Arthur Teboul, leader de Feu! Chatterton, au Festival des Libertés: «La poésie est un bol d’air»
Depuis quelques années, la poésie a retrouvé des couleurs. Elle semble s’inscrire dans l’air du temps, parler à nouveau aux adolescents et se voit même mise à l’honneur par les rockeurs, plébiscitée par Grian Chatten et les Irlandais de Fontaines D.C. comme par l’éloquent Arthur Teboul et ses camarades de Feu! Chatterton.
Le petit moustachu a sorti l’an dernier son premier recueil de poésie et a même ouvert avec Le Déversoir un cabinet de poèmes minute. Chaque consultation donnant lieu à l’écriture d’un poème instantané, écrit en votre présence avant de vous être lu et remis. Le Parisien a carrément marqué les esprits avec son interprétation au Panthéon de L’Affiche rouge, lettre d’adieu écrite à sa femme par un futur fusillé transformée en poème par Aragon et en chanson par Ferré. Il sera en concert, accompagné du pianiste de jazz baptiste Trotignon au Festival des Libertés, ce 13 octobre, au Théâtre National à Bruxelles.
La poésie semble retrouver la cote auprès des jeunes. Une explication?
Je me suis aussi rendu compte de ce phénomène. Le fait que toute une génération s’intéresse via les réseaux sociaux à cette forme d’art et à cette manière d’être au monde. J’ai le sentiment déjà que cette forme courte, condensée, du vers, de l’aphorisme, de la strophe, la forme littéraire poétique, arrive à s’intégrer dans notre époque. Cette époque où on scrolle toute la journée et où finalement on ne fait que zapper. La poésie conserve une vertu incroyable. En quelques mots très concentrés, en une image, en une phrase, elle nous attrape. Elle nous alerte. Elle nous arrête. Finalement, ça se marie bien avec les comportements d’aujourd’hui. Une autre explication peut-être, c’est que dans une époque comme la nôtre où tout est optimisé, rentable -on approche de l’homme-machine: on essaie de tout prédire, de gagner du temps, de performer-, la poésie est un bol d’air. Un petit souffle qui nous rappelle à la fugacité de nos vies, à notre humilité. Parce qu’elle nous donne matière à y penser. Elle donne le droit de se tromper. D’essayer. De jouer. De retrouver quelque chose d’enfantin en nous. Un petit grain qui enraie un peu la machine.
Elle a un temps semblé ringarde.
C’est vrai. Et c’est peut-être de la faute des poètes. Parce que la poésie a été assignée à une certaine forme et à certains sujets. Alors que c’est un outil pour dire notre monde, pour dialoguer avec ce monde, pour lui réinjecter une vitalité. Normalement, elle peut s’emparer de tout. De notre quotidien, de toutes nos avancées. Quand elle ne le fait pas, elle s’assèche et elle devient snob, élitiste. Elle cesse d’être vivante. Elle devient langue morte. Et ça, c’est de la faute des poètes et de la manière avec laquelle on nous enseigne la poésie. La poésie n’est pas sacrée. C’est quelque chose qui nous permet de prendre du recul sur ce qu’on vit. Donc de mieux le vivre, d’y répondre. C’est un truc humain. C’est peut-être récent le fait de l’avoir chassée de la vie courante pour qu’elle ne s’occupe plus que des choses éthérées. On assiste un peu à un retour. Et j’ai une hypothèse plus triste, plus sinistre, mais qui montre toute sa force: la poésie, notamment dans les périodes sombres de notre monde, oublié de lui-même où il ne reste presque plus rien de son humanité de par sa violence et sa monstruosité, nous ramène à cette humanité. Elle devient comme un garde-fou, un rempart, une vraie nourriture. On vit peut être à une époque qui est si déchirée, si violente, si angoissée, qu’on a davantage besoin qu’avant de ces petits éclats de lumière et d’humanité.
Est-ce que la chanson est de la poésie?
Il peut y avoir de la poésie dans la chanson en tout cas. La poésie est une manière d’être au réel, une envie de percer le mystère. Comme s’il y avait un voile continu sur la vie et qu’il fallait le faire vibrer pour aller plus loin, pour voir plus loin. Que ce soit en chanson ou à l’écrit. Il y a des différences dans la forme. Un poème est fait pour être vu. Une chanson pour être entendue. Mais la poésie, elle peut être dans tout. Elle peut être partout. Dans les choses qu’on fait. Et pas que dans l’art. Dans l’attention qu’on met dans les choses. Dans le désir d’être attentif et alerte, de contempler.
Sur Piano-voix, tu reprends Ferré, Gainsbourg, Barbara… Est-ce qu’il y avait davantage de poésie dans la chanson française auparavant?
Elle est juste différente. Regarde le rap aujourd’hui. C’est la musique la plus populaire. Et il y a beaucoup de rappeurs qui accordent un soin incroyable au travail de la langue et des images. La vitalité de la langue et le désir de raconter ce monde sont toujours bien présents. Pourquoi la poésie? Parce qu’il y a plein de choses de notre monde qui échappent à la pure compréhension. Le langage poétique, quel que soit son style, c’est une façon d’essayer de capturer la complexité du réel et donc de dire plusieurs choses en même temps. Parce que la vie est plusieurs choses en même temps. La jeunesse semble plus portée par sa propre langue aujourd’hui que dans les années 2000. Nous, quand on a commencé à faire de la chanson en français, les gens grimaçaient. Ils disaient: « C’est sympa mais c’est en français. » Ca paraît inconcevable comme remarque. Mais à l’époque, on sortait de la French Touch. Il y avait encore ce truc anglais, anglo-saxon. Alors ça paraît logique que des gens qui parlent français s’expriment dans leur propre langue pour dire leurs expériences du quotidien et leurs sentiments. Et on voit la vitalité de cette langue aujourd’hui. Il y a une scène incroyable. Il y a tellement de rappeurs pour le moment. Ca prouve le désir humain de raconter notre monde en passant par une forme indirecte ou plutôt non descriptive du langage.
Tu vas te produire à Bruxelles avec Baptiste Trotignon le 13 octobre dans le cadre du Festival des Libertés. Est-ce que tu vois la poésie comme une arme efficace dans le combat politique et social?
Oui. Parce qu’elle apporte de la complexité dans un monde qui en admet de moins en moins. Pour moi, elle est politique. Aussi parce que la poésie, de par sa simple existence, résiste aux totems de notre temps. C’est-à-dire la vitesse, la productivité, la rentabilité. Un poème, c’est inutile. C’est dérisoire. C’est hasardeux. C’est accidenté. C’est imprévisible. Et ça, ça ne répond pas vraiment aux logiques du libéralisme. De cette vie qui court et qui court et qu’on essaie tous d’optimiser jusque dans le moindre virage en regardant sur le GPS si on a toujours pris le chemin le plus rapide. Je pense donc que la poésie est hautement politique. Puis aussi parce qu’elle ne passe pas par les chemins programmatiques du donneur de leçon. Je pense que le meilleur moyen de changer quelqu’un, ce n’est pas de le moraliser, de l’accuser, de lui faire la leçon; c’est de le toucher à cet endroit qui lui rappelle son enfance, son désir d’absolu, son envie de jouer.
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