Heureux lecteurs, vous tenez dans les mains un numéro collector. Un Focus rythmé -couverture comprise- d’illustrations inédites du dessinateur Christophe Chabouté.
Pour vous mettre rapidement au parfum, Chabouté est un cador de la BD. Et pour son style, et pour son sens du récit, on peut le ranger sans crainte entre Pratt et Comès. Difficile d’imaginer meilleur voisinage artistique…
A 45 ans, cet auteur discret et peu connu du grand public compte déjà une quinzaine d’albums à son actif. En 1998, avec Quelques jours d’été, il décroche l’Alph’ Art Coup de C£ur à Angoulême. Remarquable, ce récit d’une trentaine de pages est déjà un condensé du style Chabouté. Intimiste, l’histoire transcende l’intime pour raconter le désarroi universel d’un enfant qui voit ses parents se séparer. Pas de larmes faciles, mais des observations pointues qui donnent du corps aux personnages. C’est d’autant plus difficile que ceux-ci parlent peu. Quant aux textes explicatifs, ils sont pour ainsi dire inexistants. L’essentiel est donc dans le dessin et dans les enchaînements des séquences qui s’imbriquent, se répondent comme de la fine horlogerie. Sauf que chez cet auteur, il n’y a pas la froideur de la mécanique. Son trait épais humanise et donne de l’importance aux choses et aux petites affaires des gens. Le simple sourire d’un vieux monsieur devient ainsi la promesse d’un été plus serein pour un gamin en plein orage sentimental, déchiré entre ses parents. La touche Chabouté, c’est donc du bel ouvrage, du travail d’artisan qui prend le temps de tout faire seul. » Je suis assez teigneux et solitaire comme garçon, reconnaît le dessinateur. On peut même dire que j’ai un caractère de cochon… Si je travaille tout seul, je ne peux donc que m’en prendre à moi-même si ça foire. »
La seule collaboration qu’il s’autorise, c’est avec Jack London, dont il adapte la nouvelle Construire un Feu en 2007. Dans cet album, le dessinateur montre toute sa maîtrise du noir et blanc. A l’aide d’aplats sombres et de simples zones claires, il dessine la froideur de la neige dans toutes ses densités: compacte, poudreuse, trempée, salie de boue… En 60 pages exceptionnelles, Chabouté résume une heure de la vie d’un homme durant laquelle ses décisions et ses gestes seront synonymes de survie ou de mort. Passionnant. London lui-même aurait apprécié.
En 2008, avec Tout seul, le dessinateur monte encore dans les tours. » Il y a une vingtaine d’années, un prof des arts déco a posé une question bête en nous demandant ce que nous emporterions comme livre sur une île déserte. Pour les autres, je ne sais pas, mais à moi, il m’a fallu 20 ans pour trouver une réponse. Elle a pris la forme d’un bouquin de 400 pages. » Un album qui raconte les voyages imaginaires d’un homme prisonnier dans le phare qui l’a vu naître et qu’il n’a jamais quitté. Coincé dans son vaisseau de granit, il sait que son bateau immobile ne l’emmènera jamais ailleurs. Où s’évader lorsque l’on n’a nulle part où aller? Dans un gros dictionnaire qu’il parcourt aléatoirement. Chaque mot devient alors le billet pour un départ dans un monde onirique. Dans ce récit au style et à la narration dépouillés, Chabouté confirme sa grande maîtrise du cadrage. A tel point que le livre terminé, on a l’impression de quitter une salle de cinéma dans laquelle on vient de visionner un film où s’enchevêtrent subtilement sensibilité, tendresse et humour… A lire absolument, comme tous les albums de cet artiste bougrement attachant!
VINCENT GENOT
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