Cardi B qui signe son grand retour, Cate Le Bon soignant ses plaies, Zwangere Guy à coeur ouvert, Kassa Overall revisitant des standards rap en mode jazz : coup de projecteurs sur quelques-unes des sorties du moment
1. Cardi B – Am I The Drama?
Pour le meilleur comme pour le pire, Cardi B a toujours constitué un personnage bigger than life. Une extension spectaculaire de la jeune Afro-Caribéenne née Belcalis Marlenis Almánzar Cephus (1992, New York). A moins que, pour une fois, ce ne soit l’inverse? A tous ceux qui lui font allégeance, la pop a l’habitude d’offrir une cap de super-héros. Dans le cas de Cardi B, les coutures du costume de superstar semblent régulièrement craquer, tentant de contenir la personnalité débordante de la gamine du Bronx qui a dû se battre pour sortir de la galère.
Même si sept années se sont écoulées depuis Invasion of Privacy, Cardi B n’a ainsi jamais vraiment quitté le devant de la scène. Que ce soit pour des raisons extramusicales : sa relation avec le rappeur Offset; ses prises de position politiques (soutien de Bernie Sanders, elle a même interviewé Joe Biden en 2020 pour le magazine Elle); ou encore son récent procès pour agression contre une agente de sécurité, qui aura eu le don de régaler les réseaux. Mais aussi en sortant des singles, comme WAP avec Megan Thee Stallion en 2020, ou Up l’année d’après.
Les deux tubes sont d’ailleurs repris dans son tout nouveau Am I The Drama?. Histoire d’assurer la prise? Dès l’ouverture, sur Dead, la rappeuse balance, hargneuse : «Je collectionne les sacs mortuaires comme les sacs à main.» Plus loin, sur Better Than You, accompagnée de Cash Cobain, elle rajoute encore une couche de bling-bling: «Toutes mes voitures ont leur propre chauffeur.» Blockbuster avoué, Am I the Drama? n’est heureusement pas qu’une entreprise d’autoglorification en roue libre. Entre stupeur trap et tremblement r’n’b (la vibe eighties d’Imaginary Playerz), on y trouve autant des moments de pur fun –Bodega Baddie, mélangeant emballement salsa et beat jersey club–, que des titres plus personnels –Safe, avec Kehlani, ou Man of Your Word. Certes, avec ses 23 titres, Am I the Drama? est inégal et beaucoup trop long. Mais on parle bien d’un disque de Cardi B, pop star qui, contrairement à nombre de ses collègues, n’a pas encore verrouillé tous ses canaux: comment imaginer qu’il n’allait pas déborder? ●
Distribué par
La cote de Focus : 3,5/5
2. Cate Le Bon – Michelangelo Dying
Chanteuse à la voix singulière, multi-instrumentiste magique et productrice en vue (Deerhunter, Devendra Banhart, St. Vincent, Wilco ou plus récemment Horsegirl ont eu recours à ses talents), Cate Le Bon est l’une des artistes les plus précieuses et fascinantes de la scène rock indépendante. Né d’une déception amoureuse, son septième album est une tentative de photographier une blessure avant qu’elle se referme. Non sans trifouiller dans la plaie. «La séparation a été comme une amputation salvatrice», avoue celle qui refusait d’écrire un disque ayant l’amour comme toile narrative mais a fini par considérer la démarche comme un exutoire.
Enregistré avec Samur Khouja entre Hydra, Cardiff, Londres et Los Angeles avant d’être terminé dans le désert californien, l’endroit auquel Cate associe le paysage et le chagrin de ses nouvelles chansons, Michelangelo Dying est à sa façon un disque pop. A la fois méditatif, accessible, flottant, riche, triste et réconfortant. Un album synonyme de renaissance. ● J.B.
Distribué par Mexican Summer. Le 9/11 au Botanique (Bruxelles).
La cote de Focus : 3,5/5
3. Zwangere Guy – Dit is Guy.
Le rap flamand, terra incognita de ce côté-ci du sillon Sambre et Meuse ? Largement. A une exception près : Zwangere Guy (et, à la limite, son groupe Stikstof). C’est le premier exploit de Gorik van Oudheusden : avoir fait passer la frontière linguistique à son personnage de rappeur zwanzeur bordeline. L’autre prouesse du Bruxellois est plus personnelle. Après avoir brûlé la chandelle par les deux bouts, il a réussi à se réinventer. Sobre, ultra-fit (35 kilos en moins), Guy Enceinte est aussi devenu papa. Cette transformation est au centre de Dit is Guy.
