément changé en une vingtaine d’années. Je pense que le monde politique respecte ce qui a été fait au Botanique: il n’y a jamais eu aucun “courrier” du genre. Au-delà de mes espérances, et ça, c’est vraiment positif.
Comment se fait la programmation musicale du Bota?
Paul-Henri Wauters: En concertation à trois, moi qui ai la soixantaine, Olivier, quadra, chef musique depuis une année, et Thomas qui a 25 ans. On vit des récurrences: il y a quelques années, c’était le modèle prog-rock, maintenant, on retrouve beaucoup de folk, sous différents formats. Le Bota, l’année dernière, c’est 130-140 000 visiteurs et 820 groupes… J’ai connu l’escalier d’accès en pierre bleue nickel, devenu pratiquement une glissoire. On a dû le remplacer parce qu’il était usé par le passage des spectateurs, limite dangereux.
On sait que les cachets d’artistes ne cessent de grimper. Une réflexion sur cette ascension qui semble sans fin?
Paul-Henri Wauters: Ce n’est pas vraiment nouveau. Entre le concert d’Oasis à l’Orangerie (le 28 novembre 1994) et leurs deux concerts au Earl’s Court de Londres un an plus tard, leur cachet avait été multiplié par 60… En fait, les cachets ressemblent au “modèle” Ryanair: c’est à la demande. On essaie de rester dans le secteur non-marchand et quand on sera à la capacité de 1 100 à l’Orangerie, on arrivera à cette frontière marchand/non-marchand. En adaptant notre ligne éditoriale, importante pour nous. Par exemple, en envisageant des projets de location des salles. Oui, on est parfois dans des logiques de concurrence. Il faut savoir que tous les groupes qui jouent à la Rotonde ou au Witloof Bar sont déficitaires pour nous. Ceux qui remplissent l’Orangerie sont davantage bénéficiaires. Tout cela se fait sur base d’un bordereau appelé costing qui permet d’objectiver ce que coûte réellement un concert. Et qui détaille à l’artiste nos frais, ce que l’on peut espérer en billetterie, ce que l’on propose comme cachet. Et puis ce que l’artiste peut espérer comme supplément si l’on dépasse le “break”. Depuis le Covid, il y a une inflation dans les cachets, notamment via les groupes étrangers. En musique urbaine, qui a le vent en poupe, les tarifs grimpent. Avec l’effet des reports post-Covid.
Un chiffre des cachets déboursés?
Paul-Henri Wauters: Je ne me rappelle pas avoir été au-delà de 10 000 euros pour l’Orangerie, genre Moby, en juin 2011.
Qui va arriver à ta place de directeur général du Botanique?
Paul-Henri Wauters: Je n’en sais rien, la décision sera prise fin avril. C’est un processus auquel je ne participe absolument pas. C’est fait selon les règles de la FWB, qui nous délègue un observateur, avec un jury paritaire de dix personnes, dont je ne fais pas partie. Avec des règles assez strictes. Et le principe de la clé d’Hondt, qui prévoit à chaque nouvelle élection de reconstituer le CA composé de treize personnes, en répartissant les postes selon les résultats.
Quel profil pour ce(tte) candidat(e) qui décroche le poste?
Paul-Henri Wauters: À force d’avoir travaillé dans cette institution, la polyvalence acharnée me paraît naturelle. On doit comprendre tout l’humain, le culturel, le sanitaire, le bâtiment- à travers tous les ingrédients d’une gestion culturelle. Il s’agit d’une équation extrêmement énergivore: le Bota compte quand même 54 temps plein. Et là, quand je vais partir le 15 mai, ce sera pour de bon: je n’aurai plus de rapport avec le Botanique. Il y a des tas de choses, notamment la famille, auxquelles j’aurai enfin du temps à donner.
Tu penses à une continuité Botanique, à des changements?
Paul-Henri Wauters: Vu les quinze dernières années, il me paraîtrait assez normal de continuer à fonctionner dans la même veine. Les musiciens veulent jouer au Bota, c’est la preuve d’une success story, celle d’un porte-avion qui fend les eaux avec une belle vitesse de croisière… On verra bien. J’espère bien que j’aurai les capacités de ne pas m’en occuper. Dans l’espace post-Covid, il faudra aussi tenir compte qu’un même artiste (international) peut être proposé par trois ou quatre agences belges différentes et que c’est le premier qui viendra avec une offre qui décrochera le ou les concerts. Le tout, dans une industrie dont je ressens la tension. Le marché s’est un peu raidi chez les opérateurs privés, ils vont peut-être développer d’autres terrains de rentabilité, comme s’essayer à quelque chose façon les Nuits Botanique. Ce risque doit être mesuré. Y compris sur notre objectif qui comprend aussi l’émergence. Et 40% d’artistes locaux, selon notre contrat avec la FWB. Et puis, pratiquer des prix raisonnables: aux Nuits, on est essentiellement entre 14 et 20 euros.
Les Nuits Bota 2023, pratiquement?
Paul-Henri Wauters: Chaque semaine, on regarde l’évolution des ventes sur la cinquantaine d’événements. Tel groupe vend x billets parce qu’il a sorti un nouveau single, parce qu’une interview est sortie. Ce qui nous intéresse, c’est de voir que la ligne de chaque artiste bouge. Là, on est à un mois de l’ouverture des Nuits à Bozar avec les Belgo-Lituaniens Merope et Catherine Graindorge. Cette dernière est l’une des cinq créations du Bota aux Nuits. Où je pointe aussi la musique contemporaine, dont trois concertos. L’un, avec Bruno Letort, compositeur-arrangeur, va proposer des variations de cordes sur La Solassitude, morceau de Stromae, avec lequel Letort a collaboré, sur son dernier album…Tout cela dégage beaucoup d’énergie positive.
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