Black Lives, un collectif d’artistes contre le racisme: “Une même volonté de faire bouger les choses”

Le collectif Black Lives, des artistes liés par la révolte et le rêve. © Jean-Baptiste Millot
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Supergroupe comptant jusqu’à une quinzaine de membres sur scène, Black Lives zigzague joyeusement entre jazz, funk, soul, etc. Avec un objectif: débattre du racisme qui continue de gangrener la société…

« Beaucoup de gens ont l’impression que les Démocrates n’ont rien fait pour eux. Ils ont perdu leurs illusions. Ajoutez à ça l’influence des réseaux sociaux, et certains peuvent alors commencer à croire que Donald Trump est la solution. Mais il n’y a rien de plus faux… » Quand on rencontre Reggie Washington, qui a lancé Black Lives, l’élection américaine est encore loin. Mais le pressentiment est là. Entre-temps, les urnes l’ont confirmé: d’ici janvier, Trump deviendra bien le 47e président des États-Unis…

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Il en faut toutefois plus pour décourager le bassiste jazz américain. Quelque part, son groupe Black Lives, lancé avec sa compagne Stefany Calembert, a même plus que jamais sa raison d’être. Le projet naît vers 2020, dans la foulée de la secousse mondiale provoquée par la mort de George Floyd, tué par la police de Minneapolis, lors d’une interpellation. Stefany Calembert: « On voulait contribuer à la discussion, mais en prenant le biais de la musique, qui permet d’exprimer des choses très complexes, tout en dégageant quelque chose de positif -même sur un sujet aussi difficile. » L’idée? Rassembler un maximum de musiciens d’horizons différents autour de la question du racisme.

Malgré la pandémie, le couple lance les invitations. « On connaît un peu tout le monde. Ce ne sont pas forcément toujours des noms très ronflants pour le grand public. Ils ne sont pas sur les réseaux sociaux à essayer de capter l’attention à tout prix. Mais ils sont passionnés par leur art et ils ont fait preuve d’une implication et d’une créativité assez dingues pour ce projet. Et puis ils ont ce côté très humain et partagent une même volonté de faire bouger les choses, sans basculer pour autant dans les extrêmes, dans une époque où ces extrêmes sont un peu partout. » Répondent ainsi présents des artistes comme le Belge DJ Grazzhoppa, la chanteuse sud-africaine Tutu Puoane, ou l’Américaine Christie Dashiell (récemment nominée aux Grammy), les saxophonistes Immanuel Wilkins et Jacques Schwarz-Bart (vu aux côtés d’Erykah Badu et D’Angelo), le batteur Gene Lake (Meshell Ndegeocello), ou encore le guitariste/producteur Jean-Paul Bourelly, qui a croisé la route de plusieurs géants du jazz (d’Elvin Jones à Archie Shepp, en passant par Miles Davis), etc.

De ce casting plantureux va naître un premier (double) album, en 2022. Dans la foulée, Black Lives devient même un groupe live, jusqu’à se retrouver parfois à quinze sur scène! Également de la partie, le pianiste martiniquais Grégory Privat n’en revient d’ailleurs toujours pas: « Pour être honnête, je ne pensais pas que c’était possible de tourner avec un projet aussi imposant. Ca tient presque du miracle! » Deux ans plus tard, le collectif persiste et signe, avec People of Earth. Et toujours la même volonté de rassembler les énergies autour de questionnements actuels et d’une bande-son zigzaguant entre soul, jazz, funk, blues, rap, etc.

One love

Black Lives réunit non seulement les continents -de l’Afrique à l’Europe en passant par l’Amérique, Antilles comprises- mais aussi les générations. Ce qui ne manque pas de nourrir les discussions dans le collectif. Stefany Calembert: « Quelqu’un de plus âgé comme Jean-Paul Bourelly vous explique par exemple qu’il n’a pas envie d’être « victimisé » ou prisonnier de sa colère. Là où d’autres dans le groupe peuvent se montrer plus exaspérés et revendicatifs. » Au-delà de l’unanimité musicale, Black Lives reflète donc ce mélange de sensibilités, voire d’opinions. Grégory Privat: « Les expériences du racisme ne sont pas pareilles partout. Notamment à cause de l’Histoire, qui n’a pas produit les mêmes schémas, selon que vous êtes un afro-descendant implanté aux Antilles, ou vivant aux États-Unis. En ce qui me concerne en tout cas, si j’étais par exemple interpellé par des policiers pour je ne sais quelle raison, je n’aurais pas spécialement peur pour ma vie. En tout cas pas comme peut l’être éventuellement quelqu’un comme Reggie, qui a grandi aux États-Unis… »

Le bassiste, arrivé en Belgique dans les années 2000, confirme: « Je suis né en 1962. J’ai grandi dans le New York des années 70, où le racisme était en grande partie décomplexé. On m’a jeté des pierres dans la rue, j’ai été poursuivi par un pick-up qui cherchait à m’écraser… Tout cela s’est vraiment passé. Mais comme le prône Jean-Paul, tu ne peux pas te laisser enfermer par ta colère. L’une des choses que m’a apprises ma mère, c’est l’empathie. Ce qui n’est pas l’équivalent du pardon. Mais si vous faites vos recherches, vous réalisez vite que ce que cache ce racisme tient souvent simplement de la peur de l’inconnu. »

Ce travail d’empathie est précisément l’objectif de Black Lives. Que cela soit lors des discussions à l’intérieur même du collectif -par exemple quand telle musicienne engagée dans la cause palestinienne échange avec ses collègues juifs. Mais aussi évidemment vis-à-vis du public, que ce soit celui de Vitrolles (qui a encore élu un représentant RN dès le premier tour des législatives, en juin dernier) ou du petit festival jazz de Narva, à la frontière de l’Estonie et de la Russie. « Open up your mind and think!« , insiste ainsi Black Lives sur un album à la fois engagé et ouvert, célébrant joyeusement sa diversité. Reggie Washington sourit: « Récemment, en Allemagne, un journaliste a écrit que nous étions trop heureux sur scène. Mais qu’espérait-il? Une douzaine de Noirs enragés qui cherchent à lui botter le cul? Ou avait-il quand même envie d’apprendre quelque chose? Et d’échanger et avancer avec nous? »

Black Lives, People of Earth ***(*), distribué par Jammin’Colors.

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