Adam Green célèbre les 20 ans de Friends of Mine: « L’album représente à mes yeux la joie de chanter »
Adam Green retrouve Kimya Dawson pour quelques concerts des Moldy Peaches et se pointe à l’AB pour fêter les 20 ans et la réédition de Friends of Mine. Rencontre à Brooklyn avec une légende de l’antifolk devenu le crooner décalé des temps modernes.
Williamsburg. Un lundi de mai ensoleillé. Chapeau vert vissé sur la tête, Adam Green sort d’un taxi et excuse son léger retard. Il terminait d’enregistrer les chœurs d’un morceau en studio. Adam a faim. Il a fixé rendez-vous au Mogador, un restaurant marocain historique. Et il est un peu à la bourre. Dans trois quarts d’heure, il doit aller chercher ses gamines à l’école. À 42 ans, le natif de Mount Kisco (le patelin de l’État de New York où est mort Superman) a reformé les Moldy Peaches pour quelques dates, réédite son album Friends of Mine, dont il fête les 20 piges à l’AB le 6 juin (complet).
Tu es un peu en mode Michael J. Fox/Retour vers le futur pour le moment…
Adam Green: À un moment de ma carrière, je sortais quasiment un album par an. Donc, tu risques de devoir te coltiner encore pas mal d’autres 20es anniversaires d’Adam Green (rires). Les propositions sont venues des maisons de disques. Mais franchement, j’espérais que quelqu’un en ait envie. Mes vieux albums sont compliqués à trouver en vinyle. Je ne pense pas qu’on en avait pressé beaucoup. Je suis content qu’ils réapparaissent dans les bacs. Quand j’étais à l’école, j’étais un fan d’indie rock. Je collectionnais les disques. J’achetais des vinyles. Je les auscultais sous toutes les coutures allongé sur mon lit. J’ai vraiment de grands souvenirs de ces expériences. Les groupes que j’écoutais à l’époque, Bikini Kill, Sebadoh, The Folk Implosion, Elliott Smith, Palace Brothers ou que sais-je encore, sortaient en 33 tours. C’est intéressant, je trouve, de réécouter ces disques après tant d’années. Il se fait aussi que j’ai pas mal d’archives. Des outtakes, des démos, des enregistrements de concerts… J’avais gardé des boîtes remplies de ces trucs sans trop savoir ce que j’allais en faire. J’avais commencé à douter que qui que ce soit y trouve une quelconque utilité.
Comment procèdes-tu avec ces rééditions?
Adam Green: En bossant sur cette compilation des Moldy Peaches publiée l’an dernier, Origin Story (1994-1999), je suis retombé sur plein de choses qu’on avait écrites avant d’enregistrer nos disques. Des trucs super vieux, qui remontent à quand j’avais 14 ans. Et en fouillant, j’ai trouvé du matériel pour Garfield, pour Friends of Mine, pour Gemstones… Pour tous mes disques en fait. Les labels ont choisi ce qu’ils voulaient utiliser comme bonus. Avec Friends of Mine, c’est assez marrant et c’est dû à la manière dont il a été conçu. En gros, comme une expérimentation sur le chant… À l’époque, je m’étais mis en tête que j’écrirais mes chansons en chantant. Sans guitare. Je me promenais avec un petit enregistreur. Je prenais un micro et je me baladais dans la pièce en fredonnant pendant des heures, parfois après avoir prévu une progression d’accords. Je m’étais abîmé la main en jouant de la gratte. C’était compliqué et douloureux. Je n’en ai d’ailleurs jamais totalement guéri. Durant le processus, j’ai réalisé que c’était la meilleure manière d’écrire des chansons.
Pourquoi?
Adam Green: J’avais une technique très limitée. Je forçais mon jeu sur chaque morceau que j’écrivais. Ça n’avait pas de sens. J’ai réalisé que sans la guitare, ma tête était remplie de mélodies. Les chansons, les rythmes pouvaient devenir n’importe quoi. Ils ne devaient pas correspondre à des accords simplistes. Ce disque, je pense que c’est moi qui deviens un songwriter plus mélodieux. Accidentellement. Mais ça m’a donné une autre vision de ce qu’était une chanson.
C’est le disque où tu deviens un crooner…
Adam Green: ll y avait quelque chose de très plaisant et reposant pour moi dans le crooning et le vibrato. J’écoutais tous ces disques de Chet Baker, de Sinatra, de Scott Walker, des Doors. Je voulais que mes chansons suivent le rythme de moi qui marche. L’album Friends of Mine représente à mes yeux la joie de chanter en marchant. La joie de chanter tout court. Tu entends des chansons faites pour le pur plaisir de les chanter. Les démos -il devait y en avoir sept ou huit-, je les avais appelées The Joy of Singing.
Comment as-tu atterri sur le petit label belge Capitane Records pour cette réédition?
