Dave en pleine introspection, la promenade folk nocturne d’Hillary Woods, une fanfare free jazz ou la réédition d’un disque disco penjabi culte : tous les goûts sont dans la sélection des albums de la semaine
1. Dave – The Boy Who Played The Harp
En deux albums, le rappeur Dave est devenu une immense star en Grande-Bretagne, applaudi à la fois par la critique –Mercury Prize 2020– et le public –qui a placé ses deux premiers disques au sommet des ventes. Passé la Manche, la réputation du Londonien restait cependant encore souvent à faire. En 2023, son EP avec Central Cee a toutefois rameuté un nouveau public (le tube Sprinter). Dans la foulée, Dave a même réussi l’impossible: un duo franglais convaincant, avec le roi hexagonal de la mélo, Tiakola. Titillées, les oreilles francophones qui n’avaient pas encore creusé sa musique ont pu découvrir un rappeur brillant, bataillant pour régler ses traumas personnels. Ceux de David Orobosa Michael Omoregie, né en 1998 de parents nigérians, un temps sans-papier, résistant comme il peut à la violence de la rue, pendant que ses deux grands frères croupissent en prison.
Le titre de son nouvel album fait référence au personnage biblique de David, jouant de la harpe pour apaiser l’esprit tourmenté de Saül. De la même manière, le succès a-t-il servi de baume à Dave? A écouter The Boy Who Played the Harp, rien n’est moins sûr. Produit notamment avec James Blake, ce troisième album est une nouvelle fenêtre sur les questionnements de son auteur. Sur My 27th Birthday, Dave se demande par exemple: «Je veux être un homme bon, mais je veux être aussi moi-même/Et je ne pense pas pouvoir accomplir les deux», tandis que sur Fairchild, il raconte une histoire d’abus sexuel, questionnant sa propre masculinité toxique –«Tout le monde connaît une victime, personne ne connaît un auteur/Suis-je l’un d’entre eux?». Evitant tout effet de manche, se tenant à des mid-tempo rap/R&B nuancés, Dave réussit ainsi à toucher, sans prêcher, remuant le couteau dans la plaie, sans pour autant se laisser aller au désespoir. ● L.H.
Distribué par Universal. Le 6 février à l’ING Arena, à Bruxelles.
La cote de Focus : 4/5
2. Hilary Woods – Night CRIÚ
Après avoir enchaîné deux disques instrumentaux et expérimentaux habités mais austères, Hilary Woods donne à nouveau de la voix et revient au format chanson. Jadis membre de JJ72, groupe indé au sein duquel elle joua de la basse pendant une petite dizaine d’années, la Dublinoise invite à une promenade nocturne dans un monde parallèle, à converser avec les esprits et à laisser le vôtre divaguer.
Inspiré par la renaissance des langues indigènes, les processions et parades de son enfance, la musique irlandaise ancienne, la danse Northern Soul et certaines esthétiques cinématographiques d’Europe centrale, Night CRIÚ fait dans le folk sombre et la dream pop hantée, le slowcore à s’écouter dans les bois. Construite à partir d’un piano, de cordes, de cuivres, d’électronique et de field recording, cette œuvre fantasmagorique s’est offert un brass band, une chorale de gosses et des productions additionnelles de Dean Hurley, la sound designer de David Lynch. Sans doute son meilleur album à ce jour. ● J.B.
Distribué par Sacred Bones/Konkurrent.
La cote de Focus: 4/5
3. Wim Fanfare – Free Music
On savait déjà qu’on pouvait compter sur le label Cortizona pour servir de refuge à quelques passionnants francs-tireurs – de l’électronica-dada de Céline Gillain aux paysages atmosphériques de Dienne. L’enseigne anversoise se lance aujourd’hui également dans un passionnant travail d’archivage.
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Free Music rassemble une série d’enregistrements du collectif jazz fondé en 1975, autour du pianiste Fred Van Hove, du percussionniste Ivo Vander Borght, et des saxophonistes Cel Overberghe et André Goudbeek. A l’époque, les musiciens et leurs camarades entendent protester contre la différence de cachets entre Américains et Européens, invités au Jazz Middelheim festival. Ils décident alors de lancer leur propre événement dans les rues d’Anvers, où leur collectif parade entre musique de fanfare et anarchie free jazz. Il est aujourd’hui résumé dans une compilation de sept morceaux complètement foufous, entre effusion punk, délire bruitiste et euphorie de kermesse. Pour les amateurs de Sun Ra, Moondog ou Irreversible Entanglements.
Distribué par Cortizona
La cote de Focus : 3,5/5
4. Mohinder Kaur Bhamra – Punjabi Disco
C’est l’histoire improbable et la réédition providentielle d’un trésor quadragénaire. Considéré comme l’un des premiers albums de dance électronique asiatique britannique mais à l’époque tiré à seulement 500 exemplaires, Punjabi Disco est longtemps resté introuvable. Sauvée de l’oubli par la redécouverte de ses bandes originales en 2020, l’oeuvre de Mohinder Kaur Bhamra est aujourd’hui rééditée et va rapidement devenir un incontournable dans toutes les discothèques qui aiment danser le monde et groover oriental.
Enregistré à Londres par Mohinder et ses fils au rang desquels Kuljit Bhamra, futur pionnier du bhangra (style de musique et de danse folklorique indiennes), Punjabi Disco mélange les pattes d’eph, le funk, l’acid house et des mélodies folkloriques pendjabi dans un jouissif foutoir vintage. Née en 1936 en Ouganda, Bhamra n’a pas juste joué les pionnières du dancefloor underground. Elle a aussi encouragé les femmes des Indes britanniques à participer à des danses traditionnelles et à des célébrations dont elles étaient exclues. Sorti en 1982, ce disque ici assorti de remixes signés Mystic Jungle, Danger Boys, Psychemagik ou encore Peaking Lights aura fière allure à côté de vos William Onyeabor. Irrésistible. ● J.B.
Distribué par Naya Beat Records.
La cote de Focus : 4/5