Black Midi, chariot de feu
Avec Cavalcade, deuxième album étourdissant, Black Midi se donne du relief et élargit sa palette. Rencontre.
Il est dans leur salle de répète à Londres. « Working on new stuff » , dit-il de son accent si prononcé. Geordie Greep est le chanteur et guitariste au chapeau de cow-boy de Black Midi. Un petit côté Michael Gira du jeune rock anglais. Deux ans après la sortie de Schlagenheim, déluge bruitiste de jusqu’au-boutisme, Cavalcade en surprendra plus d’un. « Il n’y avait pas vraiment de concept. On voulait surtout rester ambitieux. Continuer d’essayer de nouvelles choses. Repousser nos limites en termes de composition, d’utilisation de nos instruments, de musique. Nos goûts n’ont pas changé de manière drastique mais ce qu’on aime s’entend davantage à l’écoute du nouvel album. On a juste eu le courage de davantage l’assumer. »
Black Midi se réclame autant du rock que du hip-hop, du jazz, de l’électronique, du prog, de l’ambient, des musiques classiques et expérimentales. Greep avoue ne pas avoir vu Cavalcade, le film de Frank Lloyd qui retrace l’histoire d’une famille bourgeoise londonienne témoin des grands événements de son temps… « Le cinéma et les bandes originales exercent néanmoins une influence importante sur notre musique. Je m’intéresse à un tas de trucs mais j’aime quand il y a une dimension humoristique. Je pense que tout ce qui est bon contient de l’humour. Même chez Ingmar Bergman, il y a de la comédie. Chez Tolstoï aussi. C’est super important. »
Greep est plutôt surprenant. Peu loquace, il s’emballe surtout quand il se met à parler de littérature. Évoque Pierre et Jean de Guy de Maupassant, Marcel Proust, Edgar Allan Poe, Dostoïevski ou encore Andreï Biély dont il compare le Pétersbourg à l’Ulysse de James Joyce. Comme parolier, il cite Joni Mitchell, Tom Waits… « Je n’ai jamais été un fan obsessionnel. Le mec qui connaît la moindre chanson d’un artiste et le nom de tous ses musiciens ou qui va attendre cinq heures devant une salle de concert. J’ai juste vraiment beaucoup exploré Frank Zappa ou quelqu’un comme Stravinsky. À part ça… »
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À entendre Greep, la pandémie était quelque part la bienvenue. « On avait énormément tourné, donné beaucoup de concerts. Au point d’avoir un peu perdu nos illusions. D’être ennuyés par nos chansons. Bloqués dans notre manière de les interpréter. On avait besoin de prendre du recul. De se rappeler pourquoi on faisait de la musique. Ce temps pour réfléchir nous a permis de nous régénérer avant d’entrer en studio. Je dois être honnête. 2020 a été une bonne année pour nous. » Elle avait pourtant mal commencé. En janvier, avant la crise sanitaire, le guitariste Matt Kwasniewski-Kelvin a décidé de prendre du recul suite à des problèmes de santé mentale. « Tu ne sais jamais ce qui t’attend au coin de la rue. Tu peux toujours te dire: et si ceci et si cela. Tu dois composer avec la situation et avancer. Continuer à faire des choses, à produire de la musique de qualité. C’est ce qu’on a fait. L’avenir, c’est l’avenir. En tout cas pour l’instant, c’est comme ça. »
Plutôt que de se refermer sur eux-mêmes, de penser la musique en trio, les Black Midi ont embauché le saxophoniste Kaidi Akinnibi et le claviériste Seth Evans. « Je les connais depuis un bail. Dès nos débuts, en tout cas très vite, on a décidé que le ciel était la limite. Qu’on ne devait pas s’enfermer dans un format. Un quatuor, du rock bruyant. Faire la même chose tout le temps. Quand Matt a abandonné la tournée, on s’est dit que c’était l’occasion d’essayer quelque chose de différent. D’embarquer deux mecs qu’on connaissait et qui sont talentueux. Ça a tellement bien marché qu’on a prolongé sur le disque. Il y a aussi des cordes, un trombone. » Du bouzouki, de la flûte, du Marxophone et du wok… Ou encore le violon de Jerskin Fendrix, une des figures du Windmill, bastion de la nouvelle scène londonienne. « En solo, il ne joue pas de violon, il chante. On dirait les Beach Boys versus Death Grips. »
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Doux, dur et dingue
Ce qu’il y a d’épatant chez Black Midi, c’est d’avoir parlé à autant de monde en proposant une musique aussi radicale. « C’est lié aux concerts, je pense. Beaucoup ne font qu’y interpréter leurs chansons telles qu’elles figurent sur leurs disques. Mais quand tu vois un groupe qui peut s’effondrer à chaque instant, c’est excitant. Tu ne sais pas si tu aimes ou si tu détestes mais tu trouves ça intéressant. Je déteste aller voir un album sur scène. Fermer les yeux et avoir l’impression d’être dans mon salon. Je ne vois pas l’intérêt. » Cavalcade est un disque plus mélodique et plus écrit que son prédécesseur. Il passe d’un math rock sauvage à une ballade vibrante, rappelle toute la dramaturgie épique d’un Lift to Experience. Il est aussi peuplé de personnages. Un leader religieux contre lequel se retournent ses fidèles (John L), une chanteuse de cabaret devenue star d’Hollywood (Marlene Dietrich). « Je trouvais que c’était quelqu’un d’intéressant à qui consacrer un morceau. Elle n’était ni la plus géniale des actrices ni la plus grande des chanteuses et elle ne savait pas vraiment danser mais elle avait un incroyable magnétisme et laissait tout le monde bouche bée. Elle avait cette présence, ce truc indéfinissable. Un peu comme dans Joséphine, la cantatrice de Franz Kafka. L’histoire d’une chanteuse qui captive son auditoire mais qui n’a pas vraiment de talent. C’était le point de départ de la chanson. De manière générale, elle exprime la joie, la magie, le mystère de la musique et de la performance. » Diamond Stuff (dont le titre renvoie à l’écrivaine Isabel Waidner) parle de mourir et d’être jeté dans un marécage pour être retrouvé des centaines de milliers d’années plus tard par une compagnie minière. « C’est Cameron qui l’a écrite et la chante. Dans un groupe, il est important de se faire confiance. On se respecte assez en tant que musiciens. Il est mieux que l’un d’entre nous soit vraiment passionné par un truc qui laisse les autres perplexes plutôt que de tous apprécier un morceau dont personne n’est dingue. »
Black Midi, Cavalcade, distribué par Rough Trade/Konkurrent. ****(*)
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