Aya Nakamura : «Pour certains, je reste une alien» (interview exclusive)

Aya Nakamura, en majesté © Fifou
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Aya Nakamura sort Destinée, cinquième album raccord à ses principes afro-pop-r’n’b, voué à asseoir un peu plus son règne. La Nakamurance n’est jamais finie…

Aya Nakamura est bien là au rendez-vous, de l’autre côté de l’écran, pile poil à l’heure. Chevelure blonde polaire, chignon rose, la chanteuse est venue défendre son nouvel album, le cinquième: Destinée. Des portraits d’elle publiés ici et là ressortent généralement deux profils: d’un côté, la bonne copine, très nature peinture; de l’autre, la star taciturne et distante. Il y a cinq ans, on discutait avec la première (pour la sortie d’Aya). Aujourd’hui, on fait connaissance avec la seconde. Mettez ça sur le compte de la promo intense.

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Aya Nakamura est en effet partout : de la couverture de Télérama au plateau de la Star Ac’, en passant par Qui est l’imposteur?, le format du Youtubeur français n°1 , Squeezie. Juste avant, la chanteuse était encore sur l’antenne de France Inter. Au journaliste Benjamin Duhamel, lui demandant quel était son mot préféré de la langue française, elle a répondu: «Non»… Plus loin, l’intervieweur questionne encore: lui reste-t-il des rêves à combler, elle qui collectionne déjà les disques de platine et les salles combles? Un concert au pied de la tour Eiffel, par exemple? Ou devant les pyramides de Gizeh? La superstar imaginait plutôt: «Chanter à Tiny Desk»les ­sessions unplugged intimistes de la radio américaine NPR, filmées à la coule, dans les bureaux mêmes de la station, entre la machine à café et la photocopieuse… En attendant, fin mai, la même Aya Nakamura se produira dans un lieu un peu moins cosy: avant de venir cet été aux Ardentes, elle remplira trois soirs de suite le Stade de France…

Tous les rêves d’Aya Nakamura (en mieux)

Destinée a déboulé le 21 novembre. L’accueil critique est plutôt bon. Il est question ici de son album «le plus personnel», là de son disque le plus «politique». La vérité est que Destinée est d’abord et avant tout un album d’Aya Nakamura, avec tout ce que cela suppose de tubes, mélange assez contagieux de sonorités pop-afro-zouk-r’n’b. Une formule désormais connue, parfois imitée, jamais vraiment égalée: il n’y a qu’Aya qui peut chanter du Nakamura. Une petite différence tout de même: longtemps, la jeune femme s’est tenue à distance du rôle de symbole que les médias voulaient lui faire endosser –celui d’une jeune femme noire «issue de l’immigration», rare icône rassembleuse d’une France divisée qui ne réfute plus, désormais, l’idée d’élire Jordan Bardella au second tour de la prochaine présidentielle (du moins si l’on en croit les ­derniers sondages).

A chaque fois, Aya Nakamura a tenté de ramener le propos à elle, rien qu’à elle. Il suffit de reprendre le fil de sa discographie. Après Journal intime, elle a enchaîné Nakamura, Aya, puis DNK (pour Danioko, son véritable nom de famille). Lors de la conversation, elle reprécise encore, au cas où: «A la base, je suis musicienne, pas politicienne.»  Aujourd’hui, pourtant, elle semble accepter un peu plus facilement son statut, et l’idée que sa musique la dépasse. Sa «Destinée» en quelque sorte. Laquelle exactement? «Petite, je rêvais de plein de choses. Au final, j’ai eu ce que je voulais. Mais en mieux.»  Mais encore?  «Je pense qu’on a tous un ­destin. Le mien était visiblement d’être chanteuse et d’envoyer un message fort à tout le monde. Parce que je pense qu’à travers ma carrière, sans m’en rendre compte, j’ai pu conseiller beaucoup de personnes…»

En toute indépendance

On connaît désormais les grandes lignes de l’histoire. Née il y a tout juste 30 ans, à Bamako, héritière d’une lignée de griots maliens, Aya Danioko a quelques mois à peine quand elle arrive en France. Elle grandit au nord de Paris, à Aulnay-sous-Bois, dans la cité des 3.000. L’enfance est tranquille. Tout de même: récemment, l’intéressée expliquait au micro du podcasteur ­LeChairman avoir demandé, à l’âge de 13 ans, à pouvoir rentrer en foyer. Elle y restera un an. C’est durant cette période que la future ­chanteuse commence à coucher ses sentiments sur papier.

