Pages et pixels, un duo vertueux

Where the Water Tastes Like Wine

Depuis sa genèse, le jeu vidéo s’inspire de la littérature avec plus ou moins de bonheur. Plusieurs créateurs indés se distinguent toutefois des sempiternelles inspirations cyberpunk, médiéval fantastique ou horrifique.

LeBruit et la Fureur de William Faulkner habite Kentucky Route Zero de Jake Elliott et Tamas Kemenczy. Suivant un antiquaire à la recherche d’une improbable autoroute souterraine, ce jeu d’aventure déroule en effet son histoire en alignant les points de vue de différents protagonistes dont la personnalité n’est pas totalement révélée. Au joueur de façonner leur vérité intérieure par des réponses à donner sur des descriptions de scènes et des dialogues. Cette approche, célébrée par l’expo événement Design/ Play/ Disrupt au V&A de Londres en 2019, se double aussi de l’exploration d’une Amérique rurale mise au rebut par des mégacorporations, cette campagne que Faulkner affectionne.

Comme Kentucky Route Zero, What Remains of Edith Finch s’imprègne lui aussi de réalisme magique (et de la littérature) pour brosser le portrait d’une famille via treize histoires touchantes traversant les générations. Ian Dallas, son créateur, s’est inspiré du Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez. Notons que le genre des walking simulator qu’il épouse découle directement de la robinsonnade, genre littéraire (et cinématographique) né du Robinson Crusoé de Daniel Defoe.

Élevant également le débat littéraire et ludique, Where the Water Tastes Like Wine brille de son côté comme un travail d’écriture collectif rare. Johnnemann Nordhagen, son auteur, a demandé à seize écrivains américains (célébrés dans le circuit du jeu indé) de produire une nouvelle en hommage aux mythes et traditions orales US. Le jeu d’aventure final repose sur un long travail de documentation plongeant dans l’Histoire américaine du début du XXe siècle. Notamment la Grande Dépression, la condition noire américaine et les grèves de mineurs réprimées dans le sang dans le Kentucky.

Enfin, Georg Hobmeier (créateur du récit d’exil syrien Path Out) détournait les FPS de consommation courante sur The Fallen pour créer un shooter « brechtien ». Dans une évocation du récent conflit ukrainien, chacune des balles tirées vers l’adversaire déclenche un ralenti commenté d’un résumé de la vie de sa victime, lu à voix haute. Bertolt Brecht a enlevé les effets romantiques du théâtre pour lui donner des vertus didactiques. The Fallen l’imite et transforme le médium avec un effet de distanciation.

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