Une longue absence n’a en rien bridé l’audace et l’originalité d’un cinéaste au style intense et viscéral. Hommage à la Cinematek et rencontre mémorable.

Il a fait de la boxe avant d’étudier le cinéma. Et l’approche très physique qu’il a de ce dernier n’a pas faibli au fil des années. Jerzy Skolimowski aura marqué le 7e art des années 60 ( Signe particulier: néant, Walkover, La Barrière, Le Départ), 70 ( Deep End, The Shout) et 80 ( Moonlighting, The Lightship), avant de s’arrêter de tourner au début des années 90, consacrant 17 ans à la peinture avant de faire le plus inattendu des retours. Venant après Quatre nuits avec Anna (2008), son dernier film en date, Essential Killing, a marqué le dernier festival de Venise où il fut primé 2 fois (Prix du Jury et Prix d’interprétation pour Vincent Gallo, qui joue un prisonnier afghan s’acharnant à survivre dans l’hiver polonais après s’être évadé de la garde de ses geôliers américains). A l’heure où la Cinematek bruxelloise lui consacre une belle rétrospective (1), celui qui incarna autrefois, avec son complice Roman Polanski, le -passionnant- jeune cinéma polonais, nous a confié quelques réflexions de choix sur son peu banal parcours…

Vous vous êtes fait connaître à 24 ans, en écrivant le scénario du Couteau dans l’eau de Polanski. Quarante-huit ans plus tard, votre nouveau film, Essential Killing, aborde le même thème: celui de la survie…

Il semble qu’un parallèle puisse être tracé entre ce thème fictionnel et la réalité de ma propre existence. Les circonstances politiques en Pologne m’ont forcé à émigrer quand mon film Haut les mains a été interdit en 1967. J’ai vécu la vie d’un nomade, allant d’un pays à l’autre en essayant de faire des films. Je puis ressentir dans mon expérience personnelle ce qu’est l’instinct de survie. Bien sûr pas au degré extrême que connaît le personnage d’ Essential Killing, un être humain réduit à son animalité, forcé à tuer pour rester en vie…

Comment vous est venue l’idée de ce dernier film?

J’habite dans une région forestière, sauvage, de la Pologne. Non loin d’un aéroport militaire secret où des avions de la CIA sont supposés avoir amené des détenus en provenance du Moyen-Orient. Un soir d’hiver où je rentrais chez moi en voiture sur une route glissante, j’ai dérapé, et mon véhicule est parti en tonneau jusqu’au bas d’une pente. A l’instant où ma voiture s’est arrêtée, j’ai su que j’avais mon film! C’était la route menant vers cet aéroport, la route des convois. Et un détenu pouvait très bien profiter d’un pareil accident pour s’enfuir. Dans l’hiver glacé, dans une nature hostile et poursuivi par des hommes et des chiens, il serait confronté à la pure urgence de survivre. Un vrai sujet humain, sans besoin d’en faire un film politique. Je m’étais déjà brûlé les doigts dans ma jeunesse avec un film antistalinien, alors… Je pense qu’au fond, vous ne cherchez pas les sujets de vos films, ce sont eux qui vous trouvent!

Qu’y avait-il d’unique dans cette fameuse école de cinéma de Lodz, où vous avez étudié avec Polanski et les autres jeunes pousses du cinéma polonais au tournant des années 50 et 60?

Il y avait une atmosphère unique, due au fait que nous étions tous contre l’establishment, tous rebelles et tous épris d’indépendance, tous prêts à prendre tous les risques, politiques comme artistiques. Et à l’exception de quelques dinosaures, nombre de nos professeurs sympathisaient, nous soutenaient. Notre enthousiasme et notre absence de peur étaient communicatifs.

La Nouvelle Vague française avait-elle un impact sur vous à ce moment?

J’étais moi-même partie prenante de la Nouvelle Vague. Je l’incarnais en Pologne comme Godard pouvait le faire en France, et Milos Forman en Tchécoslovaquie. Un peu partout, il y avait cette même aspiration, cette tendance naturelle de rejeter le cinéma de papa et créer nous-mêmes le langage de notre génération.

Vous attendiez-vous à être frappé par la censure comme vous l’avez été avec l’interdiction de Haut les mains?

Non, pas du tout. Cela m’a pris totalement par surprise. J’allais de succès en succès, tout me réussissait, je me sentais comme invulnérable. Jusqu’à oublier certaines réalités de la situation politique en Pologne. Je me suis retrouvé « sonné », avec -très vite- une certitude: il me fallait partir, car je ne serais plus libre de créer dans mon propre pays…

Une fois pris ce chemin de l’exil, et loin de toute censure politique, avez-vous parfois été confronté à une forme de censure économique, pratiquée au sein de l’industrie du film?

Evidemment! J’ai échangé une censure contre une autre… Tôt ou tard chaque réalisateur fait cette expérience des pressions vous poussant vers plus de conformisme, vers des priorités commerciales. J’ai fait des films de commande, pour pourvoir au bien-être de ma famille, mais aussi pour garantir la possibilité de faire par ailleurs, 1 fois sur 2 au moins, des films personnels, à la hauteur de mes ambitions. Jusqu’au jour où j’en ai eu assez des compromis. Ce jour-là, j’ai arrêté le métier de cinéaste pour me consacrer à mon autre passion de toujours, la peinture. Un art où je pouvais, au contraire du cinéma, tout contrôler, créer avec une liberté totale. J’ignorais que 17 ans plus tard, je me remettrais à faire des films…

Comment expliquer ce retour inespéré?

Ma peinture a été appréciée, j’ai eu beaucoup d’expositions, j’ai vendu à des musées, à des collectionneurs privés (2). J’étais de nouveau un « jeune » artiste en train de se révéler, sans contraintes, dans le plus grand enthousiasme et la plus totale honnêteté. C’est avec cet état d’esprit que je suis revenu au cinéma. En me promettant à moi-même de ne plus jamais réaliser un film médiocre!

(1) Cycle Jerzy Skolimowski, Jusqu’au 19/12, à la Cinematek, Bruxelles, www.cinematek.be

(2) Dennis Hopper possédait plusieurs toiles de Skolimowski.

Rencontre Louis Danvers

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