Critique musique : Les joyeux défricheurs de Jockstrap sortent leur premier album
Album - I Love You Jennifer B
Artiste - Jockstrap
Genre - Avant-Pop
Label - Rough Trade
Repéré pour ses “tubes” underground iconoclastes, le duo londonien Jockstrap sort un premier album culotté et joyeusement foutraque.
Agnès Gayraud, philosophe (Dialectique de la pop, La Découverte) et chanteuse-autrice-compositrice (derrière le projet La Féline), s’en inquiétait récemment sur l’antenne de France Culture: si la pop music, cet art longtemps méprisé, est aujourd’hui omniprésente -dans le métro, sur votre fil internet, dans les rayons du supermarché-, elle est aussi de plus en plus transparente. Certes, on l’entend partout, mais qui l’écoute encore? Qui prend encore le temps de se poser et de se perdre dans un album?
Dans le cas de I Love You Jennifer B, Jockstrap règle la question: il ne laisse pas le choix. Pour appréhender toutes les circonvolutions du premier album du duo anglais, mieux vaut en effet ne pas se précipiter. Ici, rien n’est complexe, mais tout est un peu de travers et jamais vraiment fixé, les hôtes prenant un malin plaisir à jouer avec les codes. Explications.
Formé en 2017, Jockstrap est le résultat de l’association de Taylor Skye et Georgia Ellery (également vue au sein de Black Country, New Road). La rencontre a lieu dans les couloirs de la prestigieuse Guildhall School of Music and Drama de Londres: Ellery y étudie le jazz, Skye la composition électronique. L’une et l’autre se retrouvent dans une approche iconoclaste de la pop, connaissant leurs classiques sixties-seventies pour mieux les détourner. Avec ses deux premiers EP –Love Is the Key to the City en 2018, Wicked City en 2020-, Jockstrap réussit ainsi à susciter la curiosité tout en ne cessant de brouiller les pistes.
En gestation depuis trois ans, le premier album du duo a beau avoir été précédé d’une grosse hype, malin qui aurait pu prévoir la direction que le binôme allait prendre. En l’occurrence, I Love You Jennifer B les prend toutes. “Chaque titre sonne de manière singulière, avoue Jockstrap, en espérant que chacun trouve le morceau qui lui parlera et en fasse son banger.” En ouverture, Neon commence par exemple avec une guitare sèche, façon folk pastoral, pour mieux se plonger quelques instants plus tard dans des humeurs synthétiques plus sombres. Le single 50/50 joue l’hystérie dance grinçante, tandis que le vrai “tube” du disque, Glasgow, démarre lui par les notes cristallines d’une harpe, avant de prendre la route, carburant aux guitares californiennes, poussé dans le dos par des cordes mélo. Jockstrap parvient à être à la fois ludique et captivant, jouant avec le second degré sans pour autant tenir à distance. À l’image de Concrete over Water, ballade désarçonnante avec ses effets de voix inversées et ses sons décalés.
Dans sa présentation de l’album, le label de Jockstrap ne manquait pas de pointer le succès de Running Up That Hill, le single de Kate Bush de 1985 repris dans la dernière saison de Stranger Things, rappelant que les millennials aussi avaient soif d’une musique pop aventureuse et innovante. Présentation certes un poil opportuniste, mais qui montre bien dans quelle catégorie il convient de placer le duo: celle des joyeux défricheurs, offrant avec leur premier album l’une des sorties de route pop les plus excitantes de l’année.
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