Amyl and the Sniffers explosifs en diable: “Mon corps est toujours habité par des démons”

Amyl and the Sniffers, un nom dérivé du nitrite d’amyle, l’autre nom du poppers. © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Emmenés par la turbulente et explosive Amy Taylor, les Australiens d’Amyl and The Sniffers explorent de nouveaux territoires sur un troisième album toujours fort en gueule.

« Désolée pour le retard. Je devais aller pisser. » Amy Taylor, chanteuse d’Amyl and the Sniffers, débarque devant la caméra comme sur scène. Tout en discrétion et finesse. La jeune femme est chez elle, à Los Angeles, où elle s’est installée en mars. L’Australienne est une tornade, un ouragan. Une espèce d’improbable croisement entre Iggy Pop, Kathleen Hanna et Daisy Duck (pour la voix de canard). Un journaliste français a un jour comparé Amy à Carrie, l’héroïne du premier Stephen King. « Sur scène, la gentille fille ultra souriante qui répond avec ingénuité aux interviews change de regard. Son style white trash destroy prend le contrôle de la chanteuse. Son corps se désarticule, comme habité par des esprits démoniaques… » « Je trouve ça hilarant, glisse-t-elle, sympathique et bon public. Mon corps est toujours habité par des démons. La question est juste de savoir quand et où je les laisse sortir. »

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Les chansons d’Amyl and the Sniffers (un nom dérivé du nitrite d’amyle, l’appellation savante du poppers) et plus particulièrement encore ses concerts sont autant de défouloirs et d’exutoires dans un monde qui perd la tête et se voit plus que jamais menacé par un retour en force des réactionnaires et du conservatisme. Sur Cartoon Darkness, Taylor réclame l’avortement gratuit. Une requête, une exigence qui résonne bruyamment chez nous après les propos récemment tenus par le Pape. Au dernier jour de sa visite en Belgique, François a qualifié l’IVG d’homicide et comparé les médecins qui la pratiquent à des tueurs à gages… « C’est hallucinant. On est dans ce genre de discours et de pensée aussi en Amérique. Et à Adélaïde pareil. J’ai vu qu’un mec y proposait que les femmes ne puissent plus avorter après 22 semaines, qu’elles doivent à tout prix essayer de donner naissance à l’enfant quelles que soient les circonstances. C’est complètement dingue. Je pense que ça s’inscrit dans un programme global pour enrayer la décroissance démographique. Il y a du sexisme et de la religion derrière tout ça. Mais il y a aussi le fait que le taux de natalité est en train de chuter. Et forcément c’est lié à la croissance et à l’argent comme tout le reste. On veut qu’il y ait davantage de bébés, davantage de monde sur cette terre. On fait passer l’économie avant le corps des femmes. Ca signifie tellement de choses quant au manque de respect dont elles font l’objet. Parce que je ne parle pas de tout le reste. De toutes les autres violences qu’elles ont à endurer. Cette chanson est pour moi un bon moyen de les libérer de la culpabilité. »

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Il faut la voir arpenter la scène comme une furie pour s’en convaincre. Amy entretient, selon son guitariste Declan Mehrtens, une relation particulièrement saine à la colère. « Quelqu’un qui ne se fâche jamais m’énerve, glisse-t-il. Je pense que la colère est souvent mal comprise, mal interprétée. Elle est perçue de manière très négative. Mais ce n’est pas nécessairement quelque chose de mauvais et de néfaste. Celle d’Amy est positive. Pour la simple et bonne raison qu’elle l’exprime et s’en libère. »

« Je peux me mettre en colère même si c’est moins le cas maintenant. Et je me sens mal quand ça arrive, avoue la principale intéressée. Parce que je ne veux pas faire peur aux gens ou les mettre mal à l’aise. Mais je pense que c’est un outil efficace. A fortiori quand tu es une femme. On dit trop souvent aux filles de ne pas faire de vagues. De rester tranquilles, d’être gentilles, de bien se tenir. Il est d’autant plus important et nécessaire d’en user. De l’exprimer. Ca signifie que je suis fidèle à mes émotions plutôt que d’essayer de faire plaisir aux autres. Puis je me sens bien quand je la laisse sortir. J’ai le droit d’être fâchée. Tout le monde est à la fois une bonne et une mauvaise personne. Et c’est très bien comme ça. »

Nouveaux punks

Troisième album des Australiens, Cartoon Darkness a été enregistré en début d’année sur la même console que le Rumours de Fleetwood Mac et le Nevermind de Nirvana: au Studio 606, celui des Foo Fighters, à Los Angeles. Il a été produit par Nick Launay (Nick Cave and The Bad Seeds, Arcade Fire, Yeah Yeah Yeahs) et voit le groupe explorer de nouveaux territoires. « Par le passé, on se disait qu’on avait besoin de chansons pour nos concerts, poursuit le guitariste. On faisait des morceaux pour pouvoir monter sur scène. Maintenant qu’on en a assez, on s’est dit qu’on pouvait aborder les choses différemment. Varier un peu les plaisirs, ouvrir le cadre. » Big Dreams et Bailing on Me renvoient aux années 90. Notamment à Courtney Love et à Hole. « La musique des nineties m’a beaucoup influencée au moment où j’ai écrit les morceaux. Mais je pense surtout aux Butthole Surfers, à White Zombie. Ces années 90-là. »

© DR

Sur ce nouvel album, Taylor et sa bande se rapprochent à l’occasion du hip-hop (Chewing Gum, U Should Not Be Doing That, Me and The Girls et son vocoder à la Daft Punk…). Non sans rappeler le rap des blancs-becs des Beastie Boys. « On en a pas mal écouté. Ca a clairement été une des influences du disque. J’aime le rap. J’aime son phrasé. J’aime son attitude. J’aime le fait qu’il ait réussi à se montrer très critique tout en étant particulièrement amusant. Il m’a en ce sens toujours beaucoup inspirée. Je suis d’accord quand on dit que les rappeurs sont devenus les nouveaux punks. Des mecs comme JPEGMafia sont beaucoup plus punks que plein de punks qui prétendent l’être. Même si je ne crois pas trop aux genres. Ils sont tellement question d’attitude… »

Cartoon Darkness parle de crise climatique, d’intelligence artificielle, de trolls, de militantisme digital ou encore des distractions qui ne nous procurent ni plaisir ni joie mais nous engourdissent… Motorbike Song évoquent les travailleuses du sexe. « J’ai pas mal de copines qui l’ont été et j’ai vu ce qu’elles vivaient. Je les ai entendues raconter les mecs qui fréquentaient les strip-clubs et qui ne les payaient pas. Tout particulièrement les célébrités. C’était ma manière de dire: « Si tu veux te rincer l’œil, tu as intérêt de sortir les billets. » Mais ça symbolise beaucoup d’autres choses et de milieux. »

Amyl and the Sniffers, Cartoon Darkness ***(*), distribué par RoughTrade/Konkurrent

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