Benjamin Biolay en concert à Forest National : retour sur son dernier album, Saint-Clair
Album - Saint-Clair
Artiste - Benjamin Biolay
Genre - Variété française
Label - Universal
Benjamin Biolay est en concert ce samedi à Forest National. L’occasion de revenir sur notre rencontre avec lui en septembre 2022 à l’occasion de la sortie de son album Saint-Clair.
Bientôt à l’affiche de La Ligne, le nouveau film d’Ursula Meier, et d’Un hiver en été de Laetitia Masson, Benjamin Biolay est un homme pressé. Entre un concert aux Solidarités et un autre à la Madeleine, l’infatigable et toujours affable B.B. a pris le temps de raconter son dixième album. Un disque pop, franc, direct, nettement plus convaincant que son pourtant acclamé Grand prix. Une plaque immédiate, chargée (17 morceaux) et charnelle, qui se focalise sur la ville de Sète, brille par son évidence et fait chanter Clara Luciani. Avis sur tout, avare sur rien, le Français parle de Cannes, de foot et de F1. De religion, de politique et d’André Bonzel (C’est arrivé près de chez vous)…
Tu avais une idée de ce que tu voulais quand tu as commencé à bosser sur ce disque?
Pas trop. J’avais envie de continuer à faire une musique qui pourrait être jouée sur scène. Je n’ai pas d’état d’esprit en souvenir. C’est juste qu’au bout d’un moment, j’ai réalisé qu’on était en train de faire un disque très analogique. Et du coup, j’avais envie qu’on continue dans cette direction. Le point de départ, c’était quand même de garder le même groupe qu’avant. De continuer à jouer ensemble avec tout ce que ça comporte d’intéressant, d’automatismes… En tant que musicien, plus on joue avec quelqu’un, plus on est débridé. Plus on ose.
Le thème arrive quand dans l’équation?
Il découle souvent d’une chanson inspirante. Tu te dis que c’est un sujet que tu pourrais développer le temps de quelques autres morceaux. Et puis ça devient un fil conducteur. Sète représente la Méditerranée, le sud de la France, de l’Europe même. Parce que c’est une ville très bariolée et métissée, avec beaucoup d’immigrés italiens, espagnols, portugais… J’ai une partie de ma famille là-bas. Des frères et sœurs de ma mère. Des oncles et tantes qui sont partis travailler dans le Sud au début des années 70. C’était des couvreurs, des zingueurs. Des gens comme ça qui travaillaient dans l’étanchéité. Chaque été, ma vie partait de ce côté-là. Je parle de l’enfance mais aussi de l’adolescence. J’ai continué à y aller de mon coté. J’y ai des cousins, de la famille, des amis. Ça a toujours été un refuge pour moi. J’y ai une maison aussi. Le seul bien immobilier que je possède. C’est important de pouvoir transmettre des choses à ses enfants…
Culturellement, Sète est très riche. On pense à Georges Brassens mais aussi à Agnès Varda, qui y a fui en quittant la Belgique et y a tourné La Pointe courte.
Même actuellement. Abdellatif Kechiche tourne la plupart de ses films là-bas. On y trouve une lumière très particulière. Une lumière telle que beaucoup de peintres en sont natifs ou s’y sont installés. Pierre Soulages, Robert Combas, Hervé Di Rosa… Je comprends que cette ville crée des artistes. Elle est animée, inspirante, bigarrée, colorée. Il y a la présence des gitans aussi qui fait qu’il y a du flamenco un peu partout et des mots d’espagnol un peu tout le temps. C’est la ville natale du guitariste Manitas de Plata. Et puis les pêcheurs sont des voyageurs, des philosophes qui n’ont pas le langage de l’universitaire lettré mais qui ont une vision de la vie toujours vachement intéressante. Tu as aussi une vraie culture anarchiste, gauchiste. Je sentais bien que j’avais envie de parler de la Méditerranée. Saint-Clair, c’était un bon titre générique à la fois précis et laissant un peu de place à la rêverie.
Tu parles de rêverie mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi un morceau comme La Traversée…
C’est constitutif de la Méditerranée. Quand tu vis au bord, tu sais très bien que c’est aussi un cimetière, que cette mer vomit des cadavres tous les matins. Ceux de gens qui ont voulu fuir la guerre, leur quotidien, tout ce qu’on veut. C’était important pour moi d’en parler. C’eut été fort incomplet comme description de s’arrêter au purement touristique.
Tu as intitulé des chansons Sainte-Rita, Santa Clara… Quel est ton rapport à la religion?