Adam Green: On a partagé une tournée avec Turner Cody l’année passée. J’ai rencontré son groupe Soldiers of Love mais aussi son label. Ils étaient très enthousiastes et ils avaient compris ma vision du truc. Turner et moi, on se connaît depuis qu’on a 18 ou 19 ans, quand j’ai débarqué à New York. On s’est rencontrés à l’open mic antifolk du Sidewalk Café dans l’East Village. On s’y produisait tous les deux. Puis on s’est soutenus. On a appris un tas de choses ensemble. C’est spécial de revenir comme ça 20 ans après. On se rappelle plein de souvenirs et de vieilles histoires. J’aime beaucoup me remémorer tout ça avec lui. On parle de nos vieux appartements, de nos anciens quartiers. À l’époque, on travaillait sur de vieilles cassettes. Ça a un son très particulier. C’est si vintage. Ça me semble venir d’un autre temps. Un temps où la réalité était différente. C’est comme quand tu regardes un épisode de Seinfeld. Les ordinateurs ont l’air préhistorique. Tu as un vieux Macintosh sur le bureau. J’ai l’impression d’être de retour à Williamsburg en 2001, dans mon vieil appart. Pas très loin d’ici en fait. C’était une époque assez solitaire. Quand je me suis installé, c’était bien moins peuplé que maintenant. J’habitais près du Kellogg’s Diner. C’était vraiment détendu. J’avais l’impression d’être sur la lune de Manhattan. J’aime me promener dans les parages.
Pourquoi avoir accepté cette reformation des Moldy Peaches?
Adam Green: Un documentaire, Meet Me in the Bathroom, a récemment été réalisé sur la scène rock new-yorkaise du début du siècle. Il m’a vraiment plu. Des tonnes de groupes qui auraient pu y figurer ne sont pas dedans. Mais c’est compliqué de raconter tout ça en 90 minutes. Il ne parle pas beaucoup de la scène antifolk. Tu ne verras pas Jeffrey Lewis, Regina Spektor, Black Dice, Gang Gang Dance ou les Walkmen, qui auraient pu en être. Ils ont joué des concerts avec nous dans le temps. Comme Animal Collective. Des gros trucs, quoi. Quand j’ai entendu parler de ce projet, je me suis dit que les Moldy Peaches ne seraient jamais dedans, que ça tournerait juste autour des Strokes. Je suis donc très content de m’y retrouver. Ils nous ont proposé de jouer à la première du film. Ils ont probablement dû demander aux Strokes, aux Yeah Yeah Yeahs et à Interpol d’abord qui ont tous décliné (rires). Ça a été une chouette occasion de se reformer. Parce qu’on y a toujours pensé. Toujours est-il qu’une semaine plus tard, on s’est retrouvés avec une tonne de propositions. Plus que ce qu’on pouvait accepter. On a sélectionné quelques dates: New York, Londres et le Primavera. Après, on verra. Kimya a des problèmes aux pieds et des soucis de mobilité. Elle a besoin d’un déambulateur. Elle devra être assise pendant nos concerts. Ça conditionne ce qu’on peut faire. Puis, on a des familles aussi. Après, pour moi, c’est notre karma. C’est le moment. Le monde a l’air de le vouloir. Si ce n’est que ça, ce n’est que ça. Mais ça ira peut-être plus loin.
Qui a été le plus difficile à convaincre?
Adam Green: On était aussi réticents l’un que l’autre. Je n’ai pour ainsi dire plus joué dans ce groupe depuis mes 21 ans. Pratiquement la durée de ma vie d’adulte. C’est marrant qu’on te demande de revenir avec un projet de quand tu étais un enfant… À Los Angeles, pour la première du docu, j’ai été surpris de voir qu’instantanément, ça me semblait naturel. Ça a été un plaisir. Je me suis tout de suite souvenu de toutes les paroles. J’étais tellement jeune à cette époque-là qu’elles font partie de moi. Je ne les oublierai jamais.
Je me souviens que quand les gens réclamaient du Moldy Peaches pendant tes concerts solo, tu leur demandais où ils étaient dix ans auparavant?
Adam Green: C’est marrant. C’est incroyable même à quel point les Moldy Peaches sont populaires aujourd’hui. Je ne sais même pas pourquoi. Il y a sans doute le film Juno. Mais les chansons des Moldy Peaches tournent autour de l’école secondaire. C’en est le thème. C’est là qu’on était quand on les a écrites. Tu as l’impression aujourd’hui que les élèves se les sont refilées d’année en année depuis 20 piges. C’est le genre de truc fun comme une mixtape que tu passes à tes amis. Des adolescents découvrent ces disques tous les ans. C’est, je pense, à cause de ce dont ça parle. Le fait de grandir, d’être un ado. Ça continue à faire partie de l’expérience de la subculture adolescente. Je ne peux m’empêcher d’être heureux en pensant qu’on a écrit toutes ces chansons en se disant que personne ne les entendrait. C’était très spontané. J’ai le sentiment que les gens ont davantage d’idées derrière la tête dans ce qu’ils font aujourd’hui. C’est génial qu’on les ait sorties avant qu’on y réfléchisse trop.
N’aviez-vous pas plus d’humour que les groupes d’aujourd’hui?
