Comment l’underground a survécu au Covid
Comment les musiques indépendantes ont-elles fait face à la pandémie? Alors que l’AB et Subbacultcha célèbrent The Sound of The Belgian Underground, réflexions sur les marges au temps du virus.
Censée se dérouler le 30 janvier, la cinquième édition de The Sound of the Belgian Underground se tiendra enfin le 27 février dans les murs de l’AB. L’an dernier, l’événement avait tout bonnement été annulé. « Mainstream comes to you, but you have to go to the underground… » À l’heure où l’industrie du live aperçoit enfin le bout du tunnel, le slogan résonne. Plus pertinent que jamais. « Je pense que de manière générale pendant la pandémie les gens ont consacré davantage de temps à la découverte et aux scènes locales, estime Leslie Gutierrez, la batteuse du groupe post-punk/no wave Pega, à l’affiche du minifestival bruxellois. Nous, on a pu bénéficier de résidences au Botanique et au Brass. Certains médias nous ont aussi davantage relayées que d’accoutumée. On ne va pas se plaindre en termes de visibilité. Mais au niveau des concerts, on n’en a donné que neuf en deux ans. Et encore, en comptabilisant notre livestream au Bota. C’est l’équivalent de ce qu’on faisait auparavant en deux ou trois mois. »
Une petite catastrophe financière? « Les artistes underground ne sont pas là pour le fric. Et ils ne sont majoritairement pas dépendants de cet argent, explique Kasper-Jan Raeman de Subbacultcha, qui organise la fiesta. L’essentiel des rentrées financières d’un Romeo Elvis vient des grands festivals et des gros concerts. Pour les artistes qui jouent devant 50-100 personnes, ce n’est pas ça le problème… » « Ce n’est pas la musique de Pega qui me fait vivre, reconnait Leslie. Les cachets pour les groupes dans l’underground sont souvent ridicules. Nous ne sommes que trois sur scène mais comparé aux frais, au coût du matériel, au temps que prennent les répétitions, ça ne pèse jamais bien lourd. On a en fait surtout souffert sur la vente de merchandising qui allait avec. Après, je bosse comme ingé son. Donc, j’ai senti financièrement ce qui est arrivé au circuit du live. »
« Pendant deux ans, il a été très difficile de trouver des endroits où jouer, reprend Kasper-Jan Raeman. Ça a été extrêmement compliqué avec les confinements et ce yo-yo incessant. Pour les artistes mais aussi pour tous les petits organisateurs indépendants. Ces gens qui font vivre les petits groupes et l’underground dans les petits cafés et les petites salles avant que ne s’ouvrent pour eux les portes des grandes institutions. » Ces chevilles ouvrières souvent bénévoles auront-elles toujours autant de courage, d’envie, d’énergie à dépenser? On en imagine un paquet, fatiguées, lassées, animées par de nouvelles priorités… « Un festival comme Rock Zerkegem n’a pas eu lieu pendant deux ans mais a déjà annoncé sa date pour l’été. Alors c’est peut-être vrai pour certains. Quand tu as 30-40 ans, après une telle pause, tu vas peut-être vouloir passer à autre chose. Mais je vois aussi arriver de nouveaux acteurs. »
À la base, j’étais très pessimiste mais je commence à penser qu’on va vers un renouveau.
La pandémie a déjà quelque part changé le paysage. À Bruxelles notamment. Où au rythme des mesures de restriction, les concerts se sont éparpillés dans des endroits plus petits, plus rock’n’roll. « À la base, j’étais très pessimiste mais je commence à penser qu’on va vers un renouveau, avance Leslie. Des lieux comme le Zonneklopper sont apparus. Le Chaff a été repris. Plein de trucs se sont passés dans des bars et des lieux alternatifs comme Le Central et La Source où les règles étaient plus souples que dans les salles « classiques » aux jauges limitées et au public assis, masqué. » Il n’y a à court terme pas vraiment de raisons que ça s’arrête. Le nombre hallucinant de groupes qui vont se retrouver sur les routes et vont vouloir jouer dans les prochains mois ne pourra être absorbé par l’AB et le Bota… L’occasion finalement pour l’underground de retourner à des lieux qui lui vont bien au teint.
De l’officiel et du pirate…
Comment les groupes ont-ils vécu ces deux ans de disette scénique? Qu’ont-ils fait de leur temps? « Dans le circuit, pas mal ont déjà l’habitude de proposer de nouvelles choses en permanence, reprend Raeman. Beaucoup ont profité de l’occasion pour créer. A contrario, certains ont pris leur temps, ralenti la cadence, postposé les dates de sortie de leurs disques. C’est le cas des plus installés. Les enjeux financiers sont différents. De toute façon, il faut bien se dire qu’il n’y a pas de règle dans l’underground. » Il s’est d’ailleurs passé pas mal de choses. Même pendant les coups de vis. « Il y a eu des petits concerts, des fêtes dans des maisons. Les organisateurs se sont montrés créatifs. Jonathan Cant du label Montage a organisé une soirée concerts-spaghettis (ambiance ambient expérimentale)… Il y a eu de l’officiel mais aussi forcément du pirate. Ce qui est bien dans l’ADN du souterrain. »
Les organisateurs se sont montrés créatifs. (…) Il y a eu de l’officiel mais aussi forcément du pirate.
« Lors du premier confinement, on nous a proposé de donner des concerts mais en version acoustique histoire de ne pas trop attirer l’attention, sourit Leslie… Pour Pega, avec la musique qu’on fait, ça n’aurait eu aucun sens. C’était trop éloigné de ce qu’on propose. » Le trio bruxellois a quand même mis la situation à profit. « Comme la bassiste originelle est partie pour se consacrer au graphisme et à l’illustration, on a pu travailler calmement avec Juliette qui la remplace. Apprendre à se connaître et se développer. » Les filles ont aussi sorti en juin un double EP au format vinyle. « Le premier était déjà enregistré et on s’est chargées du deuxième il y a un peu plus d’un an. Je ne sais pas si des groupes ont arrêté à cause de la pandémie. Sans doute, oui. J’ai surtout entendu parler de changements de line-up. » Restera à faire l’état des lieux une fois la tempête complètement passée…
The Sound of the Belgian Underground, avec Frankie Traandruppel, Pega, Kleine Crack, Salome, Helenah, Meril Wubslin, Dushime… Le 27/02 à l’Ancienne Belgique, Bruxelles.
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