Comment le label courtraisien Mayway se fait une belle place au festival Eurosonic
Après avoir fait triompher Meskerem Mees et The Haunted Youth à Eurosonic, le label courtraisien Mayway tentait cette année d’y ouvrir les portes du succès à Meltheads et Ão. Récit de l’offensive et best of.
Mercredi soir, 21 heures 15, dans le nord des Pays-Bas. Une interminable file s’est déjà formée sur la Vismarkt. Durant le temps d’Eurosonic, la brasserie Jantje’s Steaks & Pizza se transforme en une double salle de concerts. Un lieu stratégique, un centre névralgique du festival de découvertes (280 groupes, 4 000 professionnels, une petite vingtaine de scènes) où l’industrie de la musique s’en va chaque année faire ses emplettes. C’est dans la très grande arrière-salle du Maas comme on l’appelle durant ESNS que les rockers Anversois de Meltheads doivent se produire un quart d’heure plus tard. Quelques jours plus tôt, Tony Vandenbogaerde, le patron du label Mayway, y est allé de son petit mail teaser. “Bonjour Julien. Prêt pour la Meltheadsmania? Après leur concert à Rock Herk l’été dernier, un prestigieux magazine a écrit: “Au Club, nous avons eu droit à un set de folie qui rappelait sans fard les groupes de rock émergents des années 90. Vous avez vu Nirvana au Vooruit? Eh bien, nous avons vu Meltheads à Rock Herk. Quelqu’un peut-il prédire où se trouve le sommet?” Say no more. Le 9 février, Meltheads sortira son premier album Decent Sex. Les médias internationaux comme KEXP, Clash, DIY et Visions en parlent déjà, les tickets pour les release party’s s’envolent et un beau spot au Dour Festival est confirmé. Une chronique d’album ou une interview nous ferait plaisir.”
Née en 2017 à Courtrai, Mayway est une maison de disques indépendante qui a la cote. Une maison de disques encore toute jeune qui sait y faire quand il s’agit de mettre à profit le supermarché européen de la musique. Il y avait réalisé une percée avant même d’avoir des artistes sélectionnés. “En 2020, pendant le festival, j’ai organisé des showcases avec Pinguin Radio (une station alternative en ligne néerlandaise). J’ai loué un podium pour toute l’après-midi et j’ai fait jouer cinq de mes artistes dessus. J’avais embarqué DIRK., Mooneye, Heisa, Black Leather Jacket et The Calicos. C’était dans le off mais on avait réussi à attirer beaucoup de gens. Surtout des Belges. Des artistes dans le programme officiel ont joué devant moins de monde que certains des miens. Ça avait été chaotique et DIY avec le matériel, mais super cool. Il y a beaucoup de programmateurs et de festivals à Eurosonic. Les Lokerse Feesten par exemple ont ajouté dirk. à leur affiche après les avoir vus ici.”
No surprises
Tony arrive à tirer son épingle du jeu même quand le festival n’a pas vraiment lieu. En 2021, malgré la pandémie et les confinements, il a eu beaucoup de retours sur la prestation enregistrée de Meskerem Mees qu’il avait envoyée. “On a trouvé un tourneur en Allemagne, en France et en Suisse. En Espagne aussi. Dès que les concerts en petit comité ont été autorisés, Meskerem en a bien profité. Elle avait le style idéal. C’était calme, une musique qui n’est pas faite pour danser. C’était facile à placer. Jouable avec des tables et des mesures de distanciation sociale. Elle a pu donner beaucoup, beaucoup de concerts. À l’époque, les grands labels reportaient toutes les sorties. Parce que les groupes ne pouvaient pas se produire sur scène. Et nous, on a géré le truc autrement. Il y avait de la place sur les ondes. Chez FIP, par exemple, en France.”
Comme l’édition n’avait pas eu lieu en présentiel, Meskerem a à nouveau eu l’opportunité de participer l’année d’après. Et si Eurosonic 2022 fut à nouveau un festival digital (tout était programmé quand l’événement physique a été annulé), elle y a remporté le prix du jury des Music Moves Europe Awards. “The Haunted Youth était nominé aussi mais n’a pas gagné. C’est surtout une question de visibilité, de promotion. Les journaux en parlent en Flandre. C’est un peu un couronnement. Un truc que tu peux inscrire sur ton palmarès.” The Haunted Youth a lui aussi rencontré un très grand succès l’an dernier. Eurosonic a débouché sur treize réservations de festivals. “Islande, Portugal, Grèce. Toute l’Europe. En plus, on a eu des concerts en salle.”
