Entre l’écriture d’un bouquin (La Figure) et le tournage d’un film (Sauvage), Bertrand Belin a trouvé le temps d’enregistrer un disque (Watt). L’artiste aux multiples talents et facettes évoque sa présence et sa conscience au monde.
POP
Bertrand Belin – Watt
Distribué par Cinq 7/Wagram/Pias.
La cote de Focus: 4/5
Sur Tambour vision (2022), Bertrand Belin avait en partie délaissé la guitare pour s’amuser avec les synthés et les boîtes à rythmes, pour jouer avec Bowie, les Talking Heads et la pop synthétique. Watt poursuit l’exploration, mais plus acoustique que son prédécesseur, est davantage dans l’équilibre et la balance. «Prières païennes pour ses congénères» chantées de cette voix grave et envoûtante qui rappelle toujours Bashung mais de plus en plus… Belin, ses nouveaux morceaux se promènent entre chien et loup, pop, rock et chanson. Ils s’offrent quelques inflexions jazz (sur Tel qu’en moi-même notamment), la mélancolie au piano d’une Lana Del Rey ou d’un BABX (Certains jours, Amour ordinaire) et les services de Rodolphe Burger (Watt). Un disque aux arrangements soignés qui se révèle pleinement dans l’insistance. Watt else…
Bertrand Belin n’aime pas le surplace. Bertrand Belin marche vite. Mais avec élégance. Après un livre, La Figure, paru en début d’année, décrit par les uns comme un manuel poétique de survie, par les autres comme un dialogue avec sa mauvaise conscience, et en attendant au printemps la sortie de Sauvage, le nouveau film de Camille Ponsin dans lequel il campe le père d’une jeune fille qui présente des signes alarmants d’isolement et s’en va vivre dans les bois, le chanteur, musicien, auteur et comédien est de retour avec un disque. «Je n’avais pas d’idée préconçue, si ce n’est de creuser l’écart avec les précédents du point de vue des forces en présence, de l’instrumentarium, du timbre. Histoire de transporter ce que je ne peux pas changer en moi mais de le transformer tout de même un peu dans un contexte musical. Me faire plaisir à explorer un peu à côté. On essaie de ne pas trop se répéter dans cette vie. Je ne peux ni changer ma voix ni plus généralement mon ton, mon être. Ce qui me préoccupe. Je ne peux pas tout à coup choisir d’écrire un album sur les tropiques. Des artistes y arrivent et sont même très forts dans l’exercice, mais je ne fais pas partie de cette bande-là.»
Les préoccupations évoluent. Mais pas, dit Belin, celles qui constituent le noyau du problème. «Soit l’autre, la solitude, l’altérité, le temps, l’espace…» Le rapport à autrui a changé ces dernières années et semble de plus en plus compliqué. «Moi, je ne trouve pas. Pas dans mon désir en tout cas. Dans la société, oui. Mais la société parle déjà. Je ne parle pas à sa place. Je parle de mes désirs, de mes interrogations, suffocations, démangeaisons quant à cette question. Le couloir de l’espoir n’a pas changé à travers les siècles. Ça reste la concorde.»
Le dandy de Quiberon cause comme un vieux sage. Avec du recul, de la lucidité et un optimisme aussi réel que mesuré. «Si tu ouvres un journal de 1897 ou de 1914, c’est pas la joie. Ça a déjà existé des moments de tension pareils. Grâce au hasard de ma naissance en France, je n’ai jamais été plongé dans des inquiétudes directes d’un durcissement rapide ou imminent des conditions de vie. Mais c’est vrai que depuis dix ou quinze ans, à travers la prise de conscience insuffisante mais réelle des conditions de subsistance humaine liées à l’écologie mais aussi la transformation par la vie numérique des rapports interpersonnels, beaucoup de choses se sont modifiées et ne semblent pas en mesure d’apporter des améliorations quant à la vie en commun.»