Elle poste ses premiers sons sur les réseaux sociaux –Karma, par exemple, publié sur Facebook. En 2015, le single Brisé lance officiellement sa carrière. Aya est désormais Nakamura, du nom d’un des personnages de la série Heroes. Elle a alors tout juste 20 ans et signe son premier contrat en maison de disques –se gardant bien de signaler qu’elle est enceinte, pas dupe de ce que l’industrie musicale attend de ses artistes féminines. Déjà clairvoyante, déjà indépendante. «J’étais toute seule à l’époque. J’allais au studio de 18 heures à pas d’heure. Pour une jeune fille de 19-20 ans, c’était quand même intense.» Quelques mois après la signature en label, ses premiers managers la laissent en rade. Elle n’en aura plus d’autres, s’entourant d’une équipe, mais tenant seule les rênes de sa trajectoire.

Celle-ci décolle en 2017, avec l’album Journal intime et un premier tube, Comportement. Mais le vrai tourbillon se déclenche un an plus tard. Lentement mais sûrement, Djadja se répand un peu partout, envisagé d’abord comme un hit de l’été avant de muer en carton planétaire –Madonna danse dessus, Rihanna aussi. Le genre de succès aussi irrationnel qu’irrésistible, inaugurant  une nouvelle manière d’envisager la pop en français, changeant en profondeur la physionomie des hit-parades.

Dans l’oeil du cyclone

Aya Nakamura s’empresse d’ailleurs d’enfoncer le clou –Copines, Pookie, puis sur les albums suivants, Doudou, SMS, Jolie nana, Baby, Dégaine, etc. N’en jetez plus: l’apprentie star devient phénomène disruptif, bousculant les cases habituelles. Dans sa fan base se mêlent notamment ados des quartiers, étudiants d’HEC, bobos branchés, ou gays –dans le clip de Pookie, elle rend hommage au voguing et à la culture ballroom, tandis que, sur Twitter, elle amène son soutien à Bilal Hassani, harcelé sur la Toile. Une manière, l’air de rien, de prendre position pour celle qui refuse toute posture engagée? «Oui, sans doute…», glisse-t-elle, le sourire entendu.

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Evidemment, on n’atteint pas de tels sommets sans prêter le flanc à la critique. Dans le cas d’Aya Nakamura, elle est particulièrement virulente, et se limite rarement à l’artistique. Dans l’œil du cyclone, la chanteuse accumule à la fois les disques de platine et les messages de haine. Pas besoin d’être woke pour y déceler un mélange de misogynoir, cette double peine infligée aux femmes noires, ainsi qu’une bonne dose de mépris de classe. Comme quand on fait mine de ne rien comprendre à ses paroles, ponctuées d’argot de banlieues, nourri aux langues de la diaspora.  Dans une interview datée de 2017, l’autrice anglaise Zadie Smith s’interrogeait sur l’origine de ce genre de réactions. «Plus jeune, je me rappelle par exemple prendre le bus pour aller à l’école, et voir un groupe d’hommes blancs s’agacer d’entendre quatre ­Bangladais parler bengali entre eux. Cela m’a toujours fascinée. D’où vient cette rage? Pourquoi transformer ce moment de mystère en colère? Et pas en curiosité?»… On n’a pas pensé poser la ­question à Aya Nakamura…   

Bête de seum

Destinée paraît deux ans après DNK. Mais également un an et demi après la cérémonie d’ouverture des J.O. de Paris. C’est peu dire que l’événement mondial a encore projeté Aya Nakamura dans une autre dimension. Ce jour-là, la chanteuse sort de ­l’Académie française pour traverser le pont des Arts, et rejoindre la Garde républicaine, au son d’un medley mélangeant Pookie, Djadja et… For Me Formidable de Charles Aznavour –«Je ferais mieux d’aller choisir mon vocabulaire/Pour te plaire dans la langue de Molière».

