Chaton, la vulnérabilité passée à l’auto-tune

Chaton, ou comment exploser tous les carcans de la scène musicale française. © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Au fond du trou, laminé par des années passées dans les coulisses de la variét’ française, Simon s’est réinventé en Chaton, ronronnant des chansons osant l’auto-tune. Et une certaine vulnérabilité.

Ceci n’est pas un disque, c’est une île. Le genre de musique fabriquée en autarcie, seul dans son coin, là où les chansons sont moins composées qu’expulsées, voire expurgées. « Cet album, je l’ai écrit du fond de la piscine », glisse ce jour-là celui qui se fait appeler Chaton. Perché au dernier étage d’un hôtel bruxellois, il est venu chanter une paire de titres devant quelques journalistes curieux. Devant lui, un micro et quelques machines. Dans son dos, les toits gris de la ville. « Au bord de la faillite/Je continue d’écrire des poésies », lâche-t-il en contre-jour, la voix chancelant sous l’auto-tune. Dehors, la neige se met à tomber…

On dit que les chats ont sept vies. Si c’est le cas, alors Chaton en est au moins à sa deuxième. Celle-ci commence aujourd’hui, avec Possible, disque de chansons ultra-personnelles au minimalisme radical. Le premier degré y fait office d’outil de subversion, et l’auto-tune de principal repoussoir pour les gens accrochés au bon goût. De fait, avec sa voix déformée, Chaton fait volontiers penser aux rappeurs de PNL. Mais aussi à la fausse naïveté d’un Mathieu Boogaerts ou aux plans chansons chelous d’un Christophe. À bien des égards, il correspond aussi parfaitement à cette nouvelle scène musicale française qui a décidé d’exploser tous les carcans, de flouter toujours plus les frontières entre les genres.

À ceci près que Chaton, 34 ans, n’est pas tout à fait un nouveau venu. Un peu comme Juliette Armanet (ils ont un an d’écart), qui a longtemps louvoyé avant de sortir Petite amie, album-révélation de l’année lors des récentes Victoires de la musique, Simon Rochon Cohen de son vrai nom, a roulé sa bosse. Compositeur de l’ombre, il a notamment longtemps traîné dans les coulisses de la variété française. Il a réalisé un album entier pour Yannick Noah, un autre pour la Québecoise Natasha St-Pier et pondu des tubes pour Jenifer (Je danse) ou Amel Bent (Sans toi). Gloups.

Sous le nom de Siméo, il a également sorti plusieurs disques, en mode variét-reggae. Une carrière dont il reste sur le Net une page wikipédia (« Il est alors comparé, par sa voix, à Mano Solo, Riké de Sinsemilia ou encore Guizmo de Tryo », à propos de son premier album en 2003), et une série de clips ne dépassant pas les quelques milliers de vues. Aujourd’hui, il assume toujours. « ça me correspondait à l’époque. J’ai commencé à faire des disques à 17 ans, en prenant le parti de montrer mes brouillons. Je me suis toujours dit que si j’attendais d’avoir écrit le truc « ultime », je risquais d’attendre longtemps. Les artistes que j’admire le plus sont ceux qui n’ont cessé de chercher, pour parvenir au final à dire immensément de choses avec juste du noir sur une toile. Mais pour arriver à ce stade, c’est le travail d’une vie… Aujourd’hui, j’ai de la tendresse pour ces premières chansons. Même si je ne peux évidemment plus les écouter… » Nous non plus.

Veni, vidi, vomi

Pour être tout à fait honnête, il reste encore des traces de ce passé dans le premier album de Chaton: les accents feelgood-feu de camp d’une chanson comme Pas le feu, l’amour pour le reggae… Pour autant, Possible ne pourrait être plus éloigné des autoroutes formatées de la variétoche française. La première fois qu’on a entendu Chaton, c’était d’ailleurs sur une compilation de La Souterraine, « label » qui fouille les franges les plus singulières et « underground » de la chanson française. Benjamin Caschera, l’un de ses cofondateurs: « C’est Simon qui m’a envoyé son disque, en me disant qu’il suivait nos activités, qu’il aimait bien et aurait bien aimé avoir mon avis. Je n’étais pas fan de Siméo -à l’époque, le disque était encore sous ce nom-là. Mais j’ai écouté et j’ai vraiment trouvé ça super original. » La Souterraine choisira Poésies comme single étendard, morceau « unique, hybride de pas mal de musiques ». Débutant a capella, il est assez représentatif du spleen mélodique pratiqué par Chaton. Arquées sur une sorte de dub polaire, ses chansons se promènent sur le fil, toujours au bord du précipice.

