
Avec Warm Up, Etienne de Crécy sort un disque pour danser à la maison
Etienne de Crécy publie Warm Up, un disque pour danser à la maison, bourré d’invités. Entretien avec l’une des piliers de la French Touch. Où il est question de la nécessité de jouer tous les week-ends en club (même quand on a passé 50 ans), des bienfaits de Spotify et de Bruce Springsteen…
C’est l’un des pionniers les plus emblématiques de la French Touch. Certes, la musique d’Etienne de Crécy n’a pas eu le même impact que celle de Daft Punk (même s’il leur a ouvert la voie, avec l’album référence Pansoul de Motorbass, son projet avec Philippe Zdar, en 1996). Ni suscité la même aura classieuse que celle de Air (dont il a produit en partie le premier EP, Premiers symptômes). Le producteur/DJ n’en aura pas moins marqué l’histoire des musiques électroniques made in France. Par exemple avec les compilations Super Discount, gorgées de samples malins et d’humour pince-sans-rire. Ou avec des lives électroniques auxquels Etienne de Crécy a su donner une dimension scénique inédite –la structure en échafaudage de sa tournée Beats ‘N’ Cubes.
Etienne de Crécy sort aujourd’hui Warm Up. Surprise: l’album s’éloigne des bourre-pifs électro qu’il a eu l’habitude de balancer ces dernières années en club, pour privilégier des mid-tempos casaniers. Avec un retour affirmé au sample, mais «moins comme un motif qui revient en boucle que comme une texture». Pour accompagner sa house-pop domestique, Etienne de Crécy a en outre convié une série d’invités –dont Damon Albarn (Blur), Olivia Merilahti (ex-The Do), Alexis Taylor (Hot Chip), etc. Cela valait bien une petite discussion,…
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Selon la bio qui accompagne le disque, Warm Up a été conçu pendant la période du Covid. Vous confirmez?
Absolument. Plus précisément, durant les premiers moments du déconfinement. Tout se relançait petit à petit, sauf les boîtes qui ont vraiment été les derniers endroits à pouvoir rouvrir. La vie était redevenue quasi normale, sauf pour les DJ. Comme je ne pouvais toujours pas jouer, je suis retourné en studio pour faire de la musique. Sauf que je n’arrivais pas à créer des morceaux dansants. Je connais pas mal de musiciens que la période a stimulés. Moi, pas du tout. En revanche, cela m’a amené à travailler sur des titres plus lents.
Comme au début de votre carrière?
Le premier Super Discount ou Tempovision (NDLR: son premier album sous son nom, en 2000) étaient en effet déjà dans ces tempos-là. Mais au fil du temps, je m’en suis un peu éloigné. Contrairement aux années 1990 où tout était assez mélangé, la dance a eu tendance à se spécialiser. Personnellement, je me suis surtout concentré sur une musique très «peak time», ce moment de la soirée où les gens pètent les plombs. Cela m’a plu. Jusqu’à ce que le Covid me ramène vers des grooves plus posés. Avec l’envie d’un album de dance music que l’on pourrait écouter à la maison. Et comme c’était compliqué pour moi de faire exister ces instrumentaux plus lents, j’ai proposé à des chanteurs d’intervenir dessus.
Quel était le briefing?
Je leur ai envoyé le morceau et quelques indications, même si on ne s’y est pas toujours tenu. J’aime notamment l’idée de chansons qui n’ont qu’une seule ligne mélodique qui se répète en boucle. Sur l’album, un titre comme Brass Band, avec Peter von Poehl, fonctionne comme ça. C’est le même principe pour Comme un boomerang, que Gainsbourg avait écrit pour Dani. Ou, dans un autre genre, Born in the USA de Springsteen. On n’y pense pas, mais ce sont des morceaux où il n’y a pas de couplet-refrain. La ligne mélodique est toujours la même. J’ai une sorte de passion pour ce type de chanson. Et puis, moi, en tant que producteur, cela me permet d’exister plus facilement. Parce que quand on a que des couplets, il faut amener autre chose en plus. Sur World Away, le titre avec Alexis Taylor, les violons prennent en charge ce qui fait office de refrain, par exemple.
Comment avez-vous choisi vos invités?
