
Albin de la Simone, l’homme discret de la chanson française : “Le malentendu est mon ami”
Musicien, chanteur, compositeur, producteur, arrangeur, Albin de la Simone est aussi désormais écrivain. Discussion au long cours avant son concert au Central de La Louvière, le 20 avril. Où il est question de The Cure, de Johnny et de comment il s’est retrouvé attaché en slip autour d’un arbre en Côte d’Ivoire…
C’est un homme discret, mais, dans le paysage de la chanson française, incontournable. A 54 ans, Albin de la Simone a sorti pas moins de sept albums, a été nommé plusieurs fois aux Victoires de la musique, a collaboré avec Pomme, Vincent Delerm, Alain Souchon, Miossec, Arthur H, Vanessa Paradis… Prolixe, celui qui produit le prochain album d’Alice on the Roof ne s’arrête jamais.
A l’automne dernier, il a quand même dû mettre le holà. «De janvier à septembre, j’ai fait un milliard de choses. Je suis sorti de cette période rincé, avec l’envie de me poser.» En l’occurrence, Albin de la Simone profitera surtout de cette «pause» pour passer quelques jours à la Villa Médicis et… terminer son premier livre. Paru le mois dernier chez Actes Sud, Mes battements revient sur son enfance et adolescence, accompagné de ses propres dessins (il a étudié les arts graphiques à Tournai).
Dans la foulée, le musicien n’a pas pu s’empêcher de retourner en studio pour réenregistrer seul quelques-uns de ses anciens morceaux, ains qu’une série de covers et un inédit. Intitulé Toi là-bas, ce huitième disque fait aujourd’hui l’objet d’une tournée. Seul sur scène, Albin de la Simone promet de jouer, chanter, dessiner et raconter des trucs, parfois en même temps. «Reste à voir anatomiquement comment faire»… Réponse le 20 avril à Central, à La Louvière. Et dans cet entretien, où il est aussi question de The Cure, d’une figure paternelle romanesque, de Johnny, et de comment il s’est retrouvé attaché en slip autour d’un arbre en Côte d’Ivoire…
Vous sortez un premier livre, Mes battements. L’exercice vous a-t-il plu?
Oui, mais à vrai dire, je ne l’ai pas senti passer. C’est devenu un livre, mais au départ, c’est juste un assemblage de textes et de dessins que j’accumule depuis six ou sept ans. L’essentiel a été écrit sans réfléchir, de manière très naturelle et très légère. Je ponds un texte, il est bien, je suis content. Mais si ce n’est pas le cas, je le jette. Ce n’est pas très grave. Même chose pour les dessins. Une chanson, en revanche, génère une pression considérable. Si j’en loupe une, c’est un cauchemar.
Vous démarrez le livre en écrivant: «Avec un nom à particule comme le mien, on est précédé par des images.» A-t-il souvent été la cause d’incompréhensions?
Oui, mais d’une manière que j’ai mis longtemps à comprendre. Par exemple, plein de gens sont convaincus que c’est un nom de scène. Au début de ma carrière, un gars d’une maison de disques m’a même conseillé de changer de pseudo. Quand je lui ai expliqué que c’était mon vrai nom, il m’a dit: «Ok, mais il suggère un truc. Et si tu le gardes, c’est comme si tu prenais un pseudo.» A l’époque, ça m’avait gonflé. Je ne souffre pas tant qu’on me prenne pour un aristocrate. Je m’en fous, en fait. Mais c’est vrai que dans le livre, j’explique que cela créait des décalages. Gamin, on nous prenait pour des gens richissimes, alors qu’on n’avait pas une thune. En plus, j’ai grandi dans la campagne picarde. Or, mes parents venaient de la ville et m’ont inculqué, en quelque sorte, cette culture urbaine. Je ressemblais donc à un citadin friqué, alors que j’ai toujours vécu à la campagne, fauché. Donc oui, le malentendu est mon ami (sourire).
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Sur votre album précédent, Les cent prochaines années, vous chantiez: «Le passé est imprévisible.» C’est ce que vous vous êtes dit en replongeant dans votre enfance et votre adolescence?
