Comment Metronomy a réussi à rester un groupe cool

Joseph Mount © Andrew Whitton
Didier Stiers Journaliste

Cette année, les quatre de Metronomy prennent des vacances. Non sans avoir au préalable sorti un nouvel album. L’occasion pour Joseph Mount de causer été, nostalgie, new rave et… Justin Bieber.

Bruxelles, un jour de mai potable. Un jour de grève des trains, aussi, mais qui n’a pas empêché Joseph Mount de venir, depuis Paris où il vit désormais, mixer quelques plaques pour le compte d’une boutique de la capitale. L’homme de Metronomy a terminé de se sustenter et se roule une petite clope. « J’aimerais bien mixer en club, mais je crains que ma musique ne marche pas trop. Note, ça en dit plus sur les clubs que sur moi…  »

Il faut croire que « Joe » ne fait rien comme les autres. Par exemple: le nouvel album de son groupe sort ce 1er juillet. Et il s’intitule Summer of 08, mais ce n’est pas une raison: personne ne sort son nouvel album alors que les gens sont en vacances! Même quand un guest comme Mix Master Mike, le platineur artistique des défunts Beastie Boys, vous y offre quelques scratches (sur le single Old Skool). « Quand j’ai réfléchi au genre de disque que je voulais, j’étais porté par l’idée d’un truc très direct, uptempo, assez dansant. Quelque chose qu’on puisse apprécier sans devoir trop penser. » Il rit. C’est donc comme ça qu’il a travaillé, vite, sans trop intellectualiser, à l’instinct.

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Petite précision utile: 2008 correspond à l’année de sortie de Nights Out, le deuxième album studio du groupe du Devon, mais surtout celui qui a commencé à attirer à lui un public moins confidentiel. Huit ans plus tard, l’été qui s’annonce sera pourtant le premier au cours duquel Metronomy ne mettra pas le nez dehors. Pas de concerts, pas de festivals, rien, nada! Des histoires de pouponnage, notamment… « J’ai un enfant, tout jeune, Benga aussi (Olugbenga Adelekan, le bassiste, NLDR). Oscar vit aux Etats-Unis (Oscar Cash, guitare, claviers, NLDR), et Anna (Anna Prior, batterie, NLDR) commence à donner des cours de yoga. Pour nous, c’était donc l’opportunité de vivre une période un peu « normale ». Nous tournons toujours avec plaisir, mais faire un break rendra notre retour plus excitant. »

Tant pis donc pour les fans qui seront contaminés par les plages les plus dansantes de Summer 08, ils devront patienter. « Oh mais nous n’avons pas dit que nous arrêtions, s’amuse Joseph. En principe, quand tu vas à un concert, c’est excitant. Pour le groupe qui a déjà beaucoup tourné, c’est… non pas ennuyeux, mais bien rodé, répété. Donc quand nous reviendrons, ce sera excitant et spécial pour tout le monde! »

On s’en doute, un titre comme Summer 08 n’a pas été choisi par hasard. Cet été-là, les choses s’emballent en effet pour Metronomy. « Ça faisait deux ou trois ans que nous jouions en trio. Les gens ont commencé à entendre parler de nous. C’était l’époque où les Klaxons cartonnaient. Quelques autres groupes également, dans cette mouvance new rave qui s’est exportée un peu partout dans le monde. On nous y a rattachés alors que nous nous sentions toujours un peu à côté, mais ça a été notre chance, d’une certaine manière. Je crois que ce qui s’est passé à ce moment-là, c’est qu’on nous a considérés comme un groupe cool. Et peu importe ce qu’on peut penser de cette scène new rave, c’était juste bien pour nous. »

Ensuite, le jeu, comme il l’appelle, a consisté à rester un groupe cool. Et huit ans plus tard? Ce « jeu » est-il toujours aussi fun? « A l’occasion de la première grosse tournée à laquelle Metronomy a participé, nous avons joué en Espagne où nous étions sur la même affiche que Bloc Party. Eux connaissaient probablement à ce moment-là le summum de leur succès, et ils étaient cool. Après, Kele a fait son truc à lui, il y a eu un comeback mais ça ne sonnait plus tout à fait pareil et l’impact n’a plus été le même qu’à l’époque. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut essayer de rééditer cet impact. Alors, peut-être que ça implique de ne pas tourner pendant un moment et de revenir quand les gens sont à nouveau excités. Bon, ce n’est pas exactement un jeu, il faut considérer tout ça avec soin. En huit ans, j’ai vu des groupes arriver, tout retourner, et puis disparaître en peu de temps. »

