Concerts annulés ou sans groupe: les nouvelles habitudes de tournée
Tournées annulées, concerts sans groupe… Après la pandémie, c’est la guerre en Ukraine et la flambée des prix qui ont secoué l’industrie de la musique sur scène.
“Je suis heureuse de pouvoir annoncer les détails de ma tournée de février. Je suis excitée à l’idée de partager mes cinq premiers concerts avec The Hackles, qui assurera ma première partie et me servira de backing band. Pour les huit concerts suivants, je me produirai en solo. (…) Je n’avais pas imaginé assurer le moindre de ces shows toute seule. Cependant, le coût d’une tournée a explosé et mon budget ne me permettait pas d’emmener avec moi Heather Woods Broderick et Mirabai Peart (j’aurais ramené 400 dollars pour treize concerts et je ne peux pas faire ça avec une famille à la maison). (…) Ce sont des temps sauvages dans l’industrie et je suis réellement déjà contente de pouvoir reprendre la route.” Début décembre, la folkeuse Alela Diane annonçait la couleur dans un long message Facebook. La tournée qu’elle s’apprête à assurer en Europe sera tout sauf celle de la démesure. Rien de bien décevant. Surtout quand on sait que son dernier album, Looking Glass, brille surtout dans ses moments de dépouillement. Mais le constat est préoccupant. Après deux années de ralentissement, de pandémie et de confinement, alors qu’elle aurait bien aimé rattraper le temps et le fric perdus, l’industrie de la musique se prend l’inflation en pleine tronche.
“On ne nous a pas prévenus de quoi que ce soit, expliquent Fabrice Lamproye et Jean-Yves Reumont, qui accueilleront en février au Reflektor la deuxième date de la folkeuse. Contrairement au milieu du jazz où les noms des musiciens sont renseignés, le contrat d’un concert rock, pop ou folk ne précise pas ce genre de choses. On t’avertit juste généralement quand il s’agit d’un concert solo pour que tu puisses adapter la configuration de ta salle.” Les deux Liégeois ne sont pas plus étonnés que ça par la situation actuelle. “C’est tout à fait compréhensible. Tout explose au niveau des dépenses. Que ce soit pour les petites, les moyennes ou les grandes entreprises. Tour bus, camion, matériel, personnel… Partout vient se répercuter la hausse des coûts salariaux et énergétiques. Tout est lié.”
Les Américains d’Animal Collective n’ont même pas pris l’avion. Ils ont tout bonnement -comme pas mal d’autres- annulé leur tournée pour ne pas perdre d’argent voire éviter d’en dépenser. “En la préparant, nous avons dû faire face à une réalité économique qui ne marche tout simplement pas et qui n’est pas viable, justifiait la bande à Panda Bear dans un communiqué. Entre l’inflation, la dévaluation monétaire, l’explosion du coût des transports, et bien d’autres choses encore, on ne pouvait tout simplement pas établir un budget pour cette tournée qui ne soit pas déficitaire quand bien même les choses se seraient déroulées du mieux qu’elles le pouvaient.”
Entre les reports de dates généralement aux mêmes conditions financières qu’initialement prévues et les délais entre la signature d’un contrat et la tenue de l’événement qui exposent aux soubresauts de l’économie, des soucis se sont inévitablement posés. Les artistes et les tourneurs vont, comme dans tous les secteurs, s’adapter. C’est le spectateur qui devra payer. On verra jusqu’à quel point et pour qui il est prêt à mettre la main au portefeuille. “On fait à nouveau face à une hausse des cachets, expliquent les patrons du Reflektor. Au début, on trouvait que les Américains exagéraient, mais maintenant c’est aussi le cas des Français. C’est toujours compliqué d’en déterminer les causes. Ce qui est nouveau en tout cas, c’est que les agents prévoient le remboursement de certains frais en cas d’annulation pour des raisons sanitaires.”
Limiter la casse
Outre la pression de l’inflation, les effets de la pandémie, la menace du Covid qui continue de planer, une peur persistante de la maladie mais aussi des problèmes de santé physique et mentale perturbent le marché du spectacle vivant. Du côté de Charleroi et de l’Eden aussi, on note une flambée des prix. “Les cachets explosent, même pour un rappeur belge, commente Nathalie De Lattre, la programmatrice musique des lieux. Et on te le justifie en te disant que tout a augmenté. Avec Cascadeur, on n’a pas eu le spectacle qu’on avait acheté. En fait, on avait acheté un spectacle et on a eu un concert. À la base, il y avait plein d’exigences sur le plan technique. Mais il a décidé de se passer de son VJ.” Les artistes tentent comme ils peuvent de limiter la casse. “L’ingé lumière est le premier à sauter. L’ingé son parfois aussi. Quand il s’agit d’un groupe plus émergent, il aura tendance à se reposer sur nos ressources.” D’autant que vu la hausse du coût de la vie, les techniciens ont tendance, comme tout le monde, à augmenter leurs tarifs.
“Nous n’avons pas dû annuler de concert à cause de l’inflation, mais un groupe turc comme Lalalar a refusé des tournées qui n’auraient pas été suffisamment rémunératrices, approfondit Maxime Lhussier, à la tête de l’agence de booking et de management musical Odessa. Avec Glauque, on a aussi refusé des offres correctes pour des concerts à 1000 kilomètres. On roule avec des bêtes qui consomment du 15 litres au 100. Ça te fait déjà 300 litres de fuel. 600 balles de carburant.”
Et encore, la Belgique bénéficie d’une position géographique favorable. Il est plus facile de tourner en Europe qu’en Amérique du Nord, où les villes sont souvent fort éloignées. De l’autre côté de l’Atlantique, pour éviter les tensions mentales et les dépenses qui accompagnent les tournées à étapes, de grosses pointures se la jouent résidence comme Elvis et Sinatra. Adele et Katy Perry se sont arrêtées à Las Vegas. Taylor Swift a joué cinq soirs à Los Angeles. Et Harry Styles s’est récemment produit quinze fois de suite à New York…
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