Attachante Séraphine du film de Martin Provost, Yolande Moreau est au sommet de son art dans un personnage nature qu’elle a senti résonner en elle.
« Yolande ne joue pas. Elle est. Elle incarne. » Martin Provost n’a jamais imaginé d’autre interprète pour le personnage – authentique – de Séraphine Louis. Il a vu comme une évidence de confier à Yolande Moreau ce rôle de femme de ménage inculte, doublée d’une artiste naturelle au talent de peintre aussi grand qu’ignoré. Pour la comédienne belge, Séraphine est venue comme un cadeau inattendu. » Martin Provost habite dans le même coin que moi, nous étions voisins sans le savoir, se souvient-elle. Un jour, il a débarqué chez moi pour me parler de son projet, et de cette Séraphine Louis que je ne connaissais pas. Immédiatement, je me suis dit que c’était une histoire incroyable, un parcours inouï que celui de cette femme du début du XXe siècle, issue d’un milieu très modeste, et qui se met à peindre dans sa chambre, sans jamais avoir rien appris. Déjà même avant de voir ses tableaux, j’aimais cette femme-là! »
Pour la préparation du rôle, Moreau a lu ce qui avait été publié sur le personnage. Avec son réalisateur, elle a arpenté les rues de Senlis (bourg de la campagne situé non loin de Paris), et mis ses pas dans ceux de Séraphine » avec la plus grande pudeur« . » Nous avons retrouvé le couvent où elle a pu habiter, monté les escaliers de la maison où elle avait sa chambre, explique l’actrice, et petit à petit, comme dans une rêverie, je me suis rapprochée d’elle… »
Pour la mettre dans l’ambiance, Martin Provost lui a fait voir plusieurs films dont Last Days de Gus Van Sant, Mouchette de Robert Bresson, Thérèse d’Alain Cavalier. » Comme des pistes à suivre, des invitations » , commente celle qui a aussi appris des chants en latin pour les besoins du rôle. » Cela m’a rappelé ma période mystique, quand j’avais… 12 ans!« , sourit Yolande Moreau, dont le travail a aussi consisté à » apprendre la peinture, à avoir les gestes crédibles« .
Les toiles, elle ne les a pas d’emblée trouvées émouvantes. » Je me suis dit bêtement: je ne mettrais pas ça chez moi! Je voyais ça comme de la dentelle, une peinture besogneuse, avoue-t-elle rétrospectivement. J’étais au départ plus émue par le parcours de cette femme, sa peinture ne m’a vraiment touchée qu’après, à force de la voir et aussi du choc que j’ai ressenti au Musée Maillol (1), devant des tableaux que je n’avais jusqu’alors vus que sur papier. J’ai eu des frissons sur tout le corps… Etait-ce le résultat de l’approche de cette femme, à travers le film, cette rencontre avec elle, ou la pure force de sa peinture? Je ne saurais le dire… »
être simplement
Une des grandes beautés de Séraphine est de préserver, jusqu’à la fin, le mystère de son héroïne. » Il s’agissait de donner corps à Séraphine, littéralement, commente la comédienne, pas de l’expliquer. Je suis une interprète assez instinctive, qui n’aime pas trop les indications psychologiques. Même si on a réfléchi en amont, avant le tournage, devant la caméra il s’agit simplement d’être. Quand je regarde le film achevé, je vois bien qu’à certains moments je fabrique . On se dit parfois qu’on va être bon parce qu’on fait . Mais ce n’est pas toujours vrai. Ce sont souvent les moments qui nous échappent qui nous voient être bons, exister. Tellement de choses passent par le corps, l’expression physique, la façon dont Séraphine se tenait, marchait, comme isolée dans la bulle. Ce qui m’a beaucoup aidée, ce sont les chaussures. Elles pesaient une tonne! »
César 2004 de la meilleure actrice pour Quand la mer monte, qu’elle a coréalisé avec Gilles Porte et qui a aussi reçu les deux principaux prix du premier film (le César et le Delluc), Yolande Moreau comprend et exalte la modeste mais importante leçon que donne Séraphine Louis. » Elle exprime tout l’engagement de l’art, un engagement à corps perdu, dans une liberté totale, dans une honnêteté absolue par rapport à ce que l’on fait. Cela nous ramène à des interrogations sur nous-mêmes, sur notre engagement, sur ses raisons, sur sa nature. Séraphine a sans doute trouvé dans l’art une forme d’exutoire à une vie pas facile. Mais dans ses peintures, il y a la grâce. Elle-même l’attribuait à Dieu. Je suis plutôt agnostique mais je reconnais cette grâce. Quand je me demande pourquoi j’ai choisi d’être artiste, je me rappelle le moment où, adolescente, j’ai pris cette décision. Je disais, pour la justifier, que je ne voulais pas mourir. C’était très clair pour moi, j’avais 17 ans. Je ne le dis plus avec ces mots-là, mais mon but, que ce soit dans la réalisation ou en étant comédienne, c’est de raconter le monde dans lequel on vit, les malentendus, les gens, le siècle, en témoin. Séraphine l’a fait aussi, sans le savoir peut-être, de manière plus dangereuse en tout cas car elle était seule avec ses tableaux… »
Yolande Moreau n’est pas seule. Que ce soit sur scène, à l’écran ou dans la vie dite « réelle », elle dégage une vérité, une émotion, qui vous traverse et laisse en vous des traces. C’est une bien belle personne.
(1) Beau musée parisien exposant entre autres les « primitifs modernes » comme Séraphine Louis.
Rencontre Louis Danvers
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