D’Angelo, figure aussi discrète qu’essentielle des musiques noires américaines, est décédé mardi, à l’âge de 51 ans. Il n’a eu besoin que de trois albums pour remuer en profondeur les canons de la soul.
D’Angelo s’est éteint ce mardi 14 octobre, a annoncé sa famille. Agé d’à peine 51 ans, il est décédé des suites d’un cancer du pancréas. Musicien discret, auteur d’à peine trois albums officiels, il n’avait pas eu besoin de plus pour bouleverser en profondeur la musique noire américaine. Il suffit d’ailleurs de lire les réactions qui n’ont pas manqué d’affluer depuis l’annonce de sa disparition – de Tyler The Creator à Beyoncé en passant par Nile Rodgers.
Né le 11 février 1974, Michael Eugene Archer de son vrai nom a grandi du côté de Richmond, dans l’Etat de Virginie. Fils de pasteur pentecôtiste, il a baigné dans la musique dès son plus jeune âge, chantant et jouant à l’église, avant de former ses premiers groupes (Three of a Kind, Michael Archer and Precise, etc). A l’âge de 19 ans, il débarque à New York et signe son premier contrat pour le label EMI. Le temps de se faire la main – il pond notamment le tube U Will Know pour le super groupe Black Men United (Usher, Boyz II Men, Tony ! Toni ! Toné !, etc) -, et il sort son premier album.
Publié en juillet 1995, Brown Sugar est un premier geste fort. A rebours des productions R&B/New Jack de plus en plus digitalisées des années 80-90, D’Angelo mijote une musique organique et lascive. A ce titre, Brown Sugar sera considéré comme l’une des pierres angulaires du courant neo-soul : un mouvement qui injectera dans la musique soul-funk des années 60-70, à la fois la modernité du hip hop et la chaleur du jazz, porté par des musiciens comme Erykah Badu, Maxwell, ou encore Lauryn Hill .
D’Angelo, crooner ultime
En 98, D’Angelo est d’ailleurs crédité sur le chef-d’œuvre de la précitée, The Miseducation of Lauryn Hill (chant et piano sur Nothing Even Matters). La même année, D’Angelo sort encore le somptueux Live At The Jazz Café. Un disque sur lequel on peut retrouver au chœur, sa compagne de l’époque, la chanteuse Angie Stone – décédée en mars dernier dans un accident de voiture.
C’est toutefois en 2000 que le statut de D’Angelo prend une toute autre dimension. Avec Voodoo, il sort un classique instantané, album au groove long en bouche. Mis en boite au mythique studio Electric Lady, il a été enregistré quasi live sur du matériel vintage, produisant des textures d’une profondeur inouïe – essayez de résister à la moiteur hypnotique de The Line ou au funk orgastique de Chicken Grease. Intemporel, Voodoo réussit à se mettre dans le pas de ses maîtres – Stevie Wonder, Prince, Marvin Gaye -, tout en s’ancrant dans son époque, largement inspiré par le travail du producteur hip hop J Dilla. C’est en outre sur Voodoo que se trouve sans doute le plus gros « tube » de D’Angelo : Untitled (How Does It Feel) est moins une ballade R&B qu’un carburant érotique, supplique lascive dont la célèbre vidéo – D’Angelo chantant face caméra, le torse nu et musclé – transformera le chanteur en icône sexuelle.
Messie politique
Cette image – et le succès considérable de Voodoo – , D’Angelo les traînera un peu comme un boulet. Se mettant peu à peu en retrait, il devra batailler avec des problèmes d’addictions – l’alcool et la drogue. Il en ressortira par le haut, en musique.
Perfectionnant sa maîtrise de la guitare, il formera sa garde rapprochée, avec une bande de musiciens comprenant Questlove (batteur de The Roots), le bassiste Pino Palladino, le trompettiste Roy Hargrove, etc. C’est avec eux qu’il sort l’album-surprise, Black Messiah. Il est marqué par les événements du moment et la première vague du mouvement Black Lives Matter – les émeutes de Ferguson (Missouri), après la mort de Michael Brown, ado noir de 18 ans, abattu par un policier blanc. Le crooner sexy a laissé place au commentateur politique, désormais plus Sly Stone (There’s A Riot Goin’ On) qu’Al Green. Si le ton change, l’écrin musical n’en reste pas moins tout aussi somptueux. Cette année-là, D’Angelo accompagnera son retour d’une rare tournée, qui passera notamment par le festival des Ardentes à Liège : les quelques centaine de spectateurs encore présents, assez patients que pour avoir attendu les 40 minutes de retard sur l’horaire prévu, ne se sont toujours pas remis de l’orgie funk servie ce soir-là.
Par la suite, D’Angelo retournera travailler sa musique loin des projecteurs, posant son nom sur des productions de Jay-Z ou de la rappeuse Rapsody. L’an dernier, son collaborateur et ami Raphael Saadiq expliquait qu’une série de nouveaux titres avaient été mis en boite. De quoi composer un album désormais posthume, qui viendrait compléter une discographie aussi courte qu’imposante. Comme l’expliquait Questlove en 2010, au webzine Pitchfork : « Je le considère comme un génie ultime. Et en même temps, je me dis : « Comment puis-je dire de quelqu’un qu’il est un génie, quand il me donne si peu de matériel pour le prouver ? Mais encore une fois, sa dernière œuvre était si puissante qu’elle a duré 10 ans ». Et même plus encore…