Après avoir longtemps écrit pour d’autres, la Bruxelloise Camille Yembe sort enfin son premier EP, Plastique. Présentation d’une nouvelle star en puissance, bien décidée à étirer les contours de la pop francophone.
Camille Yembe adore les transports en commun. Samedi dernier, pour fêter la sortie, la veille, de son tout premier EP, elle a par exemple donné un concert au milieu de la Gare centrale, à Bruxelles. Quelques mois auparavant, pour son morceau Encore, elle a également tourné une vidéo dans une rame du métro de la Stib. Cela doit être son côté prolétaire. «Je ne suis pas de l’élite», insiste-t-elle crânement sur le morceau en question. A moins que ce ne soit par souci de développement durable –en route vers le succès, oui, mais en privilégiant la mobilité douce.
Peu importe, la trajectoire est tracée. Depuis quelques mois, la chanteuse déploie en effet sa star quality partout où elle passe –que ce soit dans le studio de France Inter ou sur la scène de l’Olympia (en première partie d’Adèle Castillon). Mélodies pop accrocheuses, productions imprévisibles, énergie contagieuse: la jeune femme a du caractère et de l’envie. Une fougue et un charisme qui n’ont pas laissé insensible ses pairs. Pas n’importe lesquels, en plus. De Stromae à Shay, en passant par Angèle ou Damso, tout le monde lève le pouce pour Camille Yembe.
Son premier soutien se nomme cependant Gandhi, éminence du rap belge. En 2016 déjà, il l’invitait sur le titre 4 saisons, sur son album Texte symbole. Depuis, chaque fois qu’on croisait le rappeur, il vantait les qualités de sa protégée. Mais sans que rien ne se concrétise réellement. De fait, jusque récemment, c’est surtout dans la musique des autres que Camille Yembe s’est fait la main. Par exemple en écrivant pour la tête d’affiche française Tiakola ou en se retrouvant en studio avec Damso pour l’album d’Eva Queen. Comme planquée en coulisses. De peur de faire le grand saut? C’est qu’il en faut du temps et du cran pour se lancer, surtout quand l’existence vous bouscule. «Pendant longtemps, j’avais trop d’urgences dans ma vie pour m’y mettre à 100%…»
Hors format
Métisse belgo-congolaise, Camille Yembe naît (en 1997) et grandit à Bruxelles, avant de s’installer avec sa mère à Tubize, à l’adolescence. La pop arrive d’abord via YouTube et les télécrochets. Elle est fan, par exemple, de Rachel Crow, candidate de première saison américaine de X-Factor, en 2011. «Je découvre une gamine métisse, qui a plus ou moins mon âge et a l’air de venir d’une famille modeste. Cela me suffit pour m’identifier et m’imaginer vivre le même type d’ascension.» La musique la fait rêver. Quand elle quitte le foyer familial à 16 ans, elle va aussi lui servir de bouée de secours, grattant pendant des heures des reprises sur sa guitare.
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Un jour, elle se décide quand même à forcer le destin et envoie une vidéo à Gandhi. «Il m’a répondu… plusieurs mois plus tard, en me disant qu’il était occupé à bosser sur son album, mais qu’il aimerait bien me rencontrer pour tester des morceaux. Puis à nouveau plus rien pendant plusieurs semaines. J’ai fini par lui renvoyer un message pour lui dire que je partais à Kinshasa durant l’été, et que je ne pourrais donc probablement pas collaborer. C’est là qu’il me répond qu’il sera justement lui aussi à Kin, pour enregistrer au même moment!» La connexion est établie. Les deux ne vont plus se lâcher. Gandhi pousse alors la jeune femme à écrire ses propres textes: «Il me disait: « Quand je vois ta vie, que je t’écoute, je ne peux pas concevoir que tu n’écrives pas tes propres chansons. » Sans lui, je n’aurais jamais osé penser que j’en étais capable.»
Kit de survie
Un jour, il l’appelle pour lui annoncer que la chanteuse (et comédienne, notamment dans la série Dix pour cent) Stéfi Celma veut enregistrer l’un de ses morceaux. «Au départ, j’ai répondu « non, merci », je ne saisissais pas trop l’intérêt. Je ne connaissais pas encore bien le « game », comment il fonctionne, et ce que peut rapporter ce genre de placement.» Au moins en termes de reconnaissance. Sur le plan financier, il faut encore un peu attendre. L’apprentie chanteuse multiplie les petits jobs pour remplir le frigo. «Dans la vente, les bars, etc. Bref, le schéma classique que je voulais absolument éviter. J’ai fini par trouver un job plus stable dans un call center de Vivaqua. Sécurité d’emploi, avantages, chèques-repas, la totale. Sauf que ça m’a vite déprimée. Au bout de quatre ans, j’étais moralement épuisée.»
Elle finit par démissionner et joue le tout pour le tout. Avec celui qui devient alors son manager, Gandhi, il s’agit de trouver sa patte, affiner son son. En décembre, Camille Yembe lâche officiellement un premier morceau, Plastique. Une balade torturée aux synthés romantiques, roulant les «r» comme un Stromae au féminin, évoquant tous les masques que l’on arbore pour tenir bon en société. Quelques mois plus tard, changement de décor: avec son refrain et sa production saturée, électrisée par un riff grungy, le single Encore joue l’offensive et revendique: «plus de succès, plus de posters de moi ». Elle explique : « Dès le départ, quand on a commencé à travailler, j’ai insisté pour que la musique reflète ce que je suis, dans toute ma diversité.» Soit une jeune femme biberonnée à la pop, fan de rap, mais aussi de Thom Yorke, dansant sur du Aphex Twin ou déclarant sa flamme pour la musique d’Aznavour –«Je n’ai jamais écouté beaucoup de chanson française. Mais la première fois que j’ai entendu La Bohème, j’ai fondu en larmes, premier degré!»
Changement de paradigme
Cet éclectisme, Camille Yembe le revendique. Ce qui ne reste toujours pas évident dans une industrie musicale qui aime ranger dans des cases –surtout quand vous êtes une jeune femme noire… «Où sont-elles dans la pop francophone? Je ne parle pas de r’n’b, ou de rap, etc. Récemment, une grosse radio française a refusé de rentrer mon morceau Coups de soleil, parce j’avais un profil trop « urbain ». C’est marrant parce que le titre en question est quand même très pop-rock…»
Heureusement, on a quand même l’impression ces derniers mois que les choses évoluent. Avec, entre autres, les succès de personnalités atypiques telles l’Américaine Doechii ou la Franco-Congolaise Theodora. Et bientôt Camille Yembe? «J’ai conscience que si ça pète, que j’arrive à un certain niveau, je vais représenter quelque chose pour toute une communauté. Qui n’est d’ailleurs pas qu’une question de couleur de peau. Mais aussi de mood, de manière de s’exprimer, et d’une génération qui a toujours écouté de tout…» ●
Camille Yembe, Plastique, distribué par Tie Break Music/Pafff Music. Les 28 et 29 juin à Couleur Café (Bruxelles), le 20 juillet au Dour festival, le 23 aoûtaux Solidarités (Namur), le 17 octobre au Botanique (Bruxelles).