Critique | Livres

Le livre de la semaine: Un amour, de Sara Mesa

4 / 5
© SONIA FRAGA

Sara Mesa, éditions Grasset

Un amour

208 pages

4 / 5
Anne-Lise Remacle Journaliste

Dans Un amour, roman rural en apnée, Sara Mesa place son héroïne face à la toxicité communautaire et à son incapacité à tisser des relations.

Sans qu’on ne connaisse au départ les circonstances exactes de son départ de la ville, Natalia, la trentaine, emménage de façon précipitée à La Escapa, minuscule localité rurale au paysage sec, bordée par le Glauco (montagne au patronyme de triste écho). Si elle se persuade qu’elle pourra de façon tranquille s’adonner à la traduction littéraire, les locaux s’étonnent un peu de sa décision saugrenue. À commencer par une jeune caissière qui ne rêve que de larguer les amarres de cet endroit trop étroit. Entre un propriétaire narquois créant une impression d’air vicié partout où il passe, une maison décatie où règnent les moustiques et Chienlit, un cabot particulièrement rétif à la domestication, Nat se sent rapidement aux aguets et foncièrement étrangère à ce nouveau territoire qu’elle aurait voulu accueillant. Une rencontre avec Piter, surnommé “le hippie” (tous ici se voient affublés d’un sobriquet immuable), lui fait espérer une amélioration malgré la tendance de ce nouvel ami à interférer de façon trop intrusive dans ses choix de vie. Malheur à ceux qui, à La Escapa, ne jouent pas le jeu de la communauté, qu’importe que les règles soient tacites et poreuses.

Perte de contrôle

Natalia n’est d’ailleurs pas au bout de ses déconvenues. Suite à un orage violent, son