Critique | Musique

Beth Gibbons en concert, au Cirque royal : le triomphe de la nuance

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Concert - Beth Gibbons

Date - 06/062024

Salle - Cirque Royal

Critique - L.H.

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Jeudi soir, dans un Cirque royal bondé, Beth Gibbons est venue présenter Lives Outgrown, son premier album solo, avec un concert aussi bref qu’intense, régulièrement touché par la grâce. Compte-rendu.

Rare sur disque, Beth Gibbons l’est forcément aussi sur scène. Paru il y a trois semaines d’ici, Lives Outgrown, son premier album solo officiel, a déboulé 16 ans après le dernier album de Portishead (et, trente après son tout premier, l’emblématique Dummy). Et il s’est écoulé 22 ans depuis Out of Season réalisé avec Rustin Man. Dans les intervalles, l’Anglaise est restée cette présence en pointillé, se limitant à quelques rares apparitions (le live de la Symphonie n°3 de Górecki, un featuring sur le dernier album de Kendrick Lamar). On n’utilise d’ailleurs pas le mot – apparition – complètement par hasard. Jeudi soir, au Cirque royal, il y avait en effet un peu de ça : une ambiance quasi religieuse pour assister au retour scénique de la chanteuse-fantôme.

Sur le coup de 21h, Beth Gibbons monte ainsi sur scène, t-shirt noir à longue manche, pantalon kaki à poches, et pieds nus. Enfin, ça, on le découvrira tout à la fin quand les lumières s’allumeront pour éclairer les musiciens. Le reste du temps, Gibbons restera planquée dans une semi-obscurité, parfois réduite à une simple silhouette. Cela suffit toutefois pour la reconnaître : longue tige voutée, s’accrochant la plupart du temps à deux mains à son micro.

Beth Gibbons, ici et maintenant

Le concert démarre avec Tell Me Who You Are Today, lente mélopée folk, avançant par vague sur des violons lancinants. Le morceau est à l’image d’un album sombre et tourbeux, sorte de blues celtique rappelant par moment les paysages décharnés de Nick Drake ou Bert Jansch. On parle d’un disque qui ose des titres comme Burden of Life (Le fardeau de la vie, donc), obsédé par la mort et le temps qui file. Que reste-t-il de tout ce que le temps passe son temps à effacer ? Quel souvenir précieux ? Quelle douleur fantôme ?

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Sur scène, la présence-absence de Beth Gibbons est l’illustration parfaite de ces questionnements. Elle est à la fois le centre, la force magnétique tranchante, voix sidérante autour de laquelle s’organise la musique. Et en même temps, une sorte d’ombre, flottant sur ses propres morceaux, se mettant en retrait dès qu’elle le peut. La meilleure preuve est sans doute un titre comme Floating On A Moment, durant lequel Gibbons semble serpenter, comme immergée dans la musique. Jusqu’à la toute dernière seconde de la chanson, quand les instruments se taisent, et qu’elle se retrouve tout à coup seule, comme presque surprise elle-même de s’entendre souffler : « all we have is here and now ».

Autour d’elle, son groupe s’est mis au diapason. Il comprend pourtant pas moins de sept musiciens : batterie, percussion, deux violons, basse, guitare, et clavier (tenu par James Ford, également producteur de l’album). Malgré son caractère imposant, l’équipage reste en permanence cette force tranquille. Un ensemble subtil, dont la seule « fantaisie » est l’utilisation de boomwacker, ces tuyaux en plastique perforés, en introduction de Rewind. Et dont le seul vrai débordement a lieu sur Whispering Love, quand Howard Jacobs, au saxo bariton longiforme, se pique d’explosions quasi free jazz. Pour le reste, il est cet écrin pour la voix de Gibbons, l’aidant à creuser ses tourments intérieurs.

Geste révolutionnaire

Evidemment, il y a un prix à payer pour ce qui tient souvent de l’introspection. Sur scène, les morceaux de Lives Outgrown, joué dans son intégralité, se déploient, vénéneux, parfois menaçants même. Mais n’explosent que rarement complètement. Sans doute parce qu’il faut du temps et accumuler les dates pour qu’ils puissent tout à fait se déplier. Le contraste est d’ailleurs frappant avec la manière dont sont livrés les trois morceaux plus anciens : les deux de Rustin Man (Mysteries et Tom the Model) et surtout la version chair de poule de Roads de Portishead.

Mais si Lives Outgrown sonne aussi contenu, presque réservé, c’est aussi parce qu’il a été conçu comme cela. Il fait partie de ces disques qui préfèrent s’insinuer que s’imposer. Y compris quand ils prennent l’air et sont partagés sur scène. A cet égard, dans une époque où tout est crié, tranché, hurlé, le geste paraît d’autant plus radical. Presque révolutionnaire.

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Au bout de Reaching Out, en dernier rappel, le Cirque royal ne s’y trompe d’ailleurs pas. Il offre une standing ovation à Beth Gibbons. Elle qui était restée jusque-là quasi muette entre les morceaux, reprend alors le micro pour remercier le public. A ceci près que les applaudissement sont tellement appuyés qu’ils recouvrent complètement sa voix, offrant cette conclusion cocasse : c’est au moment où la chanteuse sort enfin de sa coquille, qu’on l’entend le moins. Le triomphe de la subtilité et de la délicatesse, jusqu’au bout.       

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