C’est par exemple la plainte de Pas de doute, qui claque la porte de sa vie précédente, quand il était faiseur de tubes. On devine la concession de trop, la frustration de buter en permanence contre des murs. « Est-ce que tu as lu l’e-mail/Où ils voulaient changer à peu près tout », soupire-t-il. Sur le refrain, il chante littéralement le dégoût « Veni, Vidi, vomi, fin de l’histoire ». « C’est quand même souvent la parole à quelques-uns qui n’ont pas de goût », conclut-il encore. « J’ai eu des succès mais en sachant très bien que je n’étais pas au bon endroit. Ce qui est un sentiment très désagréable. Et puis j’ai tellement d’amour pour la création, et l’art en général, que c’est horrible de voir quelqu’un qui n’a pas le bagage imposer son avis. Dans les industries dans lesquelles j’ai travaillé, le final cut n’appartient pas à ceux qui sont les plus pertinents créativement. Il est dans les mains de personnes essentiellement guidées par des principes de marketing et qui, la plupart du temps, cultivent un mépris du public. Je ne suis pas en train de dire que la chanson populaire, ce n’est pas bien: j’en ai fait toute ma vie. On y trouve aussi des gens sincères, intègres. Mais ils sont de plus en plus court-circuités par d’autres qui essaient juste de rentrer des choses dans des cases pour au final vendre toujours plus de Coca-Cola. »

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Par procuration, Siméo a eu la reconnaissance, l’argent et la gloire. Chaton se contente de la justesse des sentiments. En cela, Possible ne se résume pas aux ruminations d’un auteur frustré, broyé par la Machine – « Tes idoles, je les connais/Je bois des cafés avec eux/Tu s’rais déçue si tu savais » (N’importe quoi). Portant sa vulnérabilité fièrement en étendard, il raconte aussi comment la vie finit toujours pas vous rattraper et vous oblige aux ajustements. « Depuis que je suis gamin, la musique a toujours été le monde dans lequel je me suis réfugié. Jusqu’à ce que, à un moment, l’existence vous prenne et vous balance dans la tempête, sur un radeau. Et là, vous avez moins l’opportunité, le temps ou simplement les couilles de continuer à vous accrocher à ça. Pour le dire autrement, passé 30 ans, vous n’avez pas le droit d’être faible. Vous êtes censé avoir calibré votre vie, être sur des rails. » Pour Simon, c’est au contraire le trou noir. « J’étais vraiment au bord de la faillite, pas seulement économique, mais aussi émotionnelle. » Il fallait une rupture, retrouver la connexion entre l’intention et le résultat. Quitte à descendre au sous-sol pour mieux remonter. « J’ai appelé mes copines, Sébastien et Jérémie/Ils m’ont dit ça fait longtemps qu’on ne t’avait plus trop vu/Dis, c’était comment tout au fond/Est-ce que ça t’a plu? », chante-t-il sur J’attends en bas. « Ce disque m’a sauvé la vie », confie-t-il encore . Ni plus ni moins.

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Full sentimental

C’est en octobre 2016 qu’il commence à écrire les premières bribes de chansons. Quand il comprend qu’il tient peut-être un disque, il marque une pause. « Pendant un mois et demi, je me suis préparé une petite « cuisine » assez précise. Je me rappelais notamment d’une interview de Damon Albarn expliquant que pour le premier album de Gorillaz, il avait choisi une guitare, une basse, une boîte à rythme, pour éviter de s’éparpiller. J’avais envie de la même cohérence. » Une fois le terrain de jeu circonscrit, Chaton peut se lancer. Le propos est sombre, mais le décor jamais plombant pour autant, s’inspirant notamment de quelqu’un comme Nicolas Jaar, « et de sa manière de faire du chaud avec du froid ». « À la base, j’adore les musiques de « transe », tout ce qui se rapproche des musiques électroniques, tout le reggae, le dub, le hip-hop, etc. Des musiques où la structure harmonique ne bouge pas et où ce sont les vocaux qui font les décroches harmoniques. Sur ce disque, par exemple, je me suis imposé une contrainte de 16 mesures, et je décroche tout le temps à la voix. »

