Du coffret maousse costaud de Bruce Springsteen au retour de Clipse, en passant par Juan Wauters ou la pop latine XXL de Karol G, retour sur les derniers coups de coeur du moment.
Clipse – Let God Sort Them Out
Seize ans se sont écoulés depuis Til The Casket Drops, le dernier album de Clipse, la fratrie composée de Pusha T et Malice. Et pourtant, même en étant absent, l’aura du groupe n’a fait que grandir. Il faut dire que la flamme a été entretenue par les disques solo impeccables de Pusha T, et une série de piques médiatico-musicales qui n’ont fait que renforcer l’image de rappeurs incorruptibles.
Pour leur grand retour, Gene (Malice) et Terrence (Pusha T) Thornton ont donc mis les petits plats dans les grands. Laissant la production aux mains de Pharrell Williams, en grande partie responsable de leur patte sonore décalée avec les Neptunes, ils rassemblent un casting cinq étoiles. Avec e.a. Kendrick Lamar (clinique sur Chains and Whips), Tyler The Creator, Nas, etc. L’entrée en matière de The Birds Don’t Sing peut faire douter les fans : évoquant le décès – à trois mois d’écart – de leur deux parents, les frangins invitent John Legend à emballer la fin du morceau, avec sa voix soul aux inclinaisons mainstream. Rapidement, Clipse retombe néanmoins sur ses pieds, pour incarner sa légende – à défaut de la sublimer. Avec leur flow incisif et menaçant, n’hésitant jamais à balancer une vacherie, les deux rappeurs habitent chacun des treize titres, arrivant au bout de l’album sans que l’on ait eu envie à d’en zapper un seul.
Distribué par Roc Nation
La cote de Focus : 4/5
Karol G – Tropicoqueta
Il y a tout juste un an, à l’occasion du chapitre belge de sa tournée, Karol G remplissait le Sportpaleis d’Anvers, rien que ça. C’est dire le succès que rencontre aujourd’hui la chanteuse colombienne, ici et dans le monde entier. Fille spirituelle de Shakira, elle enchaîne et revient aujourd’hui avec un cinquième album. Intitulé Tropicoqueta, il célèbre la pop latine sous toutes ses formes, régalant le fan, multipliant les portes d’entrée pour les novices.
Karol G le fait avec pas mal de charme et de romantisme –Ivonny Bonita, produit en partie par Pharrell Williams, ou, à l’autre bout du spectre, la bachata rétro d’Amiga Mia et l’accordéon de No Puedo Vivir Sin El évoquant le vallenato, genre traditionnel colombien par excellence. Plus loin, elle convoque également Manu Chao à sa table d’hôte (Viajando Por El Mundo) ou se lance dans un dembow grisant (Un Gatito Me Llamó). Sans oublier d’injecter également ici et là des notes d’humour et pas mal de second degré –de la pochette aux connotations vintage exotica à la vidéo très fifties du titre merengue Papasito. Bien sûr, le disque, copieux, ne s’éloigne jamais longtemps du blockbuster destiné à cartonner à l’international. Mais avec assez de personnalité et de caractère que pour tirer son épingle du jeu. ● L.H.
Distribué par Bichota Records.
La cote de Focus : 3,5/5
Juan Wauters – MVD LUV
«Hello everyone. Juan speaking. You are listening to my seventh studio album. MVD LUV aka Amor Montevideo. It’s 2024 and a lot has happened since my first release. This time around, you catch me in Montevideo. The city where I was born and grew up. This is the first time I get to record an album here.» Pour ouvrir sa dernière livraison en date, Juan Wauters fait les présentations et dresse le pitch de son disque sur une petite ritournelle entêtante. Brisant, tel un comédien au cinéma ou au théâtre, le quatrième mur qui sépare l’artiste de son public.
Nouveau champion du Do It Yourself, digne héritier de l’antifolk et fils spirituel de Jonathan Richman, Juan Wauters est l’une des personnalités les plus attachantes et solaires de la scène indé new-yorkaise. Le petit prince du Queens le confirme avec une courte demi-heure de musique et treize titres détendus du slip. Des chansons en anglais et en espagnol qui font penser à Kokomo (Cancion Mama), célèbrent l’artisanat et rendent confiance en la nature humaine. In the mood for LUV…
Distribué par Captured Tracks/Konkurrent.
La cote de Focus : 3,5/5
Bruce Springsteen – Tracks II : The Lost Albums
A 75 ans, Bruce Springsteen tient la grande forme. Toujours capable d’enfiler les concerts marathons, avoisinant les trois heures de show, il a confirmé la sortie d’un nouvel album l’an prochain. Et, pour patienter, il vient tout juste de lâcher un copieux coffret intitulé Tracks II: The Lost Albums.
Comme son titre le suggère, il succède à un premier volume. Publié en 1998, Tracks consistait en une série de démos, d’inédits et de versions alternatives d’une soixantaine morceaux enregistrés entre 1972 et 1995. Avec ce deuxième volume, Springsteen se montre encore plus généreux. Tracks II propose en effet quelque 83 chansons, dont 74 jamais entendues. Surtout, cet imposant corpus a été organisé en sept disques différents. Puisque, selon Springsteen, ils ont été imaginés tels quels, dès leur conception.
A cet égard, Tracks II n’est donc pas juste une collection d’inédits, comme l’industrie de la nostalgie en produit par paquets entiers chaque année. Mais bien une série d’albums, chacun marqué par une ambiance ou un son différent. «Un enregistrement (NDLR: « a record », en anglais) est exactement ce qu’il dit être, a expliqué Springsteen dans une interview au New York Times. C’est la trace de qui vous êtes et où vous êtes à un moment de votre vie. En l’occurrence, il s’agit ici de vrais disques qui reflétaient un moment, un genre –et qui tenaient d’un bloc–, alors que je bossais sur d’autres projets.» S’ils sont restés enfermés jusqu’ici dans les armoires du Boss, c’est avant tout à cause de questions de timing et d’agenda trop chargé. Mais certainement pas par manque de qualité. Du moins c’est ce que l’on constate rapidement en plongeant dans le coffret en question.
De l’americana décharnée des L.A. Garage Sessions ’83 aux paysages désertiques du magnifique Inyo, enregistré durant la tournée de The Ghost of Tom Joad, entre 1995 et 1997. En passant par l’escapade boogie/rockabilly de Somewhere North of Nashville, le crooning très new-yorkais de Twilight Hours ou les expérimentations de Streets of Philadelphia Sessions. Puisque, loin de l’image du rockeur américain pour stades, le Boss n’a jamais cessé de produire et d’explorer. Fidèle à son éthique prolo, mais aussi au besoin de se remettre en permanence en question et de tenter des choses, il est à la fois celui qui doute et celui qui console. Comme quand il chante, sur I’m Not Sleeping: «And when that bad wind, it comes blowin’ in/I pack my things and I move on again»…
Distribué par Sony.
La cote de Focus : 4/5