Avec Bēyāh, Damso publie son ultime album. Le point final d’une carrière qui l’a vu passer de rappeur clivant aux textes sexistes à pop star au discours zen invité partout. Tout en restant malgré tout fidèle à lui-même?
C’est le genre de parodie dont le compte Lacrem s’est fait une spécialité. Publiée sur Instagram, la vidéo animée montre Damso arpenter les rues de Bruxelles tel un gangster «silencieux, ténébreux». Jusqu’au jour où sa vie bascule: la mafia bruxelloise lui demande de récupérer de l’argent chez une bande de hippies. Sur place, on lui offre une omelette au gingembre hallucinogène. Sous l’effet des psychotropes, le rappeur voit la lumière. «Peu à peu, il abandonne la violence et réalise qu’au fond, il a toujours été un rasta blanc.»
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Sur le Net, la vidéo a été beaucoup critiquée pour son utilisation de l’IA. Il n’empêche: la plaisanterie illustre bien la transformation de Damso –de rappeur aux outrances verbales assumées à une sorte de sage aux mots pesés. La mainstreamisation du rap a pu aider, mais elle n’explique pas tout. Au moment où il annonce tirer sa révérence, comment expliquer une mutation unique en son genre.
Bruxelles sur la carte
Il y a tout juste dix ans, Damso faisait son entrée en grande pompe sur la scène musicale. Certes, il avait déjà publié en 2014 une première mixtape, Salle d’attente. Mais c’est en apparaissant sur l’album Nero Nemesis de Booba, le génie maléfique du rap français, que Damso va entrer dans la lumière. Le lendemain de la sortie du disque, le patron l’invite même à le rejoindre sur la scène de Bercy. Une année plus tôt, Damso jouait encore avec son groupe OPG sur la scène gratuite de Bruxelles-les-bains…
En 2016, il sort son premier album, Batterie faible. Deux mois après les attentats du 22 mars, ce sera le clip de Bruxelles vie. Entre la Grand-Place et le palais de Justice, Damso explicite son programme: «Je fais dans le « nique ta mère la pute/Fuck ton 2000 salaire brut ».» Le verbe est cru, vulgaire. Les ambiances sombres et pesantes –nwaar, insiste-t-il. «Je suis pas là pour faire la morale», précise-t-il encore sur Débrouillard: «La morale a fait de moi ce que je suis devenu»…
Un an plus tard, Damso est déjà de retour. Ipséité débarque au mois d’avril. C’est le carton. L’album entre directement à la première place de l’Ultratop. En France, il est disque d’or en moins de deux semaines. Il est notamment porté par le single Macarena. Cet été-là, le morceau est partout dans les rues de Bruxelles: dans le tram, sur les banderoles des étudiants grévistes, ou pour accompagner le barbecue du voisin. Un vrai succès populaire, qui passe de moins en moins inaperçu: qui est ce rappeur aux rimes trash, capable de glisser la pire insulte et de citer la Bible dans la même phrase, ou d’intituler son album selon un concept obscur?
Populaire et polémique
En 2018, l’Union royale belge de football pense du moins que Damso pourrait succéder idéalement à Stromae pour composer l’hymne des Diables Rouges, en route vers la Coupe du monde en Russie. C’est oublier que, malgré son immense popularité, Damso reste clivant. Le Conseil des femmes francophones de Belgique monte au créneau, soulignant des paroles «exprimant haine, sévices et violences envers les femmes à un degré qui est franchement stupéfiant». On connaît la suite. Les politiques embraient, l’Union belge doit reculer. Le rappeur prend acte. Cela ne l’empêche pas de publier son troisième album, Lithopédion –nouveau titre à googliser. On y trouve un premier duo avec… Angèle (Silence), et en bonus, le titre Humains, censé avoir été écrit pour accompagner les Diables Rouges.
Populaire mais toujours pas grand public, Damso est donc renvoyé dans la case rappeur sexiste et violent. Soit. Cela ne l’empêche pas d’enfoncer le clou. Notamment avec l’album Qalf, suivi de Qalf Infinity. Auréolé d’une Victoire de la musique (en 2019, pour Lithopédion), il continue d’occuper également le terrain avec une foule de duos, qui seront quasi autant de succès: Dégaine avec Aya Nakamura, Mwaka Moon avec Kalash, God Bless avec Hamza, Rêves bizarres avec Orelsan, Rencontre avec Disiz, etc.
Vivre un peu
Dès 2020, il teasait pourtant déjà un possible départ. Sur les réseaux, il explique alors penser sérieusement à acheter un camping-car, y installer un studio et partir faire le tour du monde. Plus surfeur philosophe que rappeur cherchant une bonne fois pour toutes à «plier le game», Damso se pose, sinon au-dessus du lot, en tout cas à l’écart. Il refuse par exemple de rentrer dans le jeu de Booba, qui ne manque pas une occasion de tacler son ancien poulain.
Il explique aussi avoir lu les autrices féministes –comme Simone de Beauvoir, Bell Hooks et Virginie Despentes– et passe son temps à brouiller les cartes et déjouer les attentes. Par exemple en mettant sa plume au service de chanteurs de variété: le rappeur «bresom» a notamment collaboré avec Louane, Kenji Girac, etc. Délaissant les médias purement rap, il répond aussi de plus en plus souvent aux appels des médias généralistes, trop contents de trouver un relais avec les nouvelles générations. Pour son album surprise J’ai menti, publié l’automne dernier, il donne par exemple une longue interview à France Inter.
Pop life
Pour promouvoir ce qui est annoncé comme son dernier album, Bēyāh, Damso n’a pas sorti non plus de gros single censé chauffer son public. A la place, il a projeté R.E.M., un court métrage de science-fiction, dont il est venu parler sur Brut, au micro d’Augustin Trapenard, présentateur habituel de La Grande Librairie. Sept ans après la polémique Diables Rouges, il est devenu également le nouveau parrain du Sidaction, pour lequel il a écrit le morceau Grand soleil. Succédant à… Pascal Obispo, il a rassemblé autour de lui une quinzaine de stars, de Charlotte Gainsbourg à Eddy de Pretto, en passant par Youssoupha, Juliette Armanet, Medine ou Pomme.
Prophète en son pays –pour la sixième fois, l’Ultratop lui décernait le titre d’artiste belge le plus streamé en Belgique–, Damso est aujourd’hui une pop star comme les autres. Mais sans que sa plume ne se soit totalement adoucie, toujours capable de métaphores salaces. «Je suis un personnage qu’on ne cernera jamais», rappe-t-il notamment sur Bēyāh. Sur ce coup-là, difficile de le contredire…