Cette année, avec ses guitares acérées, Meltheads, qui a même un single (Naïef) en néerlandais, a terminé 7e dans le top 20 (il en est le seul Belge) de 3voor12, plateforme alternative de la radio nationale hollandaise. Il va recevoir des offres de beaux festivals et parle avec un tourneur français. À la croisée du fado, de l’indie pop et des musiques électroniques, Ão a de son côté déjà deux dates de festoches confirmées. L’une en France, l’autre en Allemagne. Il jouit surtout de l’intérêt concret de tourneurs dans ces deux mêmes pays. WeNutButter, le lieu où le groupe jouait, était pourtant très éloigné du centre. “Tu peux toujours essayer de changer de lieu, mais c’est compliqué. On avait même envisagé de décliner l’invitation. On aurait préféré se produire au cœur de la ville. Mais on a quand même saisi l’occasion. L’endroit est tout nouveau. C’est la première fois qu’il est utilisé. Et donc on a bien préparé. On a demandé des fiches techniques, des photos. Parce qu’Ão a un son compliqué. Ce n’est pas un groupe avec deux guitares et une batterie. Il y a des percussions, une dimension électronique. On a très bien préparé ça techniquement pour ne pas connaître de mésaventures. On a demandé beaucoup d’informations. On connaissait les lumières, le son, toute l’installation. Ici, on ne peut pas se permettre de rencontrer de mauvaises surprises.”
Dans la fourmilière Eurosonic, il y a toujours des concerts qui n’attirent pas les foules. Qui les font fuir même parfois d’ailleurs. Ceux de Tony sont toujours remplis. Au-delà de la qualité de la musique, il dépense avec son équipe beaucoup d’énergie à faire passer le mot. Que ce soit via les petites cartes distribuées par son booker ou les réseaux sociaux. “La découverte, le groupe en développement, trouver des artistes prometteurs et talentueux qui n’en sont encore qu’au début de leur carrière, c’est un peu notre business model. On a fait notre spécialité de les dégoter, de les aider et d’accompagner leur évolution. Au début, ils n’ont pas de tourneur, de manager. Ils n’ont rien à part quelques morceaux. Meskerem Mees, The Haunted Youth et Meltheads avaient quelques chansons mais rien d’autre. On a perçu un potentiel. Et on a beaucoup travaillé pour les aider, les mettre en contact avec des producteurs.”
Ambitions internationales
Le label existe depuis 2017. Tony a sorti des compilations, quelques projets locaux. “Lors des deux premières années, je n’avais pas particulièrement d’ambition. C’était mon hobby. Je ne viens pas de ce monde-là. Avant je vendais des camions. C’était une société de famille. Quand ma sœur a décidé de devenir mère, je n’ai pas voulu continuer tout seul. Donc, j’ai décidé de me lancer dans la musique. J’ai toujours eu le sentiment que j’avais un truc en moi pour ça. Je ne joue pas d’instrument mais je participe à beaucoup de concerts et j’écoute énormément de disques.”
Ce qui est intéressant chez Mayway, et primordial pour le patron, c’est son implication dans la direction artistique. “On est vraiment dedans. On intervient dans le mixage, dans la production. Nous ne voulons pas sortir des disques ou des singles qui ne sont pas bien ou du moins qu’on n’aime pas. De temps en temps, j’écoute des morceaux de groupes que j’apprécie sur d’autres labels et je me dis que le mix n’est pas bien, que le son est trop lourd. On veut vraiment éviter ça. Ce sont des petits détails auxquels on fait très attention. Le plus important, c’est la qualité des chansons. C’est la base. À partir de là, on peut tout faire. J’ai discuté avec un groupe qui n’existe plus et qui m’a dit: “Nous sommes les artistes. Nous faisons la musique. Nous te l’apportons. Toi, tu la sors et tu en assures la promotion. Et il y a une grande barrière entre les deux.” J’ai répondu: OK. Pas pour moi. Bonne chance!”
En attendant, tous les derniers projets sortis par Mayway semblent promis à de jolies destinées internationales. “C’est en quelque sorte notre cible. Quand on signe un nouvel artiste, on a déjà une idée un peu vague de ce qui va se passer dans les premières années. On se demande s’il va jouer à Eurosonic et s’il va pouvoir y rencontrer le succès. Autrement, on ne va pas signer. On pense vraiment internationalement dès le début. On ne va jamais s’engager sur quelque chose qui est juste bien pour la Belgique. Il y a moyen de faire vivre juste dans notre pays. Il y a des artistes qui gagnent très bien leur vie seulement sur la Belgique. Ou même seulement sur la Flandre. Ça marche. Mais nous ne sommes pas ce genre de label. Ici, c’est notre habitat. Comme Reeperbahn, Great Escape et le MaMa.”
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