Panah Panahi

Panah Panahi, réalisateur de Hit the Road, "un film relié à mon expérience personnelle". © getty images

Le réalisateur iranien, fils de Jafar Panahi, livre avec Hit the Road un premier long métrage embarquant une famille insolite dans un road-movie ne l’étant guère moins.

Un Panahi peut en cacher un autre: si son père Jafar, l’un des grands maîtres du cinéma iranien, s’est vu interdire par les autorités de Téhéran d’encore tourner (sans succès d’ailleurs) ainsi que de quitter son pays, ne pouvant venir chercher en personne le Prix du scénario glané par Trois visages à Cannes en 2018, c’est sur la Croisette que Panah Panahi s’est fait connaître trois ans plus tard. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, Hit the Road, son premier long métrage, devait en être l’une des sensations. Et le film, un road-movie se déployant dans les grands espaces iraniens, d’entamer là un fructueux parcours international, qui le conduirait notamment au festival de Gand où on rencontrait le réalisateur en octobre dernier.

Assumant totalement l’héritage familial -il a d’ailleurs été assistant ou monteur sur les films les plus récents de son père-, Panah Panahi a toutefois choisi de laisser le temps au temps, affichant pas moins de 37 printemps au moment de signer ce premier long. Avant quoi le jeune homme avait opté, au sortir de ses études de cinéma à l’université des Arts de Téhéran, pour la photographie de plateau et d’autres métiers liés au 7e art -assistant opérateur, par exemple. C’est dire si Hit the Road représente un cap dans son parcours, dont on lui demande s’il a rencontré des difficultés pour le tourner, eu égard aux antécédents paternels.  » Non, je n’ai eu aucun problème pour tourner le film, sourit-il. Je l’ai fait discrètement, sans chercher à attirer l’attention des médias. Si j’en tourne un autre, je procéderai de la même manière. »

La voiture, une seconde maison

Road-movie insolite, Hit the Road embarque dans une équipée improbable une famille chaotique: la mère et ses sentiments changeants, le père maugréant avec sa jambe dans le plâtre, un fils aîné sur le départ et insondable, et le cadet, intenable, sans oublier le chien, Jessy. Et d’avaler les kilomètres, une destination mystérieuse en ligne de mire, des épisodes à teneur variable -la rencontre d’une course cycliste ou l’achat d’une peau de mouton- venant baliser la route. À quoi Panahi ajoute diverses échappées -onirique, comme lorsque père et enfant s’envolent dans les étoiles; musicales, avec le recours à diverses chansons populaires entonnées à tue-tête. Chacun a ses raisons, comme disait Jean Renoir, le réalisateur veillant, pour le coup, à garder leur opacité à celles de ses protagonistes.  » Ce garçon qui part en voyage ne sait pas ce qui va se produire, le futur est inconnu. Et ça vaut pour moi également, qui ai décidé de découvrir ma propre identité, parce que j’ai toujours vécu dans l’ombre de Jafar. Il est célèbre, je suis toujours son fils, mais j’essaie de trouver ma propre identité. Préserver un mystère est une manière de me connecter au public, et de l’amener à réfléchir à ce qui va se produire. »

Panah Panahi

Pour ce faire, Hit the Road adopte ce qui ressemble à une forme consacrée du cinéma iranien, dont le film en voiture est devenu l’une des marques de fabrique, répétée du Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami à Taxi Téhéran de Jafar Panahi, parmi beaucoup d’autres.  » Si de nombreux cinéastes, en Iran, choisissent de faire des films sur la route, c’est parce que les possibilités de décor sont limitées, observe Panah Panahi. Nous ne sommes pas autorisés à tourner des films montrant des femmes à la maison sans leur foulard, elles doivent porter le hijab, ce qui n’est pas très réaliste. Beaucoup de réalisateurs ne veulent donc pas tourner à l’intérieur des maisons, et dans la rue, c’est fort tendu: les gens sont stressés, et ça se ressent, ce qui ne facilite pas le tournage d’un film. Voilà pourquoi nous optons pour la voiture. Ça me correspond aussi: je n’aime pas rester dans l’environnement chaotique et tendu des rues, et je me retrouve souvent sur la route, en voiture, ou dans la nature. Nous utilisons aussi beaucoup la voiture en Iran parce qu’elle nous permet d’échapper, même partiellement, aux règles établies par les autorités, on peut filmer plus librement. On peut mettre la musique qui nous plaît, on n’est pas obligés de s’en tenir à la règle stricte du hijab mais on peut laisser le foulard retomber pour dévoiler un peu de la chevelure, on se sent plus à l’aise et en sécurité. En fait, la voiture est comme notre seconde maison, où nous nous sentons libres et où nous pouvons un peu nous soustraire aux règles. »

Partant, Hit the Road n’est pas sans receler une dimension critique sous-jacente, avec, par exemple, le sentiment de paranoïa qui semble habiter ses personnages.  » On peut le voir comme quelque chose de plus personnel, relié à ma propre expérience et à mon existence. Les autorités iraniennes cherchent à vous rendre méfiant à tout propos. Vous avez le sentiment d’être épié et éprouvez une sorte de peur. Ça m’est arrivé: quand mon père a été emprisonné, l’environnement de ma famille a changé, nous avions l’impression d’être tout le temps sur écoute. C’est un outil utilisé à l’encontre des personnes actives dans le monde culturel, pour que nous ayons peur et n’osions pas dire ce que nous voulons. » Dans son film, l’exil apparaît comme une option possible, nonobstant la douleur et les sacrifices. Une issue à laquelle Panah Panahi refuse pour sa part de se résoudre:  » Cette question me préoccupe, comme tous mes amis et les gens de mon âge. Tout le monde pense à partir à l’étranger pour y connaître une existence paisible. Mais à cause de mon travail, et de ma passion pour lui, je dois rester en Iran. »

Hit the Road, Drame de Panah Panahi. Avec Pantea Panahiha, Hassan Madjooni, Rayan Sarlak. 1 h 30. Sortie: 27/04.

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