Arno: l’album photo commenté par son ami et photographe Danny Willems
Durant 50 ans, Danny Willems a photographié son ami Arno. Piochant dans ses archives, il commente les différentes évolutions de l’Ostendu magnifique.
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1987. Shooting pour l’album Charlatan.
“On a passé une demi-journée à se balader dans les rues de Paris. Déjà avec TC Matic, Arno avait trouvé un écho en France. Pour les médias et le public français, il avait quelque chose de “charmant”, de “différent”. Puis c’était aussi l’époque d’Allez Allez, des Honeymoon Killers, ou en mode, des fameux Six d’Anvers. Il y avait toute une scène belge qui faisait impression.”
2021. Pendant l’enregistrement de l’album Vivre, l’an dernier.
“Cela faisait déjà un bout de temps qu’Arno pensait tenter d’autres formules. À un moment est arrivée l’idée d’enregistrer sans guitares, juste avec un piano. Pias a proposé le nom de Sofiane (Pamart, NDLR). Au début, Arno n’était qu’à moitié convaincu. Il trouvait que Sofiane jouait “trop” de notes. Ce qui est son style, à Sofiane. Mais Arno voulait quelque chose de plus simple, qui dégage une certaine atmosphère. Ils ont tout recommencé et ça a donné ce disque, Vivre, que je trouve très bon, très émouvant. Sur scène, Arno ne voulait pas juste un set piano-voix. Alors on a imaginé un concert en deux parties. La première, où il jouait neuf morceaux de manière dépouillée, dans un clair-obscur un peu club de jazz. Et puis une seconde partie, avec guitares-batterie, très rock. ça a été des moments très émouvants. Et qui ont aussi donné beaucoup de courage aux personnes malades. C’était un statement très fort que d’afficher cette volonté de vivre à fond jusqu’au bout.”
1994. Session-photo pour les albums European Cowboy/À poil commercial.
“La photo a été prise du côté d’Anvers. Je me rappelle qu’il faisait assez moche ce jour-là, il y avait beaucoup de vent. On avait fait venir ce singe d’un cirque en Allemagne. L’idée était de le faire grimper sur une moto. Mais il n’était pas très coopératif. Sur le vélo, ça allait déjà mieux. Avec les animaux, vous ne savez jamais trop comment ça va tourner… L’European Cowboy, c’est Arno. Au départ, il était surtout attiré par la musique anglo-saxonne alors que moi, j’écoutais beaucoup de groupes comme Kraftwerk, Can, etc. Je trouvais qu’il y avait une vraie culture continentale. Je me rappelle qu’avec TC Matic, il voulait intituler un morceau Billie. Je trouvais ça ridicule. On n’est pas des Américains. Du coup, il a changé et c’est devenu Willie Willie.”
2014. Au casino d’Ostende.
“La photo servira pour l’artwork de la compilation Le Coffret essentiel. Arno vient de fêter ses 65 ans. Il tient une photo tirée d’une session pour son premier album solo. Il y en a une autre, où il donne un verre d’eau à un poisson. Le surréalisme à la belge, toujours.”
1983.
“J’avais été inspiré notamment par Le Conformiste, un film de Bertolucci des années 70, dans lequel Jean-Louis Trintignant joue un jeune Italien qui glisse vers le fascisme. Pour être très clair, on n’a jamais rien eu à voir avec cette idéologie. Au contraire, on a toujours été proches des idéaux socialistes. Mais j’avoue que c’est une période qui m’a beaucoup fasciné: les années 30, le Berlin “décadent”, etc. Comment a-t-on pu en arriver là? J’ai passé pas mal de temps à la bibliothèque d’Ostende à lire des ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale. Pour le premier album de TC Matic, j’ai suggéré au groupe d’utiliser l’extrait d’un discours de Goebbels en intro de Give Them a Leader. En concert, au moment du morceau, on plongeait la salle dans la pénombre. Vous entendiez cette voix et les cris de la foule, c’était terriblement angoissant.”
1987. Pendant l’enregistrement de Charlatan, dans le sud de la France.
“Derrière Arno et Jean-Marie Aerts, Holger Czukay, l’un des cofondateurs de Can. C’est lui qui a produit l’album Charlatan. Il nous avait emmenés chez Michael Karoli, le guitariste du groupe allemand. Il avait monté un studio dans les Alpes-Maritimes: une vieille maison isolée au milieu des oliviers, avec une piscine. C’était en plein mois d’août. Autant dire qu’on se sentait presque comme en vacances. C’était fantastique. On le voit, Arno est à l’aise. Je me rappelle de Jean-Marie Aerts qui avait installé l’ampli de sa guitare dehors. Quand il jouait, la montagne renvoyait l’écho dans toute la vallée.”