Belin n’est pas très à l’aise avec l’emballement informationnel, la sanctuarisation des capitaux, le recul des services publics, l’état des hôpitaux ou encore les conditions de travail dans l’enseignement… «Mais à travers ce champ-là, on sait bien que l’amitié, l’amour, la fantaisie et l’humour trouvent leur respiration. Il faut essayer de les préserver tout en essayant d’améliorer le reste. C’est dur de voir les choses autrement quand on est informé aujourd’hui, mais la vie n’est pas qu’une pénombre.»
Histoire d’eau
Enregistré à Montreuil avec son complice Thibault Frisoni, le huitième album de Bertrand Belin s’intitule Watt. Watt comme le roman de Samuel Beckett, auquel il est parfois comparé. «C’est fortuit. D’ailleurs, je ne l’ai lu qu’au printemps, après avoir enregistré l’album. Quand le titre du disque est arrivé –ce n’est pas moi qui l’ai trouvé–, j’ai d’abord pensé à l’électricité. A la puissance des haut-parleurs. Puis je l’aime bien parce que je le trouve graphiquement beau et parce qu’il produit ce petit son qui ressemble à la fois à l’interrogation anglaise et à un petit aboiement de chien.»
B.B. explique écouter beaucoup de jazz ces derniers temps, la musique classique de Rameau comme des productions contemporaines. Il parle des albums de David Byrne et de Fishbach. «J’écoute ce qui sort.» Et dégaine son téléphone pour montrer un petit bout du Tiny Desk Concert de Doechii. Deuxième titre de Watt, Sur mon 31 a un petit côté French Touch…
«Ah oui? Peut-être parce que ça fait partie du patrimoine. Parce que ça circule dans ma tête ou dans celle de Thibault. Je ne me suis pas préoccupé de French Touch ou de quoi que ce soit. Elle n’a pas été très importante pour moi. Je n’y ai guère été très sensible sur le moment. Ce sont des musiciens de grand talent qui l’ont incarnée, c’est une certitude. Mais à l’époque, j’étais à la recherche d’un autre type d’émotion que je trouvais dans un autre type de musique. Ça ne m’empêche pas de la connaître et de m’y être intéressé. D’en goûter les raffinements en matière de production et même de composition. Mais ça ne constitue pas un objectif pour moi de m’en rapprocher.»
«Un livre et une chanson ne demandent pas le même genre de densité, d’usage du temps et de la temporalité. Mais ils viennent du même cerveau.»
Les synthés, qu’il utilisait déjà dans Parcs (2013) et qui occupaient une place prédominante sur Tambour vision (2022), sont à nouveau omniprésents. «Ils sont mis en contraste avec d’autres types de sonorités. J’essaie de les rendre voyants. Ce sont des instruments nobles. Ils occupent la place que, dans l’orchestration, on réservait aux cordes ou aux cuivres.»
Un lien unit inévitablement les livres et les disques de Belin. «Il se trace tout seul. Je n’ai pas besoin de faire d’effort pour souligner ou surligner des choses. Ça fait partie du même geste, sauf que ça prend des tournures liées au médium utilisé. Tout ça, c’est la même chose. C’est comme l’eau. Des fois, ce sont des glaçons, des fois c’est de la vapeur et des fois elle est liquide. Un livre et une chanson ne demandent pas le même genre de densité, d’usage du temps et de la temporalité. Mais ils viennent du même cerveau et, au fond, ce que j’essaie de transmettre est sensiblement du même tonneau. C’est une présence, une conscience au monde et comment elle y réagit.»
Sur deux ou trois chansons du disque, il y a davantage de phrases et de mots que d’habitude. «Il est possible que ça résulte de mon adaptation en français de la chanson de Dylan Ain’t Talkin’. Je la chante souvent en concert et j’étais venu l’enregistrer à Bruxelles. Fréquenter ce morceau avec beaucoup de texte m’a peut-être donné envie d’en écrire un ou deux un peu plus volubiles. Mais ce n’est qu’une hypothèse. Je n’ai pas prévu d’écrire des chansons longues. Ni de courtes non plus. Je n’ai rien prévu du tout. Je fais juste ce qui m’arrive.»
Le 19 février à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles, et le 14 mars à l’Aéronef, à Lille.
Lire aussi | Bertrand Belin occupe tous les terrains