GÉNIAL TOUCHE-À-TOUT, SFAR EST AVANT TOUT UN AUTEUR DE BD QUI CRÉE DES UNIVERS OÙ LES CHATS TAPENT LA DISCUTE AVEC DES CANARDS ARMÉS JUSQU’AUX DENTS.
Bretailleur télévisuel à la fine mouche, Joann Sfar adore les joutes verbales dans lesquelles il peut montrer l’étendue de sa verve. Un art de la répartie et du récit qui le range du côté des conteurs que l’on écoute. Cette science méditerranéenne de la tchatche -complétée par une maîtrise en philosophie- Sfar a su la mettre au service de son dessin pour élaborer une £uvre éclectique et protéiforme qui compte de nombreuses perles pour quelques projets inaboutis. Plus boulimique que stakhanoviste, l’artiste a, en effet, le chic pour se lancer bille en tête dans des entreprises qui peuvent capoter une fois l’enthousiasme passé. Un dilettantisme qui ne l’a pas empêché d’asseoir définitivement la BD alternative au rang des classiques du 9e art.
Talents multiples
Alors que l’on pensait que les dessinateurs issus de l’Association allaient exploser le cadre et les codes, c’est plus ou moins l’inverse qui s’est produit. Qu’elle soit muette ou accompagnée de bulles, ce qui est fondamental pour une BD c’est de raconter une histoire, explique Sfar pour qui » le combat de la BD, ce n’est pas le combat des beaux-arts, parce qu’une planche de BD sera graphiquement moins puissante qu’un tableau. On peut, par contre, essayer de ramener la BD à de la narration » .
Cet art de la narration, Sfar le pousse à son extrême dans la série des Donjons. En compagnie de Lewis Trondheim, il y développe l’histoire de Terra Amata, un univers foisonnant de monstres qui se décline en 5 séries distinctes. Chaque série est placée sous la direction d’un dessinateur attitré qui travaille sur le scénario des 2 géniteurs. C’est, du moins, la configuration définie au début de l’aventure. Treize ans plus tard, et 34 albums plus loin, c’est quasiment tout le gratin de la BD française qui s’est frotté aux personnages du Donjon. Découvreur de talents, Sfar l’a également été, comme directeur de collection, chez l’éditeur Bréal Jeunesse où il fait publier des albums aux thématiques jugées sensibles comme la religion ou l’athéisme. Un travail qu’il poursuit actuellement chez Gallimard, chez qui il a lancé la collection Bayou.
Quand il ne se plonge pas dans ses origines avec la série Klezmer, ou régale les marmots avec son Petit Vampire ou ses Sardines de l’espace, Sfar taquine Dieu en compagnie de son félin fétiche à qui il a donné la parole pour nous emmener dans l’Algérie des années 30. Entre la fable philosophique et une réflexion sur les religions, on retrouve dans le Chat du Rabbin une savoureuse comédie humaine truffée de personnages dignes des meilleurs contes orientaux, même si parfois, ceux-ci ont des réflexions sur le monde qui ne détonneraient pas chez les Monty Python.
A l’inverse d’un Manu Larcenet qui tire sa force de la terre, du quotidien et de ses introspections, Sfar, en digne héritier de Fred et de Pratt, s’amuse à détourner le réel pour des envolées lyriques et philosophiques qui dépassent parfois l’entendement humain. Comme le dirait si bien le Chat du rabbin, » mais est-on vraiment humain quand on passe plus de temps le nez dans ses bouquins que dans le lit de sa femme« ? A méditer, monsieur Joann. l
u A L’OCCASION DE LA SORTIE DU FILM, DARGAUD RÉÉDITE L’INTÉGRALE DU Chat du Rabbin.
VINCENT GENOT
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