Capitane, un label musical en circuit court, du producteur au consommateur

Nicolas Michaux et Grégoire Maus ont lancé la coopérative Capitane. © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Alors que l’ogre Universal vient d’intégralement avaler Pias, Capitane tente le coup de la coopérative et de l’économie sociale. Nicolas Michaux (s’)explique.

Au milieu des années 2000, Nicolas Michaux avait vendu 12 000 CD’s avec son groupe Été 67. Aujourd’hui, en solo, il représente 120 000 auditeurs ou 293 000 streams par mois sur les plateformes. Et son single Amusement Park a été écouté plus de 4,5 millions de fois sur Spotify. Le problème, c’est que ça ne paie pas. Ou du moins très peu. « On s’est totalement fait voler notre modèle économique. Avant, il fallait acheter les disques pour savoir ce qu’il y avait dedans. Maintenant plus besoin. Je viens de sortir un album dont on parle pas mal, mais le nombre de ventes physiques est ridicule. Parce que tout le monde va sur Spotify. L’industrie musicale aujourd’hui est structurée autour des grandes plateformes digitales, de gigantesques multinationales. Tandis que de l’autre côté (sur le physique), 75 % du marché est géré par trois entreprises. Il y a de moins en moins de place pour l’indépendance. »

Au départ, juste avant la pandémie, Nicolas et ses amis avaient lancé un label. « On collaborait avec Turner Cody, avec Clément Nourry et d’autres musiciens depuis pas mal d’années. Mais à chaque fois qu’on parlait diffusion, c’était chacun dans son coin. Alors on a lancé Capitane et on s’est très vite rendu compte qu’on avait une raison d’être, qu’on répondait à un besoin. »

Contacté par un tas de musiciens désireux de rejoindre la structure, Capitane est rapidement passé de trois ou quatre projets à une dizaine d’artistes. Juicy, Robbing Millions, Great Mountain Fire, Monolithe Noir… « Pendant deux ans, on a mis la gomme sur les sorties de disques. Mais malgré toute la bonne volonté et les signaux positifs, ça restait dans les limites de ce que le DIY avec trois francs cinq sous et des heures supplémentaires prises sur les week-ends et les soirées peuvent permettre. »

Assez vite, parce que, comme son comparse Grégoire Maus, il est sensible à l’économie sociale, à ce qui peut se faire dans le domaine de l’agriculture notamment, Nicolas Michaux s’est penché sur le modèle de la coopérative. « Au festival de professionnels Eurosonic, je me suis rendu compte qu’avec notre sac à dos et nos petits moyens, on n’avait aucune chance dans un milieu qui était de plus en plus centralisé, dans une logique d’investissement massif et en quête de retombées financières. On devait s’organiser pour monter une vraie entreprise. Mais dès qu’on a commencé à se renseigner, le côté start-up, trouver des investisseurs et montrer qu’on était rentables ne nous a pas du tout parlé. Je pense que Grégoire et moi, on a découvert qu’on était des entrepreneurs, mais des entrepreneurs qui détestent le capitalisme. On aime bien mener des projets, faire des trucs, aider les choses à avancer, mais le côté compétitif et rentabilité à court terme représente tout ce qu’on déteste. »

Ils sont dès lors partis frapper à la porte de coopératives pour voir comment elles fonctionnaient et s’organisaient. Puis vérifier que le modèle était transposable à leur réalité. « La seule coopérative dont j’ai connaissance qui pourrait ressembler à la nôtre s’appelle Grand Bonheur et est basée à Marseille. Mais je n’ai découvert son existence qu’il y a un mois et demi. Donc, elle n’a pas vraiment informé l’incubation du projet. Par contre DynamoCoop, tout ce qui s’est fait autour du Kultura et Gérard Fourré qui gère le Comptoir des Ressources Créatives en Wallonie nous ont inspirés. À Liège, il y a énormément de choses intéressantes en autogestion et de prise en main des problèmes de façon collective. On a par exemple contacté l’équipe de Vin de Liège qui nous a expliqué comment elle arrivait à mobiliser ses coopérateurs pour les vendanges. »

Makers and lovers

Under The Reefs Orchestra, un groupe sur le label Capitane. © DR

Le slogan de Capitane a toujours été « From music makers to music lovers« . Un côté circuit court, directement du producteur au consommateur. Avec des musiciens qui s’auto-organisent, qui s’autogèrent et qui diffusent directement vers le mélomane. Capitane Coop entend rassembler tout ce beau monde. Avec d’un côté des créateurs de musique, des techniciens, des musiciens, des gens de l’image. Et de l’autre des mélomanes. Il existe ainsi deux grands types de parts. Les parts « music makers » coûtent 500 euros. Elles donnent droit aux différents services de la coopérative comme le label Capitane Records (« Il y en aura peut-être d’autres à un moment sous la coupole Capitane Coop »), la maison d’édition musicale Capitane Music et la boîte de booking (The Rocket House) en cours de lancement. Elles offrent un accès privilégié à moindre coût au studio (The Free House) installé à Auderghem dans les anciens locaux des Girls In Hawaii. Il est aussi question d’investir dans des vans de tournée, de gagner en indépendance sur la création de contenu vidéo, d’investir dans une sono alimentée par des panneaux solaires et de collectiviser le merchandising en mode design et écolo. « Jusqu’ici, avec Grégoire, on décidait de qui venait sur le label. Mais il va y avoir un vrai comité artistique qui prendra les décisions de façon démocratique. Le but est clairement de répondre aux besoins des artistes et de pérenniser leur carrière en leur évitant la précarité et en leur donnant la liberté d’agir. La liberté de créer. »

Les parts « music lovers » s’élèvent, elles, à 125 euros avec la possibilité de défalquer 45 % de son investissement. Elles offrent des ristournes sur les disques et les événements, des contenus exclusifs et des rendez-vous réservés. « En gros, c’est rejoindre une communauté. Bénéficier d’un certain nombre d’avantages et évidemment aussi savoir qu’on soutient une alternative dans l’industrie culturelle. »

Capitane Coop est une coopérative agréée comme entreprise sociale. Une personne une voix. Celui qui y possède plusieurs parts n’y a pas davantage de pouvoir que les autres. Pour que les projets ne soient pas conduits par l’appât du gain, les dividendes sont limités à 6 % de la valeur de la part par an. Et si les gens veulent reprendre leur argent, la plus-value est limitée à 100 %. Il est par ailleurs interdit de retirer sa participation si on met en danger l’entreprise.

Pour l’instant, la levée de fond citoyenne s’élève à 44 000 euros sur un objectif de 100 000 d’ici fin janvier et la campagne n’a pas ouvertement commencé. Une soirée de lancement public est prévue le 10 janvier à l’Atelier 210. « Au total, on a besoin de 660 000 euros pour que le projet tel qu’on l’a écrit puisse se développer, que cinq équivalents temps plein puissent être engagés. Par bonheur, pour le moment, on en prend la direction. »

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