Booba, dark saveur
Au BSF, le rappeur a déroulé ses rimes misanthropes, avec son charisme habituel. Noir, c’est noir…
Peur sur la ville. Pour sa deuxième soirée sur la place des Palais, le BSF avait décidé de monter une affiche entièrement rap. Un minimum pour ce qui, en 2019, est devenu le genre-roi, mais qui sent apparemment toujours le soufre: le festival annonçait ainsi une sécurité renforcée pour les concerts de mercredi. De fait, la « maréchaussée » était présente et visible, autour et dans l’enceinte de la scène principale du festival – nettement plus en tout cas que la veille pour le concert de Christine & The Queens… Des uniformes alignés pour canaliser la foule, largement mixte, vaguement métissée, de jeunes vingtenaires-trentenaires bcbg et autres hipsters venus gentiment pogoter sur le pavé bruxellois, notamment devant Columbine ou Caballero & JeanJass…
En l’occurrence, cela faisait un moment que l’on n’avait plus vu ces derniers sur scène. Désormais, les frères pétards du rap belge ont mis au point ce qui s’apparente à une vraie « scénographie »: avec toujours l’avant d’une bagnole servant de dj booth pour l’ami Eskondo, mais également un pied de micro (oui, oui, sur Un endroit sûr), et une cabine téléphonique à pièces (!) façon RTT. De quoi rapprocher toujours un peu plus les régionaux de l’étape du comedy rap, sans jamais tout à fait tomber dedans. Le fait est que leurs tubes goguenards, mi-malins, mi-couillons (Dégueulasse, TMTC, Bae,…) passent particulièrement bien en concert. Une nouvelle fois, les « grands divertisseurs » ont fait le boulot, assurant, sans forcer, le moment feelgood du jour.
Evidemment, cela n’était pas vraiment pour eux que le festival avait décidé de resserrer les boulons de sa sécu. Mais bien pour Booba, tête d’affiche incontestable du jour. Mauvaise conscience du rap hexagonal, force insubmersible depuis maintenant près de 20 ans, Elie Yaffa continue encore et toujours de peser de tout son poids sur la scène francophone. A sa manière: sale, vulgaire, iconoclaste, fulgurant, belliqueux. Il faut le voir arriver en prince des ténèbres, dégainant Attila: « Si tu cherches l’échec/tu demandes à Kaaris », première flèche dégainée à son meilleur ennemi (elle date de 2015), et futur partenaire d’octogone. Plus tard, il annonce d’ailleurs: « Qui est prêt? La billetterie est ouverte dès mercredi! ». Il enchaîne alors avec Tony Sosa, rappelant notamment: « Dans ce rap game/niquer des mères, ça me rémunère ». C’est noté. Au passage, il n’hésite d’ailleurs pas aussi à titiller, gentiment, Damso (« Il est pas là, Damso? »), avant, plus vicieux, de lâcher en fin de concert son dernier titre Glaive « Ne crois-tu pas que je sais ce que je fais ?/tellement longtemps que je fais la guerre/le prochain c’est Damso »). Il y a bien quelques huées timides dans le public pour défendre le rappeur bruxellois, mais pas de quoi freiner le Duc de Boulogne (« Evidemment qu’il est chez lui, ici, mais nous aussi, on est un peu chez nous, on est ensemble », glisse-t-il, malicieux). Dont acte.
Booba a toutefois prouvé qu’il n’avait pas besoin de distribuer les bourre-pifs et mitrailler les beefs pour continuer à faire l’actu. Ces dernières années, le vétéran a toujours réussi à se placer. Ses concerts mêmes se sont transformés, à la fois plus « ouverts » et plus acérés. La tactique est désormais bien rodée: déjà bluffant en juillet dernier aux Ardentes, Booba commence par l’attaque, enchaînant les morceaux les plus crus (Caramel, Salside, Walabok…), avant de dérouler ses tubes maison les uns après les autres, avec le charisme de félin mal luné qu’on lui connaît: Friday, Scarface, Boulbi… Visiblement très détendu, il n’oublie pas de citer son nouveau protégé, belge pour le coup, Green Montana. Sur scène, il est d’ailleurs bien entouré: l’inévitable Gato, mais aussi Medine (pour Kyll) et même Bramsito et Maes venus lancer la séquence afro-zumba dans la dernière ligne droite (respectivement avec Sale Mood et la Madrina, précédant la triplette Validée, Médicament et DKR). Une manière aussi de prouver qu’après deux décennies de carrière, l’intéressé continue de grossir son matelas de hits, dégainant ensuite les récents BB et PGP.
Sur le coup de minuit, il quitte la scène sur 92i Veyron. « On trinque à nos balafres, à nos crochets tous les soirs ». La piraterie, décidément, « n’est jamais finie »…
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