Un pont trop loin
Thierry Robin revient de Chine avec une bd superbe mais peu au goût de ses commanditaires. Un récit de guerre flamboyant peut-être trop humaniste.
Pierre rouge plume noire
Sous les yeux d’un corbeau qui s’avérera bien bavard, une impressionnante colonne de réfugiés se dirige vers la forteresse du roi Yang. Le général Wu est chargé de les accueillir et de les protéger de la gigantesque armée de l’empereur Ming, qui s’apprête à s’abattre sur la citadelle. Or personne n’est dupe, des réfugiés au général en passant par la princesse (il y a toujours une princesse): que vaut le courage face à la puissance? L’assaut viendra et son issue ne fait pas de doute. Entre-temps, tout le monde philosophe, les soldats attendent tant la mort que la gloire, et le corbeau glose avec la montagne, qui en a vu passer d’autres…
La forteresse du roi Yang a vraiment existé, il y a très très longtemps: il en reste un site archéologique prestigieux, classé au patrimoine de l’Unesco, dans la province de Guizhou, dans le sud de la Chine: Hailongtun, ou le « château du Dragon des Mers ». Un site que les autorités locales voulaient faire connaître du grand public chinois, entre autres par une bande dessinée. Le hasard a voulu qu’un décideur local ait eu la saga Rouge de Chine en main (albums parus dans les années 90 chez Delcourt et qui témoignaient déjà de la passion de l’auteur pour le pays et son Histoire). La province de Guizhou a donc passé commande auprès -grande première- de son auteur français, Thierry Robin, pour réaliser cette BD: l’adaptation d’une fable sur la guerre qui mettrait en scène ce château du Dragon des Mers. Le début d’une aventure de près de dix ans, pas moins romanesque.
Âpre et inconfortable
Pour arriver au bout de ce Pierre rouge plume noire, qui dresse un véritable pont entre cultures européenne et chinoise, Thierry Robin est allé jusqu’à s’installer sur place avec femme et enfants, et s’est surtout confronté aux rouages d’une administration » disons, particulière« , comme il nous l’a expliqué au dernier festival d’Angoulême, mais aussi dans une postface de son livre. Administration capable d’une main de faire les choses en grand – » Une vaste salle de spectacle avait été décorée, du sol au plafond, avec des agrandissements géants de mes cases. Impressionnant et très flatteur« – tout en les freinant de l’autre – » Curieusement, pourtant prêt à être imprimé, il resta un an sur un coin de bureau chez l’éditeur. Pourquoi? Je n’en ai aucune idée« . Le livre, en chinois, est finalement sorti sans que Thierry Robin en sache plus – » Après trois ans, je n’ai reçu aucune nouvelle de l’éditeur« . Lequel a quand même pris le temps de négocier avec Dargaud, faisant peut-être de Thierry Robin son premier auteur français sous achat de droits! Reste le livre, anguleux et rempli de vista graphique, de clair-obscur et d’empathie pour les victimes: » J’ai cru comprendre que les commanditaires, au-dessus de l’éditeur, n’avaient pas aimé. Le récit est sans doute trop âpre et inconfortable pour le public chinois« .
De Thierry Robin, Éditions Dargaud, 128 pages.
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