Vampire-teen spirit…
Les audacieuses éditions du Gospel traduisent le premier roman culte de Grace Krilanovich. Dérangeant et diablement obsédant.
Ce qui vit la nuit ****
On nous l’a déjà fait, le coup des adolescents errants, forcés de grandir trop vite. Chez Kathy Acker, par exemple, elle-même inspirée de Willliam S. Burroughs. Et, oui, il y avait déjà de forts relents de sang, de stupre, et de drogue à foison. Mais on est sévère, car les teens de Grace Krilanovich ont ceci d’exotique qu’ils sont aussi… des vampires!
Ce qui vit la nuit conte les méfaits de Seth, Josh, Murph, Knowles et cette jeune fille sans nom de 17 ans à peine. Avant de vagabonder avec ces ados vampires hyper sexués croisés avec des hobos junkies dopés aux amphètes, elle a fui sa famille d’accueil à la recherche de Kim, sa sœur adoptive. Celle-ci avait déguerpi avant elle. Pour survivre, cette mauvaise troupe se prostitue -“Ils distribuent les maladies sexuellement transmissibles comme on distribue le journal”-, pille des supermarchés Safeway, avant d’écumer les salles de concert miteuses affichant la crème de la scène punk hardcore américaine des années 90.
Dans sa préface, pour décrire l’ambiance de Ce qui vit la nuit, Lelo Jimmy Batista, journaliste à Libération, mentionne deux scènes étranges et crasseuses du film De beaux lendemains d’Atom Egoyan. On aurait plutôt choisi quelque chose de franchement undergound -pas un snuff movie quand même, mais peut-être bien une production Troma Entertainment, avec les monstres radioactifs atroces, mais sans l’humour.
“C’est juste qu’on meurt tout le temps”
Ce sont les jeunes et irrévérencieuses éditions Le Gospel qui ont déniché ce livre étonnant, premier roman de l’Américaine Grace Krilanovich. à sa partution en 2010 aux USA, ce fut un choc. Mary Harron, la réalisatrice d’American Psycho, a acquis les droits d’adaptation. C’est vrai qu’il y a de quoi faire, avec nos ados-hobos-junkies-vampires: “Notre espèce ne meurt jamais de rien, c’est juste qu’on meurt tout le temps”, assure la jeune adolescente -son nom n’est jamais mentionné, promis-juré!
Le plus marquant, des aires d’autoroutes aux matelas nauséabonds sur lesquels la jeune héroïne se réveille presque à chaque fois aux côtés d’un nouvel être répugnant, c’est cette atmosphère délétère: “Ici, tout est recouvert d’une couche pâteuse gris-marron comme la mousse au pied d’un arbre pourri” et la ville “sent le papier mouillé”. Grace Krilanovich expérimente et cut-uppe à outrance. Il faut bien ça pour exposer de manière optimale les états d’âme de son héroïne tourmentée et douée, par-dessus le marché, de perception extrasensorielle… Certains y verront un manifeste féministe déviant; d’autres, plus simplement, un long poème halluciné, scandé comme une prière hypnotique diablement obsédante.
Qu’ils sucent véritablement du sang, ou qu’ils ne le fassent que métaphoriquement, on s’accordera avec Lelo Jimmy Batista sur ce point-là: Ce qui vit la nuit pourrait bien devenir notre roman de vampires favori à nous aussi.
De Grace Krilanovich, éditions Le Gospel, traduit de l’anglais (États-Unis) par Janique Jouin-de Laurens, 240 pages.
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