En outre, cette voix est filtrée en permanence par l’auto-tune, outil de correction vocale honni dans le rock ou la pop, mais largement adopté par le hip-hop. « Quand j’ai essayé, j’ai compris plein de choses. C’est comme les petites roues sur un vélo, vous pouvez aller où vous voulez, elles vont toujours vous accompagner. Ce n’est pas une histoire de chanter juste, c’est le fait de pouvoir vous amener ailleurs, d’ouvrir un nouveau champ des possibles harmoniques. »

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Le rappeur Kanye West en avait fait le principal vecteur de ses tourments intérieurs et autre peine de coeur sur l’album 808s & Heartbreak. De la même manière, Chaton l’utilise pour mieux raconter son spleen, ne quittant son petit appartement que pour errer sans but dans les rues de Paris. « J’ai grandi à Lyon. Et comme pour tout provincial, Paris reste le rêve ultime. Je l’aime certainement plus que les Parisiens. » Ce qui n’empêche pas de s’en servir comme décor pour chanter une certaine mélancolie urbaine, et tout ce qui va avec: ses rencontres foirées, ses soirées avinées, etc.

En filigrane est ainsi évoquée une certaine forme de solitude ultra-contemporaine, où il est très facile de se retrouver seul dans la foule. « J’fais plus jamais d’effort/Je n’aime plus trop les gens/J’m’ennuie comme un rat mort », chante-t-il dans le clip de Poésies, circulant en Vespa entre les barres de banlieues désertes, à la manière d’un Nanni Moretti dans son film Journal intime. C’est d’ailleurs bien de cela dont il est question avec Possible: un journal intime dont l’intéressé n’a jamais pensé qu’il pourrait devenir un jour un disque. À bien des égards, c’est cette « innocence » qui fait toute sa force. Et lui donne toute sa résonance. « Aujourd’hui, j’ai réussi à me sauver. Avec cette nouvelle reconnaissance, ce mini-adoubement médiatique, ces dates de concert qui se multiplient, je suis même sur un petit nuage. Mais quand je me suis lancé, j’étais très loin de tout ça. Quand vous faites ce genre de disque, de la manière dont je l’ai réalisé, un peu seul au monde, dans ma bulle, vous n’avez pas l’impression de vous adresser aux gens. Alors qu’en fait, cette espèce de solitude contemporaine, tout le monde la partage. J’ai pu m’en rendre compte, ne serait-ce que par le nombre de personnes qui m’ont envoyé des messages depuis que Poésies est sorti, pour me dire à quel point le morceau les avait touchés. ça donne de l’espoir. ça veut dire qu’on peut aussi faire des choses qui viennent du coeur et qu’elles trouvent un écho. »

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Chaton, Possible. distr. Sony. En concertle 04/05, aux Nuits Botanique. ****

L’auto-tune était prémédité

L’auto-tune a mauvaise presse? C’est peu de le dire. Il n’y a pourtant pas que les rappeurs, de Booba à PNL, à en avoir adopté les gimmicks vocaux, voisins du vocodeur.

Christophe

Fou de son, adepte de cathédrales musicales extravagantes, Christophe ne pouvait que se frotter à l’auto-tune. En 2016, notamment, son album Les Vestiges du chaos multipliait les inflexions robotiques. De Définitivement à Océan d’amour, l’auto-tune ajoute une touche métallique à l’univers beau bizarre du maestro Bevilacqua. « Je suis le plus pur/Je vous rassure/Le plus embrasé/Que la terre ait porté »

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Benjamin Biolay

Horreur! Malheur! En 2017, l’esthète Biolay se prend une volée de bois vert, accusé de pomper l’esthétique des rappeurs prolos de PNL. C’est vrai que le morceau Hypertranquille -et son clip- multiplie les clins d’oeil plus ou moins appuyés. En vrai, le bonhomme n’a jamais caché son amour du hip-hop. « Là, c’était pour faire marrer ma fille qui pense que je suis déjà un énorme ringard à 44 ans, et qui n’aime que Nekfeu. J’ai voulu lui montrer que moi aussi je pouvais. » Ou pas.

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Jean-Louis Murat

S’il a commencé sa carrière entouré de synthés new wave (Cheyenne Autumn), Jean-Louis Murat a rapidement viré sa cuti pour ne plus jurer que par les guitares. L’an dernier, il replongeait cependant dans les machines avec le suicidaire Travaux sur la N89. Le parti pris électronique y est radical, tant les morceaux déstructurés s’écartent de toute ligne mélodique claire. Dans cet énorme coup de bluff, ce grand râleur de Murat se laisse même aller à quelques envolées à l’auto-tune.

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