Ils sont fils de vedettes belges, mais certains d’entre eux changent de patronyme, voire de pays. Acte de discrétion ou émancipation frondeuse? Réponses – ou pas – avec les rejetons de Geluck, Lafontaine, Rapsat, Adamo, tous dans l’actu musicale.

Cela ne commence pas très fort. Coup de fil à Antoine Chance, mot qui traduit en ménapien donne Geluck. Du nom du célèbre dessinateur de chats culottés. On annonce d’emblée la couleur: article sur les fils de. Petit blanc. Réponse:  » Je viens de refuser un reportage assez important pour la télévision, je ne sens pas trop l’angle. » On dit donc à Antoine C, 26 ans, qu’on n’est pas là exclusivement pour son point G. Qu’on trouve aussi que le premier album de son groupe, Coco Royal, encore que sous forme de maquettes – enregistrées par Phil Delire (1) -, contient suffisamment de promesses musicales pour intéresser journaliste et public. Le groupe dessine une chanson française qui échappe aux coups de latte vulgaires de la variété. Antoine, qui orchestre des chansons filandreuses sur lesquelles dansent de drôles de nuages mélodiques, possède aussi une voix qui impressionne. Si on dit qu’elle évoque Philmarie – groupe-comète belge des années 90 pour lequel on eût un béguin peu raisonnable -, cela ne dira rien à personne, disons plutôt qu’il y a du talent là-dessous. Des titres comme Il y a des gens semblent immergés dans un bain de mercure glacé façon Radiohead d’où surgit un iceberg invitant: la voix d’Antoine. N’empêche, le fiston chanceux botte en touche:  » J’en parle à mon manager, je vous rappelle. » Quelles que soient les nobles motivations de vouloir échapper à la célébritédu père, la volonté de ne pas s’abriter au parapluie du fame paternel, on sait que la démarche est vaine, que les filiations se débusquent toujours, qu’il n’est pas possible de colmater cette brèche-là. Qu’il faut vivre avec et que si la musique est bonne – comme dirait David Hallyday -, elle zappera les préjugés malfaiteurs. Et puis Geluck Sr n’est pas exactement reconnu pour ses tubes au Top 50, si?

Gloire dévorante

A deux reprises, on a croisé des musiciens débutants qui pouvaient s’inquiéter du poids dévorant du père. Et là, on parle des calibres planétaires Lennon et Marley. Celui-là, c’était à la fin des années 80: Ziggy Marley, rencontré à Anvers lors de son premier concert en Belgique. Vingt ans, d’une timidité effrayante, Ziggy parle dans un charabia Jah-Ganja qui exclut toute réponse un tant soit peu rationnelle sur le père, la mère ou la marée reggae. Marley Jr s’est transporté dans une troisième dimension, aussi loin du monde des vivants que de celui des morts. Vu le poids de l’héritage, on comprend: la mort de Bob Marley (en mai 1981) l’a inifugé en icône mondiale, prince tiers-mondiste et linceul de l’éternel reggae. Ziggy marche courageusement dans ses traces musicales mais il n’en a ni la vision musicale, ni le charisme. Et encore moins la parole prophétique. Quand on rencontre Julian Lennon, un peu plus tard, et que le sujet du père John vient spontanément dans la conversation, c’est comme si un énorme nuage gris se matérialisait dans cette journée à plein soleil du début des années 90. Remontent les effluves d’une drôle de vie pour Julian: source d’inspiration de deux chansons des Beatles ( » Hey Jude » et  » Lucy In The Sky With Diamonds » ), il a mal vécu la fuite de John avec Yoko Ono et ce qui apparût longtemps comme la préférence donnée à l’autre fils, Sean. Ce qui semble dès lors beaucoup moins important, c’est les comparaisons entre styles musicaux. Julian chante comme John, dans les trémolos un peu rockabilly qui mettent de la rocaille dans les mélodies… Julian ressemble à un bateau qui n’a pas l’air de comprendre d’où vient l’écume produite par son sillage.

