Vincent Genot
Vincent Genot Rédacteur en chef adjoint Newsroom

CAÏN ET ABEL, MOÏSE OU LE ROI SALOMON… LA JEUNE DESSINATRICE ISABEL GREENBERG CONVOQUE LES PLUS GRANDS MYTHES POUR NOUS SERVIR SA GENÈSE DU MONDE.

L’Encyclopédie des débuts de la Terre

D’ISABEL GREENBERG, ÉDITIONS CASTERMAN, 176 PAGES.

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Quand l’homme du pôle Nord prend son canoë pour traverser le monde, il ne sait pas encore qu’en rencontrant la femme du pôle Sud il va découvrir l’amour. Un amour véritable, fort et irrésistible. Un amour platonique aussi: alors qu’ils devraient s’attirer, les deux pôles se repoussent, rendant impossible tout contact physique entre les deux amants. Pour se retrouver un peu, ceux-ci échangent leur place dans le lit, en milieu de nuit, afin de poser la tête sur l’empreinte laissée par l’autre sur l’oreiller. Le temps que la chaleur de l’être aimé se dissipe, c’est un peu comme s’ils étaient enlacés. Les jours se transforment en semaines, les semaines en années et la force magnétique ne cède pas. Alors ils passent des heures à se regarder dans les yeux sans pouvoir se toucher, si ce n’est de la voix. Des voix avec lesquelles ils se racontent des histoires du début de la Terre, à l’époque où l’homme-aigle, aidé de ses enfants, donnait naissance à de petites créatures qui prendront forme humaine par la force de la parole. Monstres, rois fous, homme-médecine, tueuses de géants, mères en manque d’enfant, radoteurs, vieilles biques et vieux sages sont invités autour du berceau avant d’y plonger pour donner vie à un monde inconnu et étrangement proche. Une cosmogonie construite autour de petits récits directement inspirés par des grands mythes universels.

Vessies et lanternes

Prenez un peu de L’Odyssée d’Homère, deux ou trois belles paraboles de la Bible, une brassée de personnages de légende, quelques mystères des Mille et une Nuits. Secouez énergiquement en ajoutant de nombreux dessins dignes des plus belles xylographies et vous obtenez un très beau, et très étrange, roman graphique qui fait la part belle au récit. Simple comme les premières enluminures, le dessin joue surtout des couleurs pour rythmer la narration. Petites vignettes ou pleines pages, le découpage ne s’embarrasse d’aucune règle, si ce n’est celle de proposer un maximum de planches graphiquement réussies. Diplômée de l’université de Brighton, collaboratrice régulière au Guardian et au New York Times, l’Anglaise Isabel Greenberg est, à l’image de ses personnages, une conteuse exceptionnelle qui arrive à tisser des liens entre les histoires du monde pour broder une sorte d’encyclopédie de la culture orale et narrative. Une culture encyclopédique qui n’échappe pas à quelques longueurs heureusement piégées par des chausse-trappes qui vous font prendre des vessies pour des lanternes. Ce qui ajoute une lecture sous la surface: une particularité qui devrait plaire au pays du surréalisme. Esprits cartésiens sans humour s’abstenir.

VINCENT GENOT

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