Ce ne sont que des artistes dont j’écoute la musique. En l’occurrence, ils viennent plutôt de la pop-rock indie anglo-saxonne –je ne passe pas trop de musiques électroniques quand je suis chez moi. Donc, concrètement, j’ai pris mon Top 20 Spotify et j’ai envoyé mes demandes.
Vous passez beaucoup de temps sur les plateformes de streaming?
C’est par là que j’écoute majoritairement la musique aujourd’hui. Je suis un early adopter de Spotify. Quand c’est arrivé, j’ai trouvé l’idée vraiment géniale. Contrairement à l’iTunes d’Apple, par exemple. J’ai toujours pensé que c’était une douille: vous achetiez les MP3, mais ce n’était pas pratique du tout, vous ne pouviez pas les écouter sur d’autres supports, etc. Donc, l’arrivée du streaming a été très importante pour moi. Et pour tout le monde: les gens écoutent énormément de musique, beaucoup plus qu’avant.
Mais plus de la même manière…
Disons que la musique est devenue un produit de consommation courante. Mais cela n’empêche pas le mélomane d’y trouver aussi son compte. Pour moi, le streaming nous a sauvé la vie, en endiguant le piratage. L’industrie de la musique n’a d’ailleurs jamais gagné autant d’argent.
Lire aussi | Le stream était presque parfait
Vous en gagnez, avec le streaming?
Oui. Mais là aussi, plus de la même façon. Avant, les gens achetaient une fois votre disque, et c’était fini. Aujourd’hui, dès que quelqu’un écoute ma musique, je continue à toucher de l’argent dessus. C’est beaucoup plus continu. Vous avez un rapport à votre «clientèle» qui s’étale tout au long de votre vie. Ce que je trouve plutôt positif… Après, je sais qu’il y a beaucoup de musiciens qui se plaignent de ne toucher que 0,002 centime par écoute. Mais les coûts de production ont aussi été divisés: on peut faire un album sur un laptop!
Les gens de mon âge ont souvent arrêté de découvrir les nouveautés passé 30 ans. Ils se retrouvent à réécouter Joy Division en boucle, c’est chiant !
Pas tout le monde…
C’est vrai, mais même pour un groupe de rock, les coûts de fabrication d’un disque ne sont plus du tout les mêmes. Par ailleurs, le format CD privilégiait aussi certains types de musiques. En résumé, ce n’est pas Spotify qui a inventé les artistes qui ne marchent pas… Au-delà, le fait est qu’il y a beaucoup de personnes qui, en payant un abonnement, dépensent souvent davantage qu’elles ne le faisaient auparavant. En France, la grande masse des gens achetaient peut-être deux CD par an, quelque chose comme ça. Aujourd’hui, ils paient le prix d’un CD tous les mois. Mais je sais que ce n’est pas une opinion très populaire (rires).
On trouve souvent pas mal de second degré dans vos titres –par exemple, la série Super Discount ou la compilation My Contribution to the Global Warming. Où peut-on trouver l’ironie dans Warm Up?
C’est l’un des rares albums où je n’avais ni le titre ni l’artwork avant de commencer. En général, je les ai dès le départ, et ils servent presque de cadre pour la musique. Ici, j’ai pris plus de temps pour trouver le bon titre. Finalement, il y a évidemment la référence au warm-up –quand vous chauffez la piste de danse, en début de soirée. Mais il y aussi un rapport à l’état politique et climatique du monde qui s’échauffe, que je trouvais judicieux. S’il y a un second degré dans le titre, il est là…
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Chacun des titres est accompagné d’une vidéo de gens qui dansent, une espèce d’antichallenge TikTok. Parce que la danse reste le moteur principal de votre musique?
J’aime faire de la musique, et j’aime l’accompagner d’images. Dans ce cas-ci, j’ai eu l’idée de filmer des danseurs sur fond blanc. J’ai découpé ensuite leurs mouvements, que j’ai montés en boucles sur chaque partie de la chanson. Le procédé est très simple. Mais cela donne un effet assez hypnotique: on voit chaque mouvement au moins huit fois. Parce que, oui, malgré tout, l’ambition est quand même de danser.
Le club reste un endroit important pour vous?