C£ur de louveteau

 » Oui, moi aussi, je m’intéresse aux fils de Sting ou de Stevie Wonder ». Milann, 27 ans, rejeton de Philippe Lafontaine, est comme tout le monde: traversé par les curiosités de familles et de tribus. Il sort un assez joli disque ( La Marquise) en duo sous le patronyme Milann & Laloy. Une affaire où sa voix élastique tutoie indifféremment en français ou anglais des résurgences de folk, avec un côté Mitteleuropa et des bordées d’accordéon. Milann a été guitariste chez papa il y a une dizaine d’années et en a visiblement conçu une méfiance aux rappels de paternité. Il  » décline » de parler comme  » fils de », parce qu’il veut éviter toute  » impression d’être pistonné: simplement, après quelques maquettes et expériences sur le Net, c’est mon premier album qui commence à prendre un peu, sans rameuter l’histoire du père. Et j’ai envie de continuer dans cette voie. Tu sais, lorsqu’on écrit ses premières compositions, il y a toujours des comparaisons faites avec le père, et elles sont rarement agréables (…) Je viens de refuser une émission TV père/fils. Plus tard peut-être. » Milann demande du temps pour exister, on lui dit que le nom n’est jamais un obstacle au talent.

Les rêves sont en nous

Visiblement, la question publique  » fils de » dérange. Peut-être parce que le rock déborde de clichés héroïques, virils, machistes, qu’il existe par ses individualités plutôt que par ses filiations génétiques. Se reconnaître  » fils de », c’est banaliser sa propre étoile et le rock n’adore rien de plus que la déification. Certains s’y emploient de façon plus radicale, comme Benjamin Adamo, fils du célèbre auteur de Tombe la neige.  » Depuis 10 ans, il est parti vivre en Angleterre, à Brighton, il a ouvert un Speakeasy et puis surtout, il joue dans un groupe de là-bas, Transformer (2) . » Adamo père explique que son fils  » a voulu être totalement indépendant, y compris financièrement, se débrouiller seul, suivre sa voie ». Adamo nous laisse donc le portable de Ben: le message qu’on lui laisse ne sera suivi d’aucune réponse. Interrogé sur la question, Thomas Raepsaet, fils de Pierre (3), rappeur au sein du trio Dope Skwad (qui sort son premier CD Décadence), exprime d’abord un malaise puis nous envoie un long texte par email . En voilà des extraits, significatifs et touchants: « J’ai appris à « faire avec » mon statut de « fils de » bien que l’idée de « profiter » de sa lumière me dérange toujours. J’ai envie qu’on m’aime ou pas pour ce que je suis. J’ai envie de « réussir » ou pas sans que mes origines influent, mais ça j’ai compris que ça n’est pas vraiment possible (…)Je n’ai jamais mis ma filiation en avant au cours de mes 10 ans d’activité musicale et de mes 25 ans de vie, car j’ai toujours détesté être réduit à l’inévitable étiquette de  » fils de « . J’assume cependant qui je suis et n’ai pas envie de le cacher non plus (…) Je suis heureux d’être tombé dans cette famille et d’avoir pu côtoyer un homme extraordinaire qui m’a apporté tant de choses. Je n’ai pas de recul par rapport à toutes ces choses avec lesquelles je me suis construit et ma relation avec mon père et sa mort est trop personnelle pour en parler avec d’autres personnes que mes proches. (…) Il m’a permis de voir que faire ce métier avec passion, c£ur, talent, humilité et intégrité était possible, mais je n’ai pas commencé à faire de la musique pour faire comme lui (…) Je n’ai jamais voulu de son aide, user de son influence ou tirer d’avantages de ma situation. Bien des gens s’imaginent le contraire et ça a le don de m’exaspérer. Dans bien des cas, ma situation m’a plus desservi qu’autre chose, les gens peuvent être très cons, aigris, mesquins, médisants, jaloux et autres (…) Je taille ma route dans cette jungle qu’est le monde contemporain, ne m’estimant certainement pas plus à plaindre qu’un autre et essayant de ne pas oublier de croire en moi et en mes rêves. »

Fin de partie

Antoine Chance rappelle courtoisement en se présentant cette fois-ci comme Antoine Geluck. Il décline, non plus pour des raisons de paternel – » On s’adore et chacun estime le travail de l’autre »– mais simplement parce qu’il n’a encore rien à proposer, sauf cet album qui devrait sortir  » dans un an et demi ». Comment on dit bonne chance en flamand?

(1) producteur de Bashung, Indochine, Renaud, Lavilliers, etc. Ingé son du nouveau

et splendide CD de Dez Mona.

(2) dans un style électro-rock, quelque part entre Ghinzu et Talking Heads… http://www.myspace.com/transformertransformer

(3) vrai nom de Pierre Rapsat (1948-2002).

Texte Philippe Cornet

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