Billie Eilish, idole des jeunes
Mardi, au Sportpaleis d’Anvers, Billie Eilish a confirmé son statut d’icône millenial, embrassant les paradoxes d’une pop qui cherche autant à échapper au monde qu’à en refléter le chaos.
Tout en haut du premier gradin du Sportpaleis, elle n’aura pas lâché son A4 une seconde. Et peu importe que Billie Eilish, à moins d’avoir une vue bionique (ce qui, au fond, n’est pas si improbable, si l’on en croit les théories de l’enfant indigo), n’ait pu lire le message d’amour. C’est aussi ça, être fan : la ferveur a ses raisons que la raison ignore.
Mardi soir, au Sportpaleis d’Anvers, il s’agissait autant d’un concert que d’une communion. Ce n’est pas vraiment une surprise, tant la jeune Américaine est devenue une icône générationnelle. Notamment depuis un premier album-phénomène, When We All Fall Asleep, Where Do We Go?, sorti début 2019. On se rappelle encore du Pukkelpop qui avait rapatrié dare dare le concert de Billie Eilish d’un podium annexe à la scène principale, à la stupéfaction des boomers-rockers qui n’avaient pas vu venir l’ouragan. Quelques mois plus tard, aux Grammys américains, Billie Eilish et son frère Finneas, co-responsable des chansons et de la production du disque, repartaient avec pas moins de 6 trophées. Depuis, une pandémie est venue mettre son grain de sel dans le parcours fulgurant de la jeune chanteuse. Ce fut à la fois une chance – une pause bienvenue pour digérer le tourbillon des dernières années. Mais aussi un coup de frein : l’idole pop allait-elle toujours déclencher la même adhésion ? Après tout, trois ans dans la vie d’un ado valent souvent le double, voire le triple. Le fan de 2019 sera-t-il toujours à l’écoute en 2022 ? L’an dernier, en sortant son second album, Happier Than Ever, Billie Eilish avait elle-même laissé entrevoir certaines transformations – aussi bien physiquement (la chevelure blonde platine) que musicalement, avec des titres qui prenaient (un peu) leur distance avec la pop gothique des débuts. Les fans allaient-il suivre ?
Au Sportpaleis, il n’a pas fallu attendre longtemps pour avoir la réponse. Elle fut unanime. Tonitruante même. Dès l’entrée en scène, sur bury a friend, le public hurle chaque parole avec un enthousiasme et une ardeur qui couvrent quasiment la voix de Billie Eilish. Impressionnant. Loin des poses à la neo-vamp hollywoodienne, la vingtenaire a retrouvé ses couettes noires, son t-shirt trop large, et son cycliste bigarré. Sans chichi pour un show, au final relativement sobre. Pour l’essentiel, Billie Eilish arpente la scène et son avancée dans le public. Au fond, devant les écrans géants, le batteur (Andrew Marshall) et Finneas (guitare, clavier, programmation) tracent sans broncher, rejoints de temps à autre par la chanteuse via un plan incliné. Le light show est percutant, et aux deux tiers du set, Billie Eilish monte dans une nacelle pour survoler les rangs du fond. Mais rien non plus d’extravagant. Un show millimétré à l’américaine, somme toute ? Certes. Avec ceci que les quelques interventions d’Eilish ne paraissent jamais mécaniques. Même si elles ont dû être répétées chaque soir depuis des semaines, elle ne sonnent pas désincarnées. En outre, dans un Sportpaleis transformé en étuve, la star passe pas mal de temps à signaler à la sécurité les cas d’évanouissements qui se multiplient dans la foule. « Vous êtes ici en sécurité », répéte plusieurs fois Billie Eilish.
Après une très jolie version d’idontwannabeyouanymore, elle enjoint, ordonne même à ses fans transis de se « sentir libre ». Injonction paradoxale s’il en est. C’est d’ailleurs aussi celle de la pop, en particulier celle de Billie Eilish, qui est à la fois mainstream et déviante, célébrant les différences et la marginalité dans un media de masse. A deux reprises, la star suggère au public de mettre tous ses problèmes de côté le temps du concert, de rassembler toutes ses émotions négatives et les ranger pour mieux profiter du moment. It’s only entertainment (but I like it)… Il y a ici trois règles, glisse encore Eilish : « Ne soyez pas un trou du cul ; ne jugez pas les autres ; have fun ! », avant d’ajouter : « ici, vous êtes aimé pour ce que vous êtes. » Parfois, on aimerait pourtant que Billie Eilish bouscule aussi un peu son public. Dans l’un des plus jolis moments du set, elle se pose au milieu de la scène avec son frère, pour reprendre en acoustique Power. « Try not to abuse your power », chante-t-elle, et on n’est pas certain que le message ne s’adresse pas à elle-même.
Mais plus loin, elle glisse aussi : « how dare you ? », comme si elle faisait écho à l’indignation de Greta Thunberg. Dans la foulée de Power, elle présente encore un tout nouveau titre, TV. Un morceau visiblement greffé sur l’actualité, qui évoque aussi bien le procès Amber Heard/Johnny Depp que l’arrêt de la Cour Suprême permettant aux Etats d’interdire l’avortement – « The internet’s gone wild watching movie stars on trial/While they’re overturning Roe v. Wade ». Plus loin, après l’hymne all the good girls go to hell, elle insiste encore : « nous devons mieux protéger notre planète », alors que des images de manifs défilent.
Comme quoi, malgré sa volonté de s’échapper, ou plutôt de se réfugier dans son cocon, la millenial pop de Billie Eilish ne met jamais non plus tout à fait la tête dans la sable. C’est aussi ce qui la rend attachante.
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