Joseph Mount
Joseph Mount© Andrew Whitton

Joseph Mount dit avoir toujours essayé d’être à la fois progressiste, ou en d’autres termes, de faire des choses intéressantes, et en même temps de ne pas perdre le public déjà acquis. « Pour moi, ça veut dire rester authentique par rapport à tout ce que j’ai déjà fait et essayé de faire. Par rapport à ce que je trouve artistiquement intéressant, aussi en tant que fan de musique. » Et la chance? « Oui, c’est un autre facteur de l’équation. Le savoir-faire et la chance. »

Summer 08 ne sort pas pour autant dans la discrétion la plus absolue. L’album livrera son lot de singles, à commencer par cet Old Skool bien dansant donc. « Quand j’étais ado et que j’ai commencé à entendre parler de hip hop, c’est aussi la première fois que j’ai entendu ce terme, « old school ». C’est marrant, comme expression. » Il rit encore: « Pour moi, c’est toujours resté synonyme d’une paire d’Adidas, genre Run DMC. Mais bon, la new rave, c’est old school aussi. En fait, j’ai choisi ce titre parce qu’on y entend du scratch. » Et le « k »? Même raison! « Quand je parle de « culture hip hop », c’était un peu à côté, ce truc d’ados anglais, blancs, qui trouvaient qu’écrire ça avec un « k » était cool. Mais bon, pour moi, le terme est toujours ce qu’il veut dire quand j’étais ado: Sugarhill Gang. »

L’album ne renvoie pas qu’aux débuts du groupe. Adolescent, Joseph Mount s’est farci un paquet de disques d’été. « Aujourd’hui, si on me dit « été » et « album », je pense à Stevie Wonder. Innervisions! C’est difficile à expliquer, mais il y a quelque chose d’estival là-dedans. L’impression de l’été, la longueur du jour, le genre de musique qu’on rattache à ce qu’on fait l’été… » Plus récent? Il hésite… « Quand le premier album de Kendrick Lamar est sorti, c’est devenu une sorte de grosse bande-son estivale, y compris pour le groupe: on tournait beaucoup alors… Et puis je me souviens d’une nuit, revenant de Glastonbury: nous nous sommes arrêtés dans une station-service, j’ai acheté l’album des Black Eyed Peas pour rigoler, et en deux heures, le temps de revenir à Londres, c’est aussi devenu notre bande-son. »

A cette petite énumération non exhaustive, il ajoute encore un Phoenix… « Wolfgang Amadeus Phoenix! Celui-là aussi a été important pour nous. Mais quand je pense à l’été, je pense surtout « tournées », « festivals », « bon temps »… Mais rien de tout cela pour cette année, dès lors. « Ça fait partie du processus: album, promotion, concerts… A force, c’est naturellement ancré en nous. Mais une tournée, c’est aussi ce qui se rapproche le plus de la routine: pour les deux ans à venir, tu peux prédire pas mal des choses que tu vas faire. » Nouveau rire: « Donc en gros, ça me manque déjà, mais ça ne me manque pas encore! »

Comment Metronomy a réussi à rester un groupe cool

La pochette de l’album, mais aussi le clip et parfois même le son ont un petit quelque chose de rétro. « Pour moi, « artwork moderne », c’est Justin Bieber, Ariana Grande, ces gens nés dans un univers déjà numérique, après la mort -je présume- du CD. Ce sont des produits de ce monde-là. Je suis sûr qu’il arrivera un moment où les gens cesseront de faire référence à ce qui se passe aujourd’hui. L’artwork, de nos jours, c’est un thumbnail sur iTunes, une toute petite tête de Justin Bieber. Les gens ne dépensent plus autant pour une pochette. Moi, je vis toujours ce rêve de gamin de créer des disques, de penser en grand format. Alors, c’est peut-être un peu rétro pour cette raison-là, mais c’est ce que j’ai toujours voulu faire. Et puis, ce sont peut-être mes goûts esthétiques personnels qui sont rétro.  »