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Un an et demi plus tard, on revoit le passage: iconique, il provoque toujours les mêmes frissons. Pour l’intéressée, c’est un peu différent. Lassée de devoir s’épancher sur le sujet, Aya Nakamura aimerait visiblement passer à autre chose. On essaie quand même. Pourquoi avoir choisi finalement d’interpréter Aznavour (quand elle pensait au départ ne chanter que ses propres chansons)? Elle soupire: «Je ne sais plus… Parce que j’aime bien la musique.» Mais c’est bien Thomas Jolly, le «maître de cérémonie», qui a proposé le titre en question? «Oui, c’est Thomas Jolly.» Pourquoi avoir alors accepté? «Ben, parce que je trouvais la musique jolie.» Et le texte signifiant? «Oui. Aussi.»

Soit. La victoire d’Aya Nakamura est de toute façon actée –y compris devant les tribunaux (en septembre, une dizaine de militants du groupuscule d’extrême droite Les Natifs, ont été condamnés pour «injures», après avoir déployé en mars 2024 une banderole sur laquelle était écrit: «Y a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako»). Cela n’empêche pas certains médias de continuer à produire des contenus de type «parlez-vous le Aya Nakamura?», à l’occasion de la sortie de ­Destinée. Visiblement plus amusée qu’agacée, elle ne s’en étonne même plus: «Ah, mais c’est pas fini, hein! Personnellement, je ne comprends pas ceux qui imaginaient qu’il n’y avait pas de racisme en 2025…»  

Ce genre de Malienne

Pour le reste, il faut bien dire que la critique a l’air d’indifférer au plus haut point la chanteuse, définitivement blindée. «A la base, ma musique ne vise pas une cible précise. Mais il est certain que, quand je la fais, je pense aux gens issus de mon milieu. Or, généralement, ce n’est pas de là que viennent la plupart des critiques. Mais plutôt de personnes qui n’ont pas forcément les codes, pour comprendre ma manière de m’exprimer, de fonctionner… ­Pour eux, je suis une espèce d’alien, d’ovni. Ils doivent se demander: mais qui est cette femme noire-là, avec du répondant, qui a l’air de s’amuser, qui en joue, et qui en jouit… Et en plus, ça marche! Cela peut foutre un peu le seum, je comprends…»

Sur Destinée, Aya Nakamura profite donc plus que jamais de la vue. Désormais à la tête de son propre label, elle savoure. Puisque, comme elle le chante d’entrée sur Anesthésie, «Je sais qui je suis/Donc je fais ce que je veux». Plus loin, elle glisse quand même un morceau intitulé… Alien. Sur le mid-tempo afro, elle chante: «Tu me vois comme une alien», avant de bifurquer dans le dernier couplet: «Je suis ce genre de Malienne». La rime est limpide. Et raconte, l’air de rien, à la fois la fierté de ses racines, et la lassitude de les voir sans cesse «exotisées».

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A l’écriture du morceau, outre l’intéressée, sont crédités les noms de deux artistes belges: Camille Yembe et le rappeur Gandhi. «On s’est croisés au studio et on s’est directement super bien entendus. Au départ, l’idée n’était pas forcément de faire un truc ensemble. Mais comme cela a hyper bien matché, on a finalement fait Alien avec Joé Dwèt Filé, avec qui je m’entends aussi super bien.» Révélation belge de l’année, Camille Yembe fait partie de cette nouvelle génération qui, comme Theodora ou Yoa, ­élargit à son tour les ­formats pop, faisant sauter joyeusement les cloisons entre les genres. Et qui, à ce titre, n’a jamais caché son admiration pour la «queen Aya». «Si j’ai pu en inspirer certaines, si cela les a poussées à sortir de leur nid, tant mieux. J’en suis très fière.» Et d’ajouter, pensive: «J’aurais aimé avoir une Aya Nakamura…» 

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