UN MEC LOUCHE – DANS SON 2E ROMAN, FRANÇOIS BEAUNE DONNE LIBRE COURS AUX PETITS ÉCLATEMENTS INTEMPESTIFS ET SAVOUREUX DE SON ILLUSIONNISME LITTÉRAIRE.
DE FRANCOIS BEAUNE, ÉDITIONS VERTICALES, 275 PAGES.
François Beaune a une tête de petit chat écorché, mais qui a l’air de savoir où il va. Une espèce de Chat Botté… La trentaine, originaire de Clermont-Ferrand, ce fils de philosophe et père d’une petite fille a touché à tous les métiers: commis de cuisine, barman, veilleur de nuit… Auteur atypique et saltimbanque des mots, Beaune a fondé une revue d’art louche, un site de détournement de coupures de presse (Loucheactu), et créé un spectacle de cabaret à Lyon: Le Majestic Louche Palace. Fan de cinoche, particulièrement de Taxi Driver, il a eu l’étonnante idée de demander à des artistes de concevoir des affiches de films fictifs pour ensuite les proposer à des cinéastes amateurs: à eux de réaliser la nouvelle histoire qu’elles induisaient… Une manière de voir la vie à travers le regard des autres et de créer une synergie, un déclencheur d’idées. Drôle, inventif et pas pédant, il a d’abord publié Un homme louche aux éditions Verticales (paru chez Folio), salué avec enthousiasme par la critique. Un régal d’humour noir chargé de sens profond et d’imagination débridée qui dérangeait et bousculait, délice suprême pour ses lecteurs. Dans Un ange noir, il revient pour nous faire rencontrer un homme simple, un antihéros qui, soudain, prend conscience de sa nature profonde. Ça commence par un fait divers: une jeune femme, retrouvée morte dans sa baignoire. Vraisemblablement un crime passionnel. L’enquête est ouverte. Et la vie du narrateur, bénévole aux Restos du c£ur et joueur comme sa mère, dès lors passée au crible. Un homme tranquille ou presque… qui entame une plongée en apnée vers l’enfance, là où la mémoire a laissé des clefs. Mais c’est pas parce qu’on découvre soudain pourquoi on faisait pipi au lit qu’on résout le reste. Surtout quand on considère sa mère comme une sorcière, du simple fait qu’elle vous a appelé Alexandre. Faut dire que le nom de famille est Petit… L’écriture de Beaune, toute en robe de soie, laisse deviner une poésie noire déchirée par les fantasmes, laissant l’image du sang sur une peluche. L’innocence dans laquelle on se noie pour mieux renaître. Parfois avec un couteau dans la main. Dans cet anti-polar, l’auteur gambade hors des sentiers battus et détourne les codes traditionnels du genre, pour notre plus grand bonheur.
Saut de l’ange
François Beaune joue à mettre très littéralement ses personnages en scène et à leur inventer une vie. Ils ont un côté enfantin, facétieux, mais portent un vrai questionnement sur eux-mêmes. Curieux de tout, ce sont des observateurs et des expérimentateurs sur le réel qui aiment se déguiser. Ils sont comme autant d’éclats de miroir d’un auteur qui adore jouer à cache-cache avec ses lecteurs et les surprendre avec des êtres complexes et émouvants. Comme chez Simenon, le personnage central est servi par un environnement qui est à sa disposition et le révèle. Allez, une dernière plume d’ange pour amuser le diable qui sommeille en nous: » Cette vieille dame a des rides sous les yeux et autour, en pattes d’oies, comme si elle avait trop regardé une forêt à travers un kaléidoscope ». Il parle de sa mère qui va mourir et cherche « un pont ». On en cherche tous un sur lequel se poser. Ou duquel faire le saut de l’ange, c’est selon… François Beaune est un clown génial qui ne craint pas de jauger le vide. l
NADINE MONFILS
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