Adam Green: Je ne sais pas si on était plus marrants qu’ils le sont maintenant. Dans la plupart des villes, il y a de la bonne musique. Des super choses. Il faut juste savoir où les trouver. Je suis sûr que pour l’instant à New York, quelque part, tu as une petite scène très amusante. Peut-être qu’ils ont leur propre univers à l’intérieur. La scène antifolk a toujours été un peu idiote. Elle a toujours eu cet humour punk et insolent. Et l’East Village, le Lower East Side à l’époque avaient tous ces théâtres et cinémas expérimentaux. C’était comme si on faisait partie du mouvement no wave. Quand on est arrivés, il y avait encore des réminiscences du New York de John Waters. Il y avait encore du Nick Zedd, de ce truc no wave -et de son cousin morveux le cinéma de la transgression. De ces réalisateurs gonzo de l’East Village. Il y avait tellement d’humour là-dedans. Et donc, je pense que la scène antifolk était associée à ce genre de choses. Avec les Moldy Peaches, on était très bien dans ce monde. Je ne sais pas si cet humour est encore très populaire pour le moment.
Vous connaissiez les Strokes avant de signer chez Rough Trade?
Adam Green: Le premier des Strokes que j’ai rencontré, c’est Albert (Hammond Jr.). On a bossé ensemble dans un magasin de vêtements vintage de l’East village. On passait notre temps à parler de musique et de fringues. Ils ont eu une résidence au Mercury Lounge et on a ouvert pour eux avec les Moldy Peaches. Rough Trade a signé les Strokes, est venu à New York, voulait un autre groupe new-yorkais et nous a embauchés quelques semaines plus tard.
Votre premier album est sorti le 11 septembre 2001 aux États-Unis…
Adam Green: (il baisse clairement la voix) Le disque est sorti plus tôt en Europe. On a passé cet été-là à tourner chez vous. Je n’avais même pas réalisé que notre disque était sorti ce jour-là. C’est seulement rétrospectivement que quelqu’un nous l’a fait remarquer. Certaines personnes pensaient que la chanson New York City’s Like A Graveyard parlait du 11 septembre. On nous a demandé de la retirer du disque. Ce que nous n’avons pas fait. Mais nous avons arrêté de la jouer en concert. On a essayé une fois et toute la salle est restée silencieuse. On a réalisé qu’il était impossible d’expliquer. C’est toujours un traumatisme. Inévitablement. Les gens en ont fait des cauchemars pendant des années.
C’est quoi à tes yeux l’antifolk?
Adam Green: Je fais partie d’une minorité de gens que cette étiquette ne dérange pas. Ce mot et ce mouvement folk punk à New York existaient avant nous, depuis les années 80. Avec Roger Manning, Paleface, Beck, Daniel Johnston, Michelle Shocked… Un tas de gens. J’ai eu la chance d’arriver avec une nouvelle promo: Jeff Lewis, Turner, Prewar Yardsale, Regina Spektor, Ish Marquez, Toby Goodshank, Seth de Dufus… C’était très excitant. Quand la presse a commencé à nous qualifier d’antifolk, je trouvais qu’on pouvait être heureux qu’elle nous appelle par quelque terme que ce soit. Ça rassemblait tous ces gens et ça permettait au public de les découvrir. Tu pourrais faire des coffrets entiers avec des super chansons que personne n’a jamais entendues. J’espère qu’un jour quelqu’un se penchera là-dessus. Ce serait si cool des compilations Nuggets de l’antifolk. Après ça ne signifie rien de bien précis. C’est une idée de folk punk et gonzo. Certains sont très calmes et gentils. D’autres sont abrasifs et rugueux. Au final, c’était une communauté de très bons artistes dont je suis content d’avoir fait partie.
Ça a été une réponse, une réaction au folk sérieux des années 60?
Adam Green: Je le vois plutôt comme une continuation de la scène de Lower Manhattan. The Fugs, The Dogs, Pearls Before Swine… Puis aussi de tout ce qui s’était passé avec Bob Dylan et compagnie. Il y avait beaucoup de contre-cultures dans les années 60. Allen Ginsberg, Karen Dalton. Tout ça s’est glissé d’une manière ou l’autre dans l’antifolk.
Notre critique de Friends of Mine (20th Anniversary) d’Adam Green
Le 23 juin 2003, avec Friends of Mine, Adam Green sortait son beau costard, ses arrangements de cordes et sa voix de crooner. Sans oublier son sens de l’humour (Jessica, dédié à Jessica Simpson) et ses blagues graveleuses (No Legs et ses tips pour faire l’amour à une fille sans jambes). Friends of Mine, c’est aussi le disque de Bluebirds et de Bunny Ranch. Une entêtante collection de chansons qui a mis le New-Yorkais sur orbite. Tournant, farfelu, autour des Frank Sinatra, Scott Walker et autre Serge Gainsbourg. Pour célébrer les 20 ans de la bête, le label Capitane dégaine le double vinyle avec outtakes, démos, mémo, faces B, lives et reprises (Kokomo, Born to Run). Irrésistible.
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