Vous savez d’où vient cette phrase? C’est probablement la seule que je n’ai pas inventée sur ce disque. Je l’ai entendue à Moscou, il y a cinq ou six ans. J’y étais pour donner un concert et quelqu’un m’a dit ça: «Tu sais, nous, en Russie, même le passé est imprévisible.» Vous imaginez ce que cela veut dire? En vous donnant une information sur votre passé, on peut complètement en retourner le sens. Philosophiquement parlant, c’est vertigineux.
Ce fut le cas avec ce livre? Avez-vous été surpris?
Absolument. Je me suis rendu compte, par exemple, que mon père apparaissait énormément dans le bouquin. Pourtant, c’est quelqu’un contre lequel j’ai pu être fortement en colère. Mais en mettant sa vie sur papier, il m’est apparu beaucoup plus séduisant. C’était un père compliqué. Je n’arrivais pas toujours à communiquer facilement avec lui, et il y a une série de choses que je n’ai pas réussi à résoudre. En attendant, c’était quand même un personnage incroyable. Et assez attendrissant dans sa manière d’avoir toujours tout fait, sans même s’en rendre compte, pour vivre la grande vie, alors qu’on n’avait vraiment pas un rond. Tous les cadeaux de Noël, d’anniversaire, etc. étaient des trucs bricolés. Je me souviens de lui avoir demandé un jour un vélo de cross. Il est allé à la casse, et est revenu avec une vieille mobylette dont il avait juste enlevé le moteur. C’était tout le temps comme ça.
En parallèle du livre, vous sortez un disque composé pour l’essentiel d’anciens morceaux revisités. De la même manière, avez-vous redécouvert certaines choses en les réenregistrant?
Oui. J’ai retrouvé ce que j’ai voulu dire au départ, sans avoir toujours bien réussi à l’exprimer. Une chanson comme Non merci, notamment. Elle parle d’un adolescent qui n’aime pas danser. A l’époque, j’étais en colère contre cet ado que j’avais moi-même été. Je m’en moquais. Aujourd’hui, j’ai plus de tendresse envers lui. Donc la nouvelle version du morceau est aussi beaucoup plus douce. Autre exemple: un titre comme Avril 4000, tiré de mon deuxième album. A la base, c’est un rock tendu, hyperdésagréable. Il reflète surtout le goût pour la musique que j’ai pu écouter ado. Mais c’est une esthétique qui ne convient pas à ma voix. Ni au thème de la chanson, qui est une sorte de déclaration d’amour au futur, très enthousiaste et presque exagérée. J’ai voulu «corriger» ça. Maintenant, quand je chante «nous ne verrons que nous», je le fais sur un arpège romantique de piano, cela me semble plus adapté.
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Sur Je te manque, vous glissez quelques notes d’un synthé qui a traumatisé les enfants des années 1970 et 1980: celui du Moment in Love, d’Art of Noise.
Ça me fait plaisir que vous l’ayez retrouvé! C’est un son que j’ai recherché très activement (NDLR: à lire les commentaires de la vidéo YouTube du morceau en question, Albin de la Simone n’est pas le seul). Je l’avais en tête, je savais qu’il était tiré d’un synthé Fairlight, qui était un instrument qui valait un million de francs (NDLR: français) à l’époque. Mais je ne savais pas exactement lequel. Aujourd’hui, heureusement, il existe des banques de son. J’ai tout écouté et je suis finalement retombé dessus. La plupart du temps, quand vous avez une idée comme ça, elle n’est pas bonne. Vous passez deux heures à chercher le bon effet, et ça ne donne absolument rien. Mais dans ce cas-ci, ça a tout de suite fonctionné!
A côté des anciens morceaux, vous avez également écrit un inédit, Toi là-bas, qui fait, lui, immanquablement penser à The Cure. Avez -vous écouté leur dernier album? (NDLR: leur premier en seize ans, Songs of a Lost World, paru l’an dernier)
Oui, un peu. J’y retrouve tout, sauf les morceaux de mon adolescence. Donc, c’est comme une forme d’extension. Je trouve ça chouette. Mais je ne ressens pas le besoin d’avoir des nouvelles chansons de The Cure.
C’est un groupe qui a compté pour vous?