Dans le Sud, l’iconographie chrétienne et catholique est omniprésente. Et elle se mélange à tout ce qu’il y a de plus païen. C’est encore plus évident en Amérique latine. Tu as partout des signes religieux. C’est un décor de vie. Puis ça confine à la superstition aussi parfois, à la tradition. On ne sait pas exactement ce que c’est. J’ai une sorte de foi, de croyance mais je ne suis pas dogmatique ou pratiquant. Ce sont nos civilisations qui sont comme ça, baignées de religions monothéistes. Églises, synagogues, mosquées, temples… Moi, si je peux entrer dans un édifice religieux, je rentre. C’est un truc spirituel. Je pense aux ouvriers qui ont porté ces tonnes de pierres il y a des siècles. C’est ce que j’appelle la foi. Croire en l’homme, croire en Dieu, croire en l’œuvre collective. Entrer dans une église, c’est toujours impressionnant. Puis si on parle musique, longtemps, les maisons de disques, ça a été l’Église. Regarde un mec comme Bach. Les liens entre la musique et la religion sont particulièrement étroits. Même dans le rock. Même au XXe siècle. Tu vois un concert de Johnny Hallyday ou de Depeche Mode, il y a des crucifix partout. Bob Marley, l’artiste le plus streamé et écouté au monde, est archi religieux. Bob Dylan a eu sa période complètement mystique. John Lennon se pose plein de questions. Même dans l’Histoire du jazz, A Love Supreme, tout ça…
Tu as invité Clara Luciani sur ton disque…
Elle a fait ma première partie pendant un an. Je la connais depuis super longtemps. On a très souvent chanté ensemble. Sur scène, dans des émissions de radio ou de télé. Je me disais que ce serait cool sur un disque. Je la voyais bien incarner le soleil dans une chanson. C’est un peu un dialogue avec l’été, ce morceau. Elle incarne une certaine forme de lumière. Elle est à la fois très moderne et très surannée, Clara. Elle a une diction à l’ancienne et une façon de comprendre les chansons typique des gens qui en écrivent.
Tu avais été surpris par le retentissement de Grand prix? Qu’est-ce qui explique, selon toi, le succès d’un disque?
En tant qu’artiste, il ne faut pas y penser, je crois. Il ne faut surtout jamais oublier qu’on a de la chance. C’est une question d’air du temps, d’attente, de ce que font les autres, de ce qu’ils ne font pas. Les gens qui ont le malheur de trop cogiter risquent de se perdre en route. Il n’y a pas de règle. Je connais des chefs-d’œuvre qui n’ont pas vendu la queue d’une cacahuète et des disques pourris qui sont disques de diamant. C’est comme ça.
Tu es un grand fan de foot. La Coupe du monde au Qatar, elle t’inspire quoi? Tu vas la regarder?
Je n’ai pas encore réfléchi à tout ça. En fait, je ne pensais pas qu’elle aurait lieu. Je pensais que par la force des choses, cette idée complètement saugrenue allait être abandonnée. J’imaginais que les joueurs et les fédés avaient encore le pouvoir de dire non. Non, il fait trop chaud. Non, c’est pas bon pour la santé. Je pensais que la Champions League était suffisamment puissante pour ne pas accepter cette trêve de merde. J’avais tort. Je ne parle même pas de l’environnement. C’est une hérésie absolue. J’étais sûr de mon coup. C’était un projet tellement foireux. Les joueurs sont pieds et poings liés. Tu fermes ta gueule. C’est comme ça. Jadis, il y a des gens qui ne prenaient pas l’avion, des gens qui ne participaient pas à telle ou telle épreuve parce qu’elle était organisées dans une dictature. Aujourd’hui, il faudrait que des clubs comme Manchester ou la Juve disent: nous, on n’envoie pas nos joueurs. Et ça, ça calmerait du monde, mais ça n’arrivera jamais. Parce que plus les joueurs se montrent, plus ils ont de la valeur sur le marché.
Entre Mendy et sa chambre forte et Pogba et ses poupées vaudous, c’est un peu le bordel dans l’équipe de France…
C’est terrible. Notamment en termes d’image. L’Histoire se répète un peu. Juste avant la Coupe du monde 2002, c’était le bordel pareil. Il n’y avait que des embrouilles. L’ambiance était tellement mauvaise que malgré les meilleurs buteurs des meilleurs championnats, Thierry Henry, David Trezeguet, on n’avait pas claqué un but.
La Star Academy revient sur les écrans. Toi, tu as été jury de La Nouvelle Star en 2017. Pourquoi? Tu en retiens quoi?
C’était chouette. J’ai participé aux 184 auditions. Je me suis fait une idée de ce qu’il y avait comme talent en France. C’était intéressant de dresser un tel état des lieux. Mais je pensais vraiment qu’à la fin, on allait enregistrer l’album du gagnant. Et en fait, ça reste un programme télé. Parce que ces émissions, c’est tellement monté. Il y a tellement de storytelling. Mon rêve, c’était qu’on découvre quelqu’un d’incroyable et qu’on lui fasse un disque.
