Découvrir les sons touaregs d’Etran de l’Aïr aux Feeërieën
Les Touaregs d’Etran de l’Aïr viennent d’enregistrer leur nouvel album à Portland et se produiront le 31 août aux Feeërieën, le festival gratuit de l’AB, de retour cet été dans le parc de Bruxelles.
Dimanche matin. Liège. Jour de Batte. Sur les bords de la Meuse, le lendemain de leur concert au Micro Festival, les quatre hommes bleus d’Etran de l’Aïr s’installent dans un salon cosy de l’hôtel Mercure. Il y a quelque chose d’étrange à interviewer des Touaregs, ce peuple généralement nomade, juste à côté d’un feu de bois décoratif, une cheminée avec des fausses bûches et des fausses flammes. Quelque chose d’encore plus bizarre aussi à questionner des Nigériens alors qu’un coup d’État vient d’ébranler leur pays. Une semaine et demie plus tôt, des militaires membres de la garde présidentielle ont écarté le président élu et le général Tiani s’est autoproclamé chef de l’État. La communauté internationale pisse dans un violon en réclamant le rétablissement de l’ordre constitutionnel et la libération du président renversé, qui n’a ni quitté le pays ni démissionné. Les sanctions économiques, les condamnations et les menaces n’ont pas connu davantage de succès. La situation inquiète et divise dans la région mais les membres d’Etran de l’Aïr (une référence aux étoiles qui brillent au-dessus de ce massif du Sahara) ne veulent rien en dire. Réserve? Timidité? Prudence? Les Touaregs sont souvent des hommes de peu de mots. Et les quatre fantastiques sont des ouvriers de la musique. Ils aiment jouer pour tous les publics. “Tout ce qu’on veut, c’est la paix”, se contentent-ils de commenter d’une voix, douce, discrète. “Ils reviennent d’une tournée aux États-Unis, glisse Paul, leur tourmanager. Et tout ce qu’ils espèrent, c’est que le Niger se porte bien. Ils n’ont pas trop de parti pris politique d’après moi.”
Trois guitares, une batterie. Trois frangins, un cousin. Etran de l’Aïr est un groupe de famille. Une famille de nomades installés dans la région d’Agadez depuis les années 70 pour fuir les sécheresses. Ses membres ont changé mais le projet existe depuis plus de 25 ans. “Au début, c’était nos grands frères. Ils n’avaient qu’une guitare acoustique et une calebasse (ce grand fruit sec qui peut servir de récipient, NDLR) sur laquelle ils frappaient avec une sandale, commente Abdourahamane, le plus loquace de la bande. On les regardait. On les suivait. Ce sont eux qui nous ont donné goût à la musique. Et quand ils ont abandonné, nous avons pris la relève.”
Avant de courir le monde et de le faire danser avec sa transe ensoleillée, Etran de l’Aïr s’est imposé comme une figure incontournable du circuit local des mariages à Agadez. Dans cette ville carrefour de quelque 130 000 habitants, cette cité commerçante et de transit, capitale du rock saharien avec une mosquée vieille de 500 ans, les musiciens se font les dents sur une scène aussi compétitive que lucrative. Les groupes à guitares sont clairement intégrés au tissu social. Ils se produisent à l’occasion de noces, de baptêmes et de rassemblements politiques. Les festivités de mariage durent généralement trois jours, le temps que la jeune mariée soit conduite chez son époux. Les artistes y jouent souvent au moins six heures d’affilée pour des montants avoisinant les 100 000 francs CFA (environ 150 euros) la soirée.
La relève
Etran de l’Aïr a rencontré Christopher Kirkley, le patron du label Sahel Sounds, en 2014, alors que l’Américain était au Niger pour produire le film Akounak, le Purple Rain touareg avec le grand frère Mdou Moctar dans le rôle de Prince… Le groupe lui a immédiatement tapé dans l’oreille. “Il est venu nous voir lors d’un mariage. On en faisait vraiment beaucoup, je dirais trois par semaine. On continue d’ailleurs encore aujourd’hui quand on rentre au pays. À l’époque, nous avions déjà pas mal circulé dans la région et on gagnait déjà notre vie avec la musique. Mais nous n’étions que dans le live. Nous n’avions même pas de cassettes. C’est Chris qui nous a permis d’enregistrer pour la première fois.” D’abord à l’arrache pour le premier album. Avec un seul micro et les habitants du village autour. Puis, pour le deuxième, dans un studio mobile aménagé chez Moussa. Ils viennent de mettre le troisième album en boîte à Portland. Il est à peu près prêt, en phase de finalisation, et devrait sortir l’an prochain. “On reste dans la continuité. Les chansons parlent d’amitié, d’amour, de paix, d’immigration.”
Si le rap a comme chez nous la cote auprès des jeunes Touaregs, les trois frères ont grandi avec de la musique malienne, du soukous congolais, du jazz. “Nos idoles? On écoute Ali Farka Touré, nos frères de Tinariwen. Mais aussi Abdallah ag Oumbadougou. Il a ouvert un centre de formation musicale à Agadez. Pas mal de jeunes y apprennent la musique.”
Ça n’a pas toujours été aussi facile… L’électricité est arrivée tardivement en ville. Il fut ainsi un temps où la musique touareg ne se faisait qu’avec des instruments traditionnels, des générateurs et des batteries. Un temps où les membres de la famille Ibrahim allaient donner leurs concerts à pied, en portant leur sono et leurs guitares sur le dos à travers la brousse, sur 25 kilomètres. Le matériel en plus se faisait rare. “Ils devaient aller chercher leurs amplis en Libye ou au Nigeria, raconte Paul. C’était assez compliqué. Il y avait beaucoup de chemin à parcourir. Le marché de l’occasion est presque inexistant d’après ce qu’ils m’en disent.” “C’était vraiment la galère, se souvient Moussa, l’ancien, aujourd’hui âgé de 41 ans. Je partais en Algérie en voiture. Puis, je devais continuer à pied. L’aller-retour me prenait une semaine. Les choses évoluent. Aujourd’hui, mon fils a 15 ans. Il joue de la batterie, apprend la guitare et donne des concerts avec nous au Niger.” La relève semble d’ores et déjà assurée…
Le 31/08 aux Feeërieën, dans le parc de Bruxelles. Avec aussi The Bug (28/08), Sun Ra’s Space Is the Place 50th anniversary (30/08)…
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