Enormément. Mais pas à l’époque qu’aiment les «puristes». J’y suis rentré au moment du lycée, avec un disque comme The Head on the Door, qui était plus pop. Par la suite, j’ai remonté le fil de leur discographie vers les albums plus sombres et tout cet univers et ce marasme de la dépression adolescente. Quelque part, cela faisait du bien d’aller s’y réfugier, de pouvoir aller pleurer sur un titre comme Charlotte Sometimes (sourire).
En reprenant Ma gueule de Johnny, j’impose une lecture où la douceur l’emporte sur la brutalité. C’est ma petite revanche
D’où l’éternelle question de l’écrivain Nick Hornby: est-on malheureux parce qu’on écoute trop de musiques tristes ou écoute-t-on des musiques tristes pour apaiser le spleen existant?
Je ne sais pas, mais il y a quelque chose de très apaisant dans la mélancolie. C’est un bain chaud, dans lequel on peut facilement se complaire, et que certaines musiques peuvent en effet «encourager». D’autant que vous ne risquez rien. Je ne parle évidemment pas de la dépression, mais de cette espèce de chatouille profonde, vaguement réconfortante. Au départ, je ne suis pas du tout quelqu’un de mélancolique. Mais c’est vrai qu’écouter un morceau de John Coltrane qui donne l’impression de pleurer en jouant du saxophone me parle plus qu’une chanson joyeuse de Gotainer. Même si je trouve ça cool aussi, je n’y trouve pas la même profondeur.
L’album inclut également des reprises de Françoise Hardy, Adamo, Michel Legrand et même… Ma gueule de Johnny Hallyday.
Pour moi, cette chanson, c’est vraiment de la virilité brutale –Johnny, à cette époque, ça y allait! Cette violence, c’est quelque chose dont j’ai pu être victime plus jeune, physiquement mais aussi psychologiquement –les fameux «malentendus» dont on parlait au début, qui ont provoqué pas mal d’agressivité à mon encontre. J’en ai vraiment souffert. Cette chanson, c’est un peu l’emblème de ça: «Quoi? Ma gueule te revient pas? Viens te battre», etc. En la chantant, je me suis rendu compte qu’elle prenait un sens complètement différent. Je peux l’emmener ailleurs. Disons que j’impose une autre lecture où la douceur l’emporte sur la brutalité. C’est ma petite revanche.
Sur Pourquoi on pleure, que vous interprétez en duo avec Alice on the Roof, vous chantez: «Le temps perdu/A lever le menton/A regarder au loin.» Avec les différents projets que vous menez, on a du mal à vous imaginer procrastinateur…
C’est justement parce que je crois l’être que j’en fais des tonnes… A nouveau, comme je n’étais pas en adéquation avec les aspirations de mon père –qui aimait les vieilles bagnoles, le jazz et à aller couper du bois en forêt–, il pensait volontiers que je ne m’intéressais à rien, et que j’étais un gros flemmard. Alors que j’étais surexcité par plein de trucs. J’étais prêt à passer des journées entières à fabriquer des synthés avec des bouchons que je collais sur des cartons, pour faire comme Jean-Michel Jarre. Mais lui, en revanche, trouvait ça nul. Donc j’ai grandi en ayant l’impression d’être un branleur, qui ne foutait rien. De là je suis devenu un travailleur acharné et ordonné, qui culpabilise quand il ne bosse pas… D’autant que, en tant qu’artiste, vous pouvez avoir facilement l’impression de ne rien construire de solide, de n’être jamais à la hauteur, etc. Cela étant dit, la curiosité reste aussi un gros moteur. L’an dernier, Marguerite Abouet, la dessinatrice de la série BD Aya de Yopougon, dont je suis fan, m’a par exemple contacté pour participer à son prochain projet, un roman-photo, Les Amours de Machérie (Seuil, parution le 25 avril). Elle voulait me confier le rôle principal. Je suis parti pendant une semaine du côté d’Abidjan pour shooter plus de 600 photos. Pour une scène, je me suis même retrouvé en slip, ligoté à un arbre dans un village. Comment aurais-je pu refuser? Après tout, on n’a qu’une vie… ●
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