Tout à fait. J’ai besoin de jouer tous les week-ends. Le côté DJ reste fondamental dans mon activité. Ne serait-ce que parce qu’il m’oblige à rester au courant de ce qui sort. Je le vois bien chez les gens de mon âge, en particulier ceux qui ne sont pas dans le milieu de la musique: ils ont souvent arrêté de découvrir les nouveautés passé l’âge de 30 ans. Et ils se retrouvent à réécouter Joy Division en boucle, c’est chiant (sourire)… Personnellement, je continue de fouiller. Je passe une semaine par mois à écouter les titres de tous les Top 100 du site Beatport. Ce qui peut s’avérer très fastidieux. D’autant qu’aujourd’hui, les morceaux se ressemblent souvent beaucoup. Les logiciels qui permettent de faire de la musique fournissent les mêmes lignes de basse, les mêmes sons de kick, etc. C’est plus compliqué de trouver des choses originales et singulières. Il faut écouter vraiment beaucoup de morceaux. Après, dans l’absolu, la technologie est super, cela permet à plein de gens de faire de la musique.
Arrêter le DJing? Je préfère que les gens me fassent sentir à un moment qu’ils en ont marre de ma gueule. Et ce sera dramatique parce que je continuerai quand même d’essayer, en jouant dans des soirées flinguées devant personne
Vous avez toujours revendiqué ce côté très simple et démocratique de la musique électronique. C’est plus que jamais le cas?
Je ne dis pas que c’est facile de faire un bon morceau. Mais c’est accessible à tout le monde. Du moins comparé à un pianiste qui doit pratiquer pendant douze ans avant de pouvoir jouer correctement. Aujourd’hui, tous les logiciels sont disponibles, ou «crackables» en deux clics. N’importe qui peut s’y mettre. Ce qui ne donne pas forcément des choses toujours novatrices. Par exemple, je peux entendre certains jeunes producteurs copier ce que l’on faisait il y a 20 ans. Sauf qu’ils le copient mieux que nous. Ils ont une espèce de naïveté derrière laquelle nous, les vieux producteurs, on court tous un peu. En tout cas, moi, à chaque fois, j’ai envie de retrouver la surprise que j’ai pu avoir quand j’ai fait Prix choc, entre autres: ce moment où je tombe sur un sample, je mets un kick, une voix, j’ajoute un filtre, et c’est bon. Cela m’a pris dix minutes, mais c’est trop kiffant. L’expérience est l’ennemie de cette fraîcheur. Une tactique pour préserver malgré tout l’effet de surprise, c’est de changer régulièrement de matériel. Quand j’ai fait le tour d’un synthé, j’en teste un autre. Je chipote, j’essaie, il faut que cela aille vite.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
A 56 ans, vous jouez encore tous les week-ends. Pourquoi est-ce toujours aussi excitant?
Les gens crient mon nom! (rires) C’est la vérité en plus! Vivre ce genre de moment est très gratifiant. Peut-être que je suis un peu tordu de m’accrocher, mais, une fois que vous avez découvert ces sensations, cela devient très difficile de s’en passer. C’est aussi bête que ça. Et puis, j’ai eu une carrière assez longue que pour connaître aussi les moments de creux. Donc, tant qu’il y a un public qui vient me voir, je continue. Parce qu’un jour cela s’arrêtera… Pour être clair, je n’ai pas envie de faire le choix de m’arrêter, je préfère que les gens me fassent sentir à un moment qu’ils en ont marre de ma gueule. Et ce sera dramatique parce que je continuerai d’essayer, en jouant dans des soirées flinguées devant personne (rires).
Ces derniers mois, on a pu assister à une sorte de «canonisation» de la French Touch. Grâce à des expos, le docu sur DJ Mehdi, les JO de Paris, etc. C’est une fierté?
C’est très bizarre parce que c’est une affiliation que je n’ai jamais revendiquée. En même temps, en effet, j’étais là au début de ce mouvement. Quelque part, avec Philippe Zdar et notre projet Motorbass, on l’a même initié en sortant le premier album du genre, où l’on s’amusait à filtrer des samples, etc. On a vraiment participé à l’élaboration de cette esthétique. Et puis, oui, j’ai produit et mixé le premier morceau de Air, qui est sorti sur mon label. Je ne peux pas nier que j’ai participé à cela (sourire). Mais pendant longtemps, cette étiquette m’a un peu saoulé. J’ai même cherché à m’en détacher. Ou du moins, j’ai toujours voulu avancer. Aujourd’hui, cela ne me pose plus vraiment de souci. Quelque part, je commence même à en être fier…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici