Dans l’œil de Fifou, le photographe n°1 du rap français
De PNL à Booba, le photographe Fifou a signé quelques-unes des pochettes les plus iconiques du rap français. Alors qu’il vient de publier Archives, rétrospective de 25 ans de photos, et avant son passage au prochain Rap Book Club, à Bruxelles, ce mardi 19 mars à l’Espace Magh, Fifou commente quelques-uns de ses travaux les plus emblématiques.
Tuerie, Papillon Monarque
Fifou : “C’est vraiment une pochette qui s’est faite au feeling. En fait, Tuerie avait déjà réalisé sa cover avec un concept bien établi. Le résultat était vraiment très beau. Mais on avait quand même encore un doute. Avec l’équipe de Foufoune Palace, ça dépasse le simple cadre professionnel. On est vraiment très proches. Donc, ce n’est pas difficile de se dire les choses en toute transparence. En l’occurrence, on n’était pas encore vraiment sûrs de notre coup. C’est quand on a fait un shooting pour les photos de presse qu’on a eu une espèce de déclic. J’avais photographié Tuerie du dessous, avec le visage un peu caché par cette veste assez formidable. Il y avait vraiment quelque chose à exploiter. Mais c’était un cliché en noir et blanc, en argentique. Et on trouvait ça un peu triste. Surtout qu’il y avait aussi un code couleur qui avait été décidé, autour de l’orange. On a alors décidé de refaire la photo, en ajoutant le papillon sur l’épaule. Ce qui donne ce contraste entre la fragilité du papillon et le grosse veste qui ressemble presque à une armure. Au final, pour moi, c’est vraiment le genre de pochette que j’aime, minimaliste, et qui va droit au but.”
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Aya Nakamura, Nakamura
Fifou : “J’ai réalisé les pochettes de ses trois albums: Nakamura (2018), Aya (2020) et DNK (2023). Sur la première, l’équipe avait déjà mis au point une direction artistique. Il fallait en faire une sorte de guerrière un peu à la Kill Bill. D’où le jaune et toute une série de photos où elle manipule un sabre. On a gardé cette photo de profil. Avec ses cheveux bleus sur le fond jaune, c’est devenu quasi la charte graphique en elle-même du projet. Pour DNK, il s’agit d’un cliché pris au bout d’un longue journée de shooting. Pour rigoler, Aya a enfilé cette cagoule Jacquemus. Au final, c’est celle qu’on a conservé. À nouveau, c’est très simple et minimaliste. Mais même en cagoule, Aya reste charismatique (rires). Elle symbolise bien une sorte de force tranquille assumée. C’est une vraie boss.”
Frenetik, Couleurs du jeu
Fifou : “Frenetik fait partie des artistes que j’ai démarchés. Déjà son travail avec Argo sur son premier clip avait mis une claque à tout le monde. Puis j’adore son écriture, sa prestance. C’est quelqu’un qui avance de manière très parcimonieuse. On a enchaîné pas mal de rendez-vous pour imaginer la pochette de Jeu de couleurs et puis Couleurs du jeu. Avec l’envie de garder quelque chose d’assez sombre, à ras du bitume, mais avec une touche colorée. Sur Couleurs du jeu, par exemple, il est presque entouré d’un arc-en-ciel de durags, un peu comme une palette de peinture… En général, le rap belge me touche énormément. Des gens comme Hamza, Damso, ou plus loin Stromae ou même Angèle. Souvent, les Belges travaillent un peu comme les Anglais: avec une longueur d’avance, et un point de vue et des partis pris visuels très forts. Je me sens par exemple très proche du travail de Romain Garcin (auteur de pochettes pour Damso, Isha, Caballero & JeanJass, etc., NDLR), qui est aussi un bousillé de cette culture, et un passionné d’images, bien au-delà du rap -que ce soit l’impressionnisme, les affiches de film, le pop art, etc.”
13 Block, Blo
Fifou : “Plus ça va, plus j’aime la mise en scène. À la base, je viens de l’école du photomontage. Mais depuis une dizaine d’années, j’essaie de me détacher de Photoshop. J’ai envie de faire un peu mon David LaChapelle, en travaillant avec des grosses équipes, des stylistes, des scénographes, des électros, etc. Pour cette pochette en particulier, j’avais envie de jouer sur le contraste. Quand j’avais entendu le morceau Faut que, j’avais été marqué par cette phrase qui revenait en boucle, “Faut que je brille”. J’ai tout de suite imaginé quelque chose de luxueux dans la crasse. À Versailles, vous avez tous ces lustres éclatants. Je me suis dit que c’était ça qu’il fallait ramener. Ça n’a pas été simple. C’était un lustre de plus de 2 mètres, qu’on a fait venir d’Amsterdam, et qu’il a fallu installer sur un décor abandonné, sans électricité. Mais chaque photo qu’on a prise ce jour-là était puissante. On a gardé celle où le groupe est un peu à l’arrière-plan, en train de se préparer, et comme ils n’avaient pas de loge, ils attendaient là. Mais on trouvait ça plus fort. La vraie vedette, au fond, c’est le lustre. Merci d’ailleurs à 13 Block d’avoir accepté, pour le bien du concept. C’est le genre de chose qui n’est pas facile à imposer, surtout quand c’est votre premier album.”
Dinos, Imany
Fifou : “Le noir et blanc est vraiment quelque chose qui m’inspire énormément, notamment pour son rendu un peu intemporel. Puis il souligne ma passion pour l’argentique. Il n’y a pas mieux pour faire du beau N/B, en particulier, le moyen format. À chaque fois, je suis fasciné par ce grain. À la limite, on dirait presque du fusain. Avec Dinos, on a tout de suite décidé de travailler en noir et blanc. Par contre, la pochette n’était pas du tout censée être celle-là, mais un portrait de Dinos, beaucoup plus simple, shooté en studio. En fait, l’artwork est un “lost film”. J’avais remis la main sur une pellicule qui traînait au fond de mon sac. Je l’ai envoyée au labo. Et dans les clichés qui sont revenus, il y avait celui-là, avec Dinos entouré de ses potes, et qui tient ce gamin, avec ce sparadrap “futur” collé sur lui. Je pense qu’il nous a porté chance quelque part. On le retrouve d’ailleurs plus tard, sur la pochette de Stamina.”
SCH, Jvlivs
Fifou : “Grosse expérience. Parce qu’au-delà de la pochette, j’ai aussi corealisé les clips et le court métrage. SCH m’a vraiment donné les clés pour m’occuper de toute la direction artistique. Du coup, on s’est fait un petit kif et on est parti shooter en Italie, à Palerme (dans la villa où fut tourné Le Parrain III, NDLR). Avec SCH, on a vraiment cette passion commune pour le pays et puis pour tous ces films qui nous ont marqués, ceux de Scorsese, Coppola, ou même la série Gomorra. Donc on s’est retrouvés là pour emmagasiner un maximum de choses. Entre chaque prise des clips, on avait cinq, dix minutes pendant lesquelles j’en profitais pour capturer SCH sous toutes les lumières possibles. On a choisi cette photo de SCH, flamboyant, avec ce manteau de fourrure, à côté de la fontaine. Ça résumait bien l’ADN du projet qui était très cinématographique.”
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