C’est peut-être aussi la manière dont il fait de la musique qui veut ça. Ecriture, production, interprétation: sur disque, Metronomy, c’est lui seul. « Si je travaillais avec de jeunes producteurs, ou de jeunes auteurs, ça pourrait soudainement devenir très « actuel », mais je continue à ne me baser que sur mes propres capacités. Qui viennent de ce que j’ai appris, de ce que j’ai écouté quand j’étais plus jeune. Donc rétro… je pense que c’est en partie accidentel et en partie intentionnel. Je suppose que pas mal de groupes ou d’artistes qui ont à peu près le même âge que moi se retrouvent confrontés à ça aussi. Notre musique vient de l’époque où existaient des disques, des CD, des cassettes, MTV… Tout ça a disparu aujourd’hui, donc nous sommes là à nous demander comment réaliser nos fantasmes dans ce monde digital. »

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Fantasme? Embarquer un Mix Master Mike à bord ressemble à une concrétisation. Joseph devait avoir 16 ou 17 ans quand est sorti Hello Nasty, un disque qui a compté dans son « éducation » tout comme il l’a été pour nombre de jeunes blancs provinciaux. « Ça a été ma porte d’entrée du hip hop. Après, j’ai acheté Paul’s Boutique, je me suis dit « waow » et j’ai suivi ce courant musical pendant un bon bout de temps. J’imagine que je me suis rêvé en DJ, en scratcheur… Enfin, j’ai essayé d’apprendre! Mix Master Mike, c’est un maître, un peu comme DJ Shadow ou Andy Smith avec Portishead. » Fantasme, donc? « Aujourd’hui, je vis une sorte de rêve d’ado. C’est la première fois de ma vie que je peux demander quelque chose à ces gens-là, et qu’ils considéreront ma demande plutôt que de refuser. Avoir Mix Master Mike sur un de mes morceaux boucle cette boucle ouverte quand j’avais 16 ans. C’est juste parfait. Pour moi, ça valide en quelque sorte les goûts musicaux que j’avais à l’époque, et ils deviennent réels… »

Entendons-nous: l’homme de Metronomy n’est pas du genre nostalgique. Plutôt à admettre que la manière moderne de faire les choses est toujours la meilleure parce que c’est… moderne! « C’est le progrès! Je ne vais pas commencer à considérer que les labels, c’était bien, parce que le disque était un produit et que le seul choix était de l’acheter, sinon on va aussi commencer à parler de l’argent qu’ils faisaient et de voitures de société… Ce qui n’était pas à l’avantage du consommateur, lequel se retrouvait parfois avec de mauvais albums entre les mains. » Un bref silence, une taffe… « Par contre, je suis nostalgique de l’idée de faire partie d’un groupe. Ça, j’en rêvais… Enfin, je suis toujours dans un groupe, donc je vais bien, je vais bien! Je suis parfaitement heureux, en 2016. »

METRONOMY, SUMMER OF 08, DISTRIBUÉ PAR WARNER MUSIC.

Summer of 67

L’an prochain, on fêtera/récupérera (biffez la mention inutile) le cinquantième anniversaire de l’Eté de l’Amour. Lors du Summer of Love auquel fait référence le titre du dernier album de Metronomy, près de 100.000 personnes rejoignirent le quartier de Haight-Ashbury à San Francisco, dans l’espoir de vivre pleinement et au grand jour le rêve hippie. « Free love » mais aussi « free drugs », tellement d’ailleurs que Hunter S. Thompson rebaptisa l’endroit Hashbury. Cette transhumance inédite allait également aboutir, du 16 au 18 juin 1967, au festival de Monterey. Le prédécesseur de Woodstock eut son hymne: San Francisco (Be Sure to Wear Flowers in Your Hair), écrit par John Phillips du groupe The Mamas & The Papas, et chanté par Scott McKenzie. Pour nombre de groupes et d’artistes, Monterey fut aussi l’une des premières occasions de se produire devant un public conséquent. Se retrouvèrent ainsi à l’affiche, entre autres Jefferson Airplane, The Jimi Hendrix Experience, Otis Redding, The Byrds, Grateful Dead, The Who, Janis Joplin… L’événement a été immortalisé dans Monterey Pop, un documentaire réalisé par D.A. Pennebaker. Certains ont vite déchanté. George Harrison, notamment, qui déclara après une visite sur place: « Je m’attendais à les voir tous sympas, propres, amicaux et heureux, mais au contraire, j’ai découvert des petits adolescents hideux et boutonneux. » C’est que cette année-là, le 1er juin, les Fab Four sortaient Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, un album s’inscrivant parfaitement dans cette époque. Moins par ses allusions à la drogue (qui lui valurent quelques bannissements à la BBC) que par son thème général. Comme le résuma Timothy Leary: « It gave a voice to the feeling that the old ways were over… it came along at the right time. »

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