L’album de la semaine : Sofie Royer fait son cirque sur Harlequin
Album - Harlequin
Artiste - Sofie Royer
Genre - Pop
Label - Pias
L’Austro-Iranienne fait de son deuxième album un théâtre circassien où son personnage de Pierrot balance entre les sixties et aujourd’hui.
La première plage, Schweden Espresso, surprend. Tout en évoquant Abba, versant mélancolique, elle plonge pleinement dans les années 60. Pour qui a traversé cette décennie, l’effet est extraordinairement troublant. Chœurs enrobés, cordes fraternelles et une voix si proche qu’elle semble avoir été nourrie à la graine de spleen depuis plusieurs générations. Une fois dissipées les angoisses actuelles -on vous laisse dresser la liste-, Sofie sonne comme une sister malicieuse des Beatles et des Kinks sixties. Avec un profond sens de la madeleine proustienne et du Carnaby Street ras la moquette, façon Mary Quant. Pour bien s’en assurer, on remet la chanson cinq fois de suite. Alors que les titres suivants défilent dans une efficacité mélodique éprouvée –Court Jester, Love Park, Baker Miller Pink-, Sofie Royer avance parallèlement dans le temps, avec même quelques éclairs disco eighties. Avant de prendre sa langue natale, celle du conservatoire de Vienne qu’elle a suivi, pour Klein-Marx. Pas une évocation du théoricien de la révolution, mais bien celle d’un pont de la capitale autrichienne, dont Sofie imagine se jeter. Voilà, on y est. Mélodies sucrées, paroles vinaigres, airs imparables, textes lourdés de doutes. Certaines reviews nord-américaines de l’album ont même lâché le mot flingueur “nihilisme”. Peut-être pas.
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Bobby Beausoleil
Musicalement, le disque tire son jus d’arrangements (é)mouvants: il faut entendre l’intro de guitares lennoniennes de Feeling Bad Forsyth Street -où elle parle de son addiction au Xanax- ou les cuivres obsédés de Love Park pour mesurer la science royerienne du grand écart. Ce qui lie les neuf morceaux d’Harlequin, c’est bien la façon de considérer le monde comme l’ultime scène de cabaret, d’exposition, de contradictions noueuses, de petites et grandes misères magnifiées par les chansons. Rien d’autre que la prolongation de la pantomine empruntée par Sofie pour disperser ses angoisses, se faisant tragique lorsqu’elle chante Ballad of Bobby Beausoleil, où le personnage évoqué n’est autre que l’un des complices du maudit Charles Manson, toujours en taule pour le meurtre d’un dealer il y a plus d’un demi-siècle. Une façon d’évoquer des jeunesses explosées prématurément et de questionner son propre parcours. Ce qu’elle réitère dans le final de Someone Is Smoking, plus rétro que vintage avec son piano jazzy des années 30. Où la fille chante: “I have traveled for so long/Only to find I’ve not come very far”. Sur ce point-là, on ne peut que démentir. Et rejouer Schweden Espresso pour la sixième fois. Pas la dernière.
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