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Un cinquième album qui fonctionne en miroir de son tout premier, Wie is Guy ? Après avoir craché sa rage sur sa mère démissionnaire sur Gorik Pt1, il profite par exemple de Gorik Pt2 pour se réconcilier (citant au passage le Je t’attends d’Axelle Red). Sur Papucho, il n’est pas dupe : « Tout ce que j’ai réussi, c’est grâce à vous et mon équipe/Même s’ils me disent aussi : ‘Gorik je n’écoute plus parce que t’es devenu un peu trop mainstream’ ». Assagi, le Guy ? Plus posé sans doute, mais pas « dompté » pour autant, toujours capable d’une blague un peu lourdingue (Vous êtes zot, clin d’œil au Mais vous êtes fou de Benny B…) ou d’un coup de sang, samplant Channel Zero sur Vecht Voor Papier. ● L.H.
Distribué par Universal. Le 4/03, à Forest National (Bruxelles)
La cote de Focus : 3,5/5
4. The Divine Comedy -Rainy Sunday Afternoon
S’il n’avait plus sorti d’album depuis Office Politics, disque de pop synthétique paru il y a six ans déjà, Neil Hannon était tout sauf en train de se la couler douce. En 2020, le dandy nord-irlandais a fêté ses 50 ans et ses 30 ans de carrière avec la réédition des neuf premiers albums de The Divine Comedy dans un coffret agrémenté d’inédits. Il a ensuite célébré le tout avec des concerts rétrospectifs et un best-of avant de composer la bande originale du film Wonka.
Au revoir les synthés. Enregistré à Abbey Road, Rainy Sunday Afternoon le bien nommé marque l’heure des retrouvailles avec ses volontés orchestrales, sa sophistication et ses envolées instrumentales. Piano à queue, voix à tomber, cordes ambitieuses et choeurs dignes de l’armée rouge… Dimanche après-midi pluvieux est un disque de crooner raffiné et distingué. Parfois too much certes mais d’une beauté classe et réconfortante. Qu’il évoque les taquineries de son épouse (The Man Who Turned into a Chair) ou la confusion mentale de son père (The Last Time I Saw the Old Man)… ● J.B.
Distribué par Divine Comedy Records. Le 17/3 au Cirque royal et le 25/3 à l’Aéronef (Lille).
La cote de Focus : 3/5
5. Kassa Overall – Cream
Pour faire bouillir sa grande marmite à samples, le rap a toujours largement pioché dans le jazz. De A Tribe Called Quest à Kendrick Lamar en passant par Gang Starr, Madlib ou les Beastie Boys, tous ont trouvé dans le genre matière à rapper des sommets. Pendant longtemps, l’inverse fut moins vrai. Rares étaient les jazzmen qui daignaient jeter une oreille sur les productions hip-hop. Les choses ont heureusement évolué. On en veut pour nouvelle preuve le dernier album du batteur, producteur (et aussi rappeur), Kassa Overall.
Avec Cream –oui, comme le classique du Wu-Tang Clan–, Overall revisite sept standards rap, plus une reprise du Freedom Jazz Dance d’Eddie Harris. Accompagné de deux saxos (le soprano d’Emilio Modeste, le ténor de Tomoki Sanders), une flûte (Anne Drummond), un clavier (Matt Wong), deux basses (Jeremiah Kal’ab, Rashaan Carter) et de percussions (Bendji Allonce aux congas), Kassa Overall évite le disque anecdotique en fournissant des versions toujours engagées. Et de donner, par exemple, des airs latin jazz au Big Poppa de Notorious B.I.G, d’amener le tube Nuthin’ but a « G » Thang sur des terres quasi spiritual (!) ou de secouer le SpottieOttieDopaliscious d’Outkast sur un groove hard bop. Jouissif. ● L.H.
Distribué par Warp.
La cote de Focus : 4/5
6. Lady Wray – Cover Girl
Découverte à l’âge de quinze ans par la rappeuse Missy Elliott dans les années 90 et catapultée dans le top 5 des charts américains dès son premier single Make It Hot certifié disque d’or en six semaines, Nicole Monique Wray avait tout pour devenir l’une des reines du R&B au tournant du siècle. Après moult déboires avec l’industrie discographique, la chanteuse originaire de Virginie a fini par trouver un partenaire de jeu idéal en la personne de Leon Michels, co-fondateur des labels Truth & Soul et Big Crown, collaborateur de Sharon Jones et Charles Bradley, producteur pour Norah Jones et Freddie Gibbs.
Nicole dit avoir retrouvé l’esprit qui l’animait lorsqu’elle a commencé à chanter le gospel dans la chorale de l’église de sa ville natale mais Cover Girl, leur troisième disque ensemble, est tout autant une question de pop, de soul, de funk, de disco, de hip hop et de R&B des années 90… Vintage et moderne à la fois.● J.B.
Distribué par Big Crown/Konkurrent.
La cote de Focus : 3,5/5