Enfermés dehors – Caméra d’Or au Festival de Cannes, ce film australien original et prenant a pour héros deux jeunes Aborigènes poussés aux marges de la société.
De Warwick Thornton. Avec Rowan McNamara, Marissa Gibson, Mitjili Napanangka. 1 h 41. Sortie: 30/12.
Le jury de la Caméra d’Or, prix réservé au meilleur premier film projeté au Festival de Cannes (toutes sections confondues!) ne s’est pas trompé en consacrant Samson & Delilah. Cette £uvre très personnelle et forte attire tout à la fois l’attention sur un Warwick Thornton au talent déjà bien affirmé, et sur une jeunesse aborigène très souvent marginalisée par la société australienne. Les héros du film vivent dans un village reculé, où le temps semble s’être arrêté, même si le son des guitares électriques s’y fait entendre sur le porche de la maison où habite Samson. Ce jeune homme taiseux et inactif voit ses journées se dérouler selon un rituel aussi minimaliste que précis. Tel est le cas aussi de sa copine Delilah, vivant avec une grand-mère malade qu’elle aide à se soigner et qu’elle assiste dans ses travaux de peinture sur tissus, source d’un modeste revenu. La caméra cadre de manière laconique les faits et gestes d’une communauté bloquée, enfoncée dans une oisiveté miséreuse. On pourrait se croire chez Jim Jarmusch, ou chez Aki Kaurismäki. Mais quand un matin Samson brise une guitare électrique dont les accords l’énervaient depuis trop longtemps, quand simultanément Delilah perd sa grand-mère et est accusée par des femmes de l’avoir laissée mourir au lieu de l’emmener à l’hôpital, les deux jeunes gens se retrouvent en rupture, ostracisés, contraints de quitter le village et de gagner la grande ville. Ils se retrouveront ensemble, à dormir sous un pont d’autoroute, affamés et hagards, aux marges d’une société blanche qui n’a pas de place pour eux… Comment Samson s’abrutira aux vapeurs de colle qu’il sniffe d’abondance, comment Delilah verra ses peintures refusées par une clientèle pourtant prête à payer très cher celles de sa grand-mère (le galeriste prenant au passage un énorme profit), Warwick Thornton le relate simplement, avec un regard qui ne juge pas, qui trouve la juste distance entre compassion discrète et lucidité mordante. Il expose l’indifférence et parfois l’agressivité qui visent les jeunes marginaux aborigènes, et qui les renvoient encore plus à leur différence, à leur enfermement dans une logique de perdants que connaissent, ailleurs aussi, nombre d’indigènes dans les ex-colonies où une majorité de descendants européens a laissé les premiers habitants des lieux sur le bord de la route… Sans ostentation, avec un beau sens formel et une louable retenue, Samson & Delilah parle de cela, tout en chroniquant la descente aux enfers de ses jeunes protagonistes. Une chute qu’il accompagne jusqu’au désespoir ou presque, avant de faire voir un peu de lumière tout au bout du tunnel.
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Louis Danvers
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