Jury, tu l’as été aussi à Cannes cette année dans la section Un Certain Regard…
Je l’ai très bien vécu. J’ai eu la chance de tomber sur une très belle sélection et de m’entendre très bien avec mes condisciples. Avec des différences de point de vue bien sûr, mais sachant accepter les divergences d’opinion. J’ai vu énormément de très bons films. C’est émouvant quand même. Voir les gens qui viennent du bout du monde défendre leur truc. La peur, le trac. C’est beau. Ce serait un super film, un jury de festival qui délibère. Il se passe des choses incroyables. Les gens soudainement se mettent à parler d’eux, tu le sens bien. Certains font des rejets complètement stupides. D’autres vont t’avouer le lendemain: “Tu as raison. Hier, j’ai dit que des conneries. J’étais crevé.” Des fois, tu sors d’une projection, tu te dis que c’était incroyable et tu en as un autre qui sort et qui te dit: “Putain, quelle pioche de merde!” On n’est pas tous dans le même état d’esprit au même moment. On a raté un film à Cannes, le quatrième de la journée. Il était long, lent. On était agacés, sidérés. On l’a dégagé. On s’en est rendu compte que le lendemain. On est tous conscients qu’on a un peu raté un truc. C’est humain de toutes façons. Avec la même sélection et un autre jury, le palmarès n’a plus rien à voir.
Tu as composé la musique de Et j’aime à la fureur, le récent documentaire d’André Bonzel. C’est arrivé comment?
Ce docu est génial. Il faut le voir. Comme beaucoup de gens de ma génération, je considère C’est arrivé près de chez vous comme un film majeur. Hyper important. Et tu as ce mec qui depuis n’a plus fait la queue d’un film qui arrive avec ce documentaire à la narration incroyable. J’avais vu Carré 35 d’Éric Caravaca, qui est merveilleux. J’avais dit à la productrice, quand tu as un film comme ça, même si t’as pas le budget, appelle-moi pour la musique. Quatre ans après, elle m’a proposé le docu d’André. Je m’attendais à un truc très différent. On le connaît pour quelque chose qui n’a strictement rien à voir. C’est arrivé près de chez vous, pour moi, ça incarne la naissance de Benoît Poelvoorde. Avec ce film, la Belgique redevient cool. Les Belges à l’époque, c’était juste un défouloir avec des blagues complètement débiles. Tu avais Johnny qui était un peu belge mais tout le monde pensait qu’il était français. Brel était mort. Et d’un coup, la Belgitude, la Bruxellitude et le côté surréaliste des Belges nous sautent à la gorge. Ce sont eux qui ouvrent les portes. Je me souviens, je le vois au cinéma. C’est une vraie parodie de Strip Tease et de Tout ça (ne nous rendra pas le Congo). Certains épisodes me mettaient très mal à l’aise mais il y en a d’autres que j’adore.
Tu déclarais dans une interview que ce n’est plus aux artistes de soutenir les politiques, c’est aux politiques de soutenir les artistes. Ces mondes n’ont plus trop à se croiser. Pourquoi?
Peut-être que ça aurait toujours dû être comme ça. Ce sont des accointances un peu piteuses. À la fin, ça devient chelou. Je pense qu’on peut dans la vie être ami avec un homme politique. Ce n’est pas du tout impossible. Mais le côté comité de soutien, “regardez, c’est moi qui ai les plus beaux artistes”, c’est vraiment un truc révolu qui vient des années bling-bling de la politique. Des débuts de la politique grand public. En fait, c’est Kennedy qui a tout fait. C’est le premier à se faire prendre en photo avec Sinatra. Marilyn… On est enfin en train de comprendre que Kennedy ce n’est pas une fin en soi.
Grand prix partait de ton amour pour la course automobile. Tu as regardé la série Drive to Survive?
Ils sont forts. Mais les pilotes en ont plein le cul de Netflix. Parce qu’ils inventent n’importe quoi. Au début, j’étais hyper content. La F1 avait besoin de cet éclairage. Pour que certains comprennent que les gens ne font pas juste des tours en rond à toute vitesse. Il y a toute une industrie, toute une ingénierie derrière. Mais ils se sont mis à inventer de ces histoires. J’espère qu’ils ne vont pas faire la même chose avec le vélo et le Tour de France. C’est tellement n’importe quoi. C’est un truc de fou. Il y a des mecs qui paraissent sympas au montage, tu te demandes comment c’est arrivé. Ils avaient dealé ça avant. Si vraiment ils les avaient montrés nature, laisse tomber, ils étaient grillés dans la profession.
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