Dan San sort un nouvel album fait de lumières noires
Le troisième album du collectif liégeois Dan San, Grand Salon, réunit flair mélodique précieux et thèmes noueux. Mais aussi le San, suffixe japonais qui déploie l’idée de respect et d’élégance.
Les deux principaux auteurs-compositeurs de Dan San, Thomas Medard et Jérôme Magnée, sont baignés d’une sacrée lumière printanière en ce début avril, quelque part pas loin de Bruxelles. L’intention première de Dan San était de concocter un troisième album de ballades. Et puis est arrivé le désir de moments “plus solaires, plus positifs, plus rythmés”. La luminosité est palpable sur les douze titres de Grand Salon. Mais l’album déploie aussi un spleen qui, selon la formule non consacrée, trouve une force dans les teintes grises. Voire carrément noirâtres. L’éternelle formule qui transforme le doute, les angoisses, le mortifère potentiel, en chansons vigoureuses de mélancolie. Dans la lenteur, la métaphysique du questionnement ramène forcément à soi. Le mérite de Dan San serait donc de projeter toute la psyché perso -deuils, maladies et autres joyeusetés- dans des pop songs accrocheuses au final.
On rencontre l’idée via la chanson Hard Days Are Gone -et son clip forestier réussi. Sans aucun doute, le morceau le plus lennonien, de la période solo des seventies, jamais issu d’un groupe belge. Jérôme et Thomas partagent les réponses: “C’est une chanson composée pendant le confinement, de fait pas très joyeuse à la base. Il y est question de pouvoir se tirer hors du lit, jour après jour. De ne pas sombrer dans la dépression. J’étais couché dans mon canapé et je regardais le plafond. Je me suis rendu compte que ça faisait trois ou quatre jours que je me consacrais à cette activité (sourire). Quand on ne va pas bien, il y a cette pression de devoir aller mieux. Mais ça ne doit pas être instantané, il faut y aller en tout petit, positivement chaque jour. Et ça finira par être OK…Ce titre est devenu un mantra, travaillé à cheval sur les deux périodes Covid.” Donc John Lennon serait revenu, le temps d’un morceau, quelque part du côté de Liège. Peut-être parce que certains des musiciens de Dan San ont gobé le documentaire fleuve de Peter Jackson sur les Beatles.
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Aventures buissonnières
L’explication est à trouver plutôt au sein même du groupe et de son fonctionnement. Outre les textes, voix et guitares signés Thomas et Jérôme, la formation propose sur Grand Salon une création collective. Elle embarque les camarades de (presque) toujours: Olivier Cox (batterie), Damien Chierici (violon, claviers), Leticia Collet (claviers, voix) et Maxime Lhussier (basse, chœurs). Sept ans déjà après Shelter, le sextet remet le couvert dans une même configuration de banquet musical. Avec le même coproducteur, le français Yann Arnaud (Dominique A, Syd Matters, Jeanne Cherhal), et dans le même studio La Frette, au nord de Paris. “Pour cette seconde visite, on s’est sentis plus à l’aise par rapport aux lieux et à Yann. Pendant les deux ou trois semaines de séjour, on s’est libérés. Sur le disque précédent, je pense que l’on n’aurait jamais osé ce titre “lennonien” qu’est Hard Days Are Gone, parce que trop référencé, accumulant trop d’accords majeurs dans le refrain. On l’aurait foutu à la poubelle.”
Bien évidemment, sur la longueur, Grand Salon n’est nullement vampirisé par le plus vénère des Beatles. Son potentiel de séduction dépasse la référence et laisse de l’espace à une pop traversée de lumière. Volontiers noire, ceci dit. Father, Mother, l’un des moments importants du disque, aborde de biais le sort de Thomas, souffrant d’une maladie rare qui bouscule l’apparence physique, particulièrement le visage. “Ce disque présente un peu tous les cas de figure des collaborations entre moi et Jérôme et les quatre autres de Dan San. Beaucoup part du piano-voix, mais avec des interférences complices où interviennent les autres musiciens.” Jérôme Magnée a bénéficié d’autres expériences, notamment au sein du projet de la compagnie chorégraphique 36/37, de quoi nourrir la matrice Dan San. Les side-projects des six de Dan San viennent ainsi ressourcer la matière première du groupe. Elle se vérifie sur Grand Salon, album nourri des aventures de Thomas, Jérôme et leurs comparses, qui gagnent leur vie en composant ou en participant à des B.O. de films ou de spectacles. “C’est un drôle de métier. Y a-t-il une véritable connexion entre la réalité économique et les musiques que l’on propose? Pas sûr. La période que l’on vit aujourd’hui, après toutes sortes d’expériences en Allemagne ou au Canada, ressemble davantage à un saut dans l’inconnu. On ne connaît pas ou plus le public qui pourrait venir nous voir en concert, qu’il soit belge ou d’ailleurs. Aujourd’hui, la radio nous amène plutôt de bonnes surprises: autant l’album précédent était ignoré par les radios comme La Première, autant on y est diffusé aujourd’hui ainsi que sur Classic 21. Même si on ne sait pas comment ça va se traduire en termes de rencontre avec les gens.” Vu sa consistance musicale, son évidence et son tempérament, on aurait tendance à prédire à Grand Salon, un réel succès.
Notre critique du nouvel album de Dan San, Grand Salon ****
Douze titres beaux comme le blé blond. Mais quand même, du genre menacé de brouillard ou d’une saloperie agricole façon rouille noire, champignon tragique pour la semence. Le gris de certains titres s’équilibre dans le plaisir d’une attitude électrico-acoustique, fluide, copine. Au-delà d’un lâcher-prise vraiment audible, beatlesien, l’album s’avère agréable et contagieux. Par exemple, lorsque s’immisce sur quatre chansons -notamment le délicieux 1994- le saxophone caressant de Clément Dechambre. Dan San propose un voyage. Sophistiqué mais avec un spleen qui court naturellement sur le front des musiques mélancoliques. Avec un côté 1967 -ce son presque flower power- ramené dans la réalité sociale, économique, intime et brouillée de 2023. Ce télescopage donnant bien sûr une texture d’envergure aux ardents Liégeois.
En concert le 27/05 au Hnita (Heist-op-den-Berg) et le 01/06 et au Reflektor (Liège).
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