1983. Sur le ferry entre l’Allemagne et la Suède.
“La première tournée scandinave de TC Matic, à l’arrache (de gauche à droite, Ferre Baelen, Jean-Marie Aerts, Serge Feys, Rudy Cloet et Arno). Tout le monde l’un sur l’autre dans un petit bus, avec un budget minimal. On avait à peine de quoi manger et loger. Le groupe s’est souvent retrouvé à jouer devant 15, 20 personnes. Mais à la fin, le public devenait fou. C’était impressionnant de voir l’impact que ce groupe pouvait avoir sur scène. D’ailleurs, quelques années plus tard, quand ils sont repassés par les mêmes endroits, les salles étaient pleines!”
1975. Dans son appartement de l’époque, Peter Benoitstraat.
“Un troisième étage, toujours un peu bordélique, à la Arno. Le confort matériel ne l’a jamais vraiment intéressé. Vous arrivez chez lui, il y a du brol un peu partout, des disques et des livres étalés par terre. À l’arrière, on peut voir une photo de sa copine de l’époque, et sur le buffet, c’est un portrait de sa mère, avec les cheveux courts.”
1986. Son premier album solo.
“Il l’a enregistré quand il était encore dans TC Matic. Il se sentait de plus en plus coincé dans le groupe. Partir en solo était une suite logique. En tant que frontman, il était très fort. Il portait véritablement le band. Pas forcément musicalement, mais sur scène il était vraiment incroyable à voir. Il était aussi très drôle. C’est quelque chose qui était déjà présent avec Tjens Couter. Entre les morceaux, il commençait à raconter des conneries. C’était presque du stand-up avant la lettre. Une vraie star. Quand il a démarré en solo, c’est ce que je voulais montrer. Avec TC Matic, le groupe ne posait jamais sur la pochette. Pour Arno, il fallait le montrer en rocker star. C’était aussi l’époque de ses premiers films, quand il sortait aussi vraiment beaucoup, au Mirano par exemple.”
1972. Tjens Couter, Blankenberge.
“C’est le tout début de leur collaboration. Les trois quarts du concert, c’était de reprises. La plupart du public, c’était des amis. Paul Decoutere est originaire de Zeebrugge. C’était un musicien fantastique, mais il n’avait aucune ambition. Il tournait dans le circuit des cafés et ça lui allait très bien. Il n’avait pas besoin de plus. Au début de TC Matic, il s’est éloigné. Mais avec Arno, ils sont toujours restés en contact. Un peu avant son décès (d’un cancer, en avril 2021, NDLR), on est allés lui rendre visite. Il était très diminué. Pour la première fois, j’ai vu Arno en panique, désemparé. Plus tard, Paul lui a demandé de lui chanter You Gotta Move. Il n’a pas pu, c’est Paul qui a fini par chanter, et Arno l’a rejoint à l’harmonica.”
1985. New York.
“TC Matic avait été invité à jouer dans une sorte de festival de showcases (le New York Music Seminar, équivalent américain du Midem, NDLR), pour groupes européens. Front 242 est là aussi. C’est Herman Schueremans (le grand patron de Rock Werchter, NDLR) qui avait pas mal de contacts sur place et qui avait essayé de les pousser. Mais pour être honnête, il n’y avait pas beaucoup de monde au concert. D’ailleurs, ça n’a pas donné grand-chose par la suite. Le groupe était forcément un peu déçu. Mais pas moi. Leur musique est européenne
1996. Rue Dansaert, dans sa chambre à coucher.
“Cela correspond à une période où l’on se voyait moins. Il était beaucoup en France, je bougeais aussi beaucoup à l’étranger. ça faisait déjà 20 ans qu’on se connaissait. C’est via Paul Couter que la connexion s’est faite. Ils avaient leur duo. Moi, je travaillais encore dans une imprimerie photo. Avec Arno, cela a directement cliqué. J’ai tout fait avec lui: roadie, tour manager, photographe, etc. Ces deux dernières années ont encore renforcé ce lien entre nous. On se voyait au minimum quatre, cinq fois par semaine.”
1984. Sur la route.
“À l’époque, j’étais au chômage. Je revenais de Berlin où j’avais passé plusieurs mois. J’avais été fasciné par la liberté qu’on y trouvait. On était en pleine guerre froide mais il y avait une atmosphère super créative. Bref, quand je retourne à Ostende, je ne trouve pas de travail et Arno me propose de les accompagner en tournée. J’étais roadie, je m’occupais aussi des lights, j’essayais de traduire leur musique en lumière. Sur la tournée suivante, on avait fait réaliser une grande toile de 6 mètres sur 8, représentant un taureau. ça correspondait bien à la puissance que dégageait le groupe sur scène -et puis, c’est aussi le signe astrologique d’Arno. J’y avais également ajouté une couche fluorescente. À un moment du show, je braquais toutes les lumières dessus, et c’était presque comme si la bête sortait de la toile. Collé à la musique, c’était très impressionnant.”
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