Ti emo
Repérée aux côtés de Kanye West, l’Américaine 070 Shake balance ses états d’âme sur un premier album joliment flou et vaporeux
Quand 070 Shake est apparue sur les radars de la hype, en 2018, elle a peut-être emprunté la voie la plus directe, mais sans doute pas la plus facile. Face Nord, plein vent, Danielle Balbuena de son vrai nom, a dû « braver les éléments ». Débarquant d’à peu près nulle part, elle a commencé par intégrer les sessions d’enregistrement de l’hyperstar Kanye West. Et son nom de se retrouver sur l’album Daytona du rappeur Pusha T, avant de se glisser sur celui du patron. Sur Ye, elle sublimait notamment le morceau Ghost Town – » I put my hand on a stove/to see if I still bleed/ And nothing hurts anymore/I feel kinda free » , ce genre de mantra définitif.
Il n’en fallait pas plus pour que le nom de 070 Shake affole le buzzomètre. Cet été-là, on se souvient l’avoir vue sur la scène de Dour. À la fois bancale et fulgurante, dispersée et charismatique. On attendait donc d’en entendre plus pour trancher son cas. De quel côté allait tomber la pièce? Plus d’un an et demi plus tard, l’album Modus Vivendi propose une première réponse. Floue, mais séduisante. Car si ce premier disque aime volontiers flotter dans le vague, cela n’empêche pas sa proposition d’être affirmée avec une force et une conviction impressionnantes.
The River
Née en 1997, Danielle a été essentiellement élevée par sa mère, une immigrante venue de République dominicaine. Elle grandit du côté de North Bergen, dans le New Jersey (070 est une référence au préfixe de l’État). De l’autre côté du fleuve Hudson, c’est Manhattan, New York -à la fois tentation et mirage total. 070 Shake décrit ainsi volontiers une banlieue comateuse, où les ados trompent leur ennui dans les excès et les drogues. Elle-même passe son adolescence sous Adderall, médicament censé l’aider à gérer son hyperactivité. Élève turbulente, tourmentée par une homosexualité difficilement acceptée par sa mère, elle finit par se réfugier dans l’écriture et la poésie. Quand elle se décide à les mettre en musique, elle poste ses morceaux sur SoundCloud.
Que 070 Shake se soit faite repérée sur cette plateforme, connue pour avoir lancé la vague emo rap, est assez symbolique en soi. On retrouve en effet dans les chansons de la jeune femme un attachement au rap ( Daydreamin), autotune compris, en même temps qu’un goût pour les ambiances plombées et les productions spongieuses et psychédéliques ( Come Around) -le magazine Rolling Stone a même parlé de Modus Vivendi comme du Dark Side of the Moon de l’émo rap …
« I don’t know if I’ll be here tomorrow » , se demande la chanteuse sur Morrow, tandis que Microdosing évoque les drogues pour mieux parler des relations humaines ( » Pendant que je travaillais sur ce morceau, je coupais un cachet de LSD en petits morceaux, même si en fait, je parlais de (la manière que chacun a de) « microdoser » ses relations, de ne pas tout donner aux autres et vice versa« , a-t-elle expliqué sur Twitter). En l’occurrence, 070 Shake n’a pas fait les choses à moitié: même si son premier album se complaît parfois dans ses humeurs moroses, il ne perd jamais de vue sa ligne directrice. C’est sa principale qualité.
070 Shake
« Modus Vivendi »
Distribué par Universal.
8
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