Pandémie positive

Konstantin Gropper, alias Get Well Soon, le philosophe allemand du rock. © Clemens Fantur

L’allemand Konstantin Gropper, alias Get Well Soon, trouve dans Amen, son sixième album, une grâce qui tutoie, une fois n’est pas coutume, l’optimisme. Si pas, la rédemption.

Il s’agit bien d’un album de pandémie, sans aucun doute. Ce n’est ni le premier ni le dernier à paraître. En 2018, j’ai sorti The Horror , qui porte bien son titre. Là, je ne voulais pas faire une redite et même s’il n’y a pas d’explication complètement rationnelle, je me suis lancé dans la confection de chansons qui ne voulaient regarder ni le passé ni le futur, juste s’imprégner du présent. Avec une forme d’optimisme, droit dans les yeux.Après la fermeture de la planète début 2020, le multi-instrumentiste Konstantin Gropper s’immerge dans son studio en sous-sol de son logement de Mannheim, puis file travailler dans une maison de vacances, au milieu des vignes de Rhénanie-Palatinat, au sud de Cologne. “ Une dizaine de jours dans une résidence trop grande pour moi tout seul. J’avais peur de la page blanche, de la solitude, de l’isolement, de ne pas arriver à grand-chose. Mais l’essentiel des chansons est né là-bas. Avec un sentiment de liberté totale, et quelques verres de vin local (sourire ), ce qui laisse de la place à la détente et à la spontanéité. De toute façon, tous mes albums sont toujours partis de moi, seul, face aux computers et aux claviers.

Les douze titres survivants forment Amen, moins une prière incandescente qu’une confession sur le trouble naturel des sentiments. Entre ballades très finement orchestrées et produites -par lui- et moments dansants jusqu’à la limite d’un disco 2.1, tentés par le viscéral. Douze ans après une rencontre physique à Mannheim avec un Konstantin alors réservé, le quasi-quadra “zoome” depuis la Suisse une après-midi d’avril. Qu’est-ce qui a le plus changé pour lui en une décennie? “ J’ai eu un fils en 2011 et puis, après avoir écrit pour le désastreux film de Wenders –Palermo Shooting , sorti en 2008-, j’ai pas mal composé pour des séries, des téléfilms, des features. Jusqu’à faire de tout cela la moitié et plus de mes activités professionnelles. Particulièrement pendant la pandémie. D’ailleurs, aujourd’hui (nous sommes le 21 avril 2022) ,c’est la première fois que je vais jouer en live depuis plus de deux années. Ici, en Suisse.Malgré les atermoiements habituels du Zoom -ces agaçantes coupures de son et d’image- on sent bien que le jeune homme à la coiffure d’entre-deux-guerres surfe davantage sur le confort verbal qu’en 2010. Pas seulement une question de langue, mais de revendication apaisée d’un univers spécifique. On tente la perche du romantisme allemand. Cette projection quasi exotique d’une éternelle Germanie aux grandes forêts sombres et aux complexes sentiments amoureux -hello Louis II de Bavière- paraît aujourd’hui décalée de l’esprit de Konstantin.

Philo à Heidelberg

La noirceur a disparu de cet album, globalement, poursuit Gropper. Il s’y trouve une part de méditation, de recul, par exemple dans le morceau Chant en disenchant (sic). C’est partiellement inspiré des idées de Max Weber (1). De la nécessité de ne pas se laisser aliéner par la technologie du monde. Et cela, bien avant la télévision ou Internet. Il faut aller à la rencontre, ne pas se détacher des autres. L’un des problèmes de la pandémie fut de rendre le contact difficile, voire impossible.”

Konstantin est né dans une petite ville de Bavière puis a bougé au fil du temps: plusieurs séjours à Berlin -“ je n’ai pas aimé, trop d’apprentis artistes” ( sourire)- avant Mannheim, où il réside depuis plus d’une décennie. Et dans ces entrelacs menés par les histoires d’amour, the same old story, Gropper passe entre-temps par Heidelberg, la plus vieille université allemande, fondée en 1386. Malgré des études inabouties -il choisira la musique-, son cursus de philosophie laisse des traces. D’abord dans la conversation où il cite un ancien, fameux, d’Heidelberg, le sociologue et psychanalyste germano-américain Erich Fromm (1900-1980), l’un des premiers théoriciens sur la nécessité d’un revenu de base inconditionnel. Konstantin le fait sans forfanterie ni poussée d’acné intellectualisante. Plutôt comme la confection sentimentale dans un paysage germanique où se glissent aussi son amour de l’aria -plutôt que de l’opéra dans sa globalité- et de la musique classique.

Violoncelliste pratiquant entre 5 et 18 ans, cet agnostique a grandi dans cet environnement donnant des graines qui poussent toujours dans la musique de Get Well Soon. Les vallées harmoniques, la finesse instrumentale, l’ambition des orchestrations. Ignorés dans les pays anglo-saxons, ses albums ont pris du galon. D’abord chez lui en Allemagne, 83 millions d’habitants et second marché musical européen, et puis logiquement en Autriche et Suisse voisines. Avec un succès réel sur le marché français, toujours fasciné par les projections romantiques éventuellement troubles, de Fassbinder à Get Well Soon. Sauf qu’ici, malgré ou grâce au désastre des deux dernières années, le jeune homme autrefois de sombre alllure mélancolique, a transformé le spleen létal en chansons de vie. Bienvenue en alchimie.

(1) Intellectuel allemand, considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie (1864-1920).

En concert le 03/05 à l’Atelier 210, Bruxelles, www.atelier210.be

“Amen”

Le premier titre signe d’emblée l’esprit de l’ensemble: A Song for Myself. Par son rapport à l’état présumé dionysiaque de l’auteur-chanteur, celui qui domine forcément son art et sa production. Autant que par la couleur des arrangements: luxuriante, nourrie de cuivres et de chœurs puissants. À certains moments – Chant en disenchant– la musique n’est d’ailleurs plus si loin de l’opéra et de ses drames soulignés. Sauf que Konstantin zoome d’abord sur ses propres sentiments, avec une distance salutaire où, parfois, pointe même l’humour. Reste une habilité à introduire des mélodies tellement efficaces ( My Home Is My Heart, I Love Humans, Our Best Hope, Accept Cookies) qu’elles devraient amener certaines des chansons en radio. Théoriquement.

Distribué par Virgin. 8

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