Après une paire d’EP remarqués, le jeune duo électro-pop bruxellois sort Saveur cœur abîmé, premier album aussi fougueux que tourmenté.
Arrivé à la moitié de Saveur cœur abîmé, Colt semble réaliser: «Ah, c’est ça de se sentir vivre?» Gros drop électro à l’appui, refrain conquérant, voix en équilibre instable, «toujours sur le fil»: oui, ça doit être ça. Du moins si l’on se cale sur le rythme –soutenu– du jeune duo bruxellois, formé par Coline Debry et Antoine Jorissen. Exemple encore ce 5 juin: pour fêter la sortie, prévue le lendemain, de leur tout premier album, Colt a diffusé sa propre émission radio, Planète Colt, sur tous ses réseaux (YouTube, Instagram, TikTok). Installés au milieu du hall de la Bourse de Bruxelles, Coline et Antoine ont tenu l’antenne de 13 à 20 heures, accompagnés d’une foule d’invités (Youssef Swatt’s, Helena, Charles, Zonmai, etc). Avant d’enchaîner le même soir avec un showcase et une release party. Ouf!
Colt fonce. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’a pas pris son temps. Dans une première vie, le binôme s’est d’abord présenté sous le nom de Coline et Toitoine, chantant en anglais. C’est en 2022 qu’il se rebaptise Colt, plus facile à prononcer à l’international. Et en profite pour passer au… français. Aujourd’hui, après une paire d’EP remarqués (Soma en 2021, Mille vies en 2023), il sort donc un premier véritable album. Coline au chant, Antoine aux machines, pour une douzaine de titres électro-pop, aux refrains exaltés et aux sentiments exacerbés. En un mot, intenses. «C’est marrant, c’est toujours la première chose qui revient quand les gens parlent de notre musique, s’étonne Antoine. Cela nous surprend toujours un peu, parce que pour nous, c’est un peu la base. On a l’impression que c’est ce que tous les artistes recherchent, l’intensité. Visiblement, ce n’est pas aussi évident que ça. Donc oui, on a bien dû se rendre compte que quand on met une émotion en musique, on essaie toujours de la faire ressentir au maximum. Que cela soit dans la joie ou la tristesse.» Dans un morceau aussi hargneux que Reboot, ou aussi désarmant que Demi-mot.
«On a l’impression que l’intensité est ce que recherchent tous les artistes. Visiblement, ce n’est pas aussi évident.»
La vie rapide
Dans le clip du morceau en question, le duo traverse la forêt à vélo, Coline à l’arrière, sourire doux-amer, collée à Antoine, regard rêveur. L’image est belle et illustre bien le lien entre les deux amis, 25 ans tous les deux. «On veille un peu l’un sur l’autre», résume Antoine. Même si les caractères et les personnalités divergent. D’un côté Coline, biberonnée à la chanson française, la pop et les comédies musicales. De l’autre Antoine, gavé de musique classique et de B.O. Elle, tout feu tout flamme –«depuis que je suis petite, mes parents me disent qu’avec moi, c’est toujours tout ou rien» (sourire). Lui, geek absorbé dans ses instruments et ses paysages sonores. Passés par la même école secondaire, ils s’y côtoient d’ailleurs à peine. C’est en retombant l’un sur l’autre, par hasard, lors de leur été post-rhéto, en 2017, qu’ils connectent. Et commencent à bosser sur la formule musicale qui pourrait le mieux leur correspondre.
Huit ans plus tard, le premier album de Colt revient sur cette trajectoire. Celle qui les a vus passer de l’adolescence à l’âge adulte. Avec tout ce que cela suppose comme bourrasques. A fortiori pour une génération confrontée aux pires angoisses –«Je suis en mission d’esquive/Je maquille le morose en plus festif/Excuse mon déni, c’est pour survivre», chantait Coline sur un précédent single, le tube Esquive. Des tempêtes qui peuvent être aussi intimes. Comme quand les chansons de Colt accompagnent le coming out de sa chanteuse –«Au fond, déjà tu savais toi» sur Petite féline. «Antoine a été un peu mon confident, pendant toutes les étapes du processus», confie Coline. «Au début du groupe, ce n’était pas du tout un sujet, embraie Antoine. Tu évoquais juste parfois le fait que ça t’énervait qu’on te dise que tu faisais « garçon manqué », etc. Et puis, petit à petit, il y a eu des réflexions, des rencontres, qui t’ont permis de passer du déni à l’acceptation, en privé puis en public.» Avec par exemple un titre clé comme La Salle aux lumières, en 2022, qui voit pour la première fois Colt chanter en français. «Tu as un peu posé la bande-son de tout ce processus, sourit la chanteuse. Je me rappelle à quel point j’ai été émue la première fois que j’ai entendu la maquette de cette chanson, de voir à quel point tu m’avais comprise.» Aujourd’hui, Coline transforme même cet épanouissement personnel en élan collectif, comme sur le titre Lionnes célébrant l’identité queer –«parce que ce n’est pas juste une question d’orientation, mais aussi de communauté, des personnes qui m’ont aidée et appris tout un tas de trucs.»
Sur Cœur saveur abîmé, Colt se penche plus généralement sur ce tout ce qui a été gagné en route, et ce dont il a fallu, à l’inverse, se délester. «On a composé l’album à un moment où tout s’est un peu accéléré autour de nous, explique Antoine. Tout à coup, notre musique était écoutée par beaucoup plus de gens. On s’est aussi lancés pour la première fois dans une vraie tournée. A un moment, on a eu un peu le contrecoup.» «C’est pour ça que l’album est découpé en trois partie: l’ascension, l’explosion et puis, la descente…», précise Coline.
Une forme de retour à la réalité qui les a poussés à réfléchir à un modèle de développement «durable». Histoire de continuer à faire briller la flamme tout en restant fidèle à ses valeurs. Coline: «Après cette année tumultueuse, je me suis demandé très concrètement pourquoi je voulais être chanteuse, qu’est-ce qui me poussait à vouloir me retrouver comme ça au centre des projecteurs? Ça a été un gros moment de réflexion. Aujourd’hui, je n’ai pas forcément toutes les réponses, mais je sais que cela ne peut pas seulement consister en trouver un maximum de visibilité. L’idée est quand même d’essayer tant bien que mal d’avoir une parole qui a du sens, qui peut éventuellement réunir des gens. Personnellement, je trouve ça compliqué d’être jeune aujourd’hui et de voir l’avenir de manière optimiste. Donc, j’ai envie de me battre contre ça avec la musique, en rassemblant plein de gens autour de messages positifs, et en créant de nouvelles narrations, de nouveaux paradigmes.»
Colt, Cœur saveur abîmé. distribué par Scot/Sony. Le 12 juillet au Lasemo, à Enghien, le 19 juillet aux Francos de Spa, le 28 novembre à l’OM, à Seraing, le 4 février 2026 au Centre culturel de Braine-le-Comte, et le 5 février à l’AB, à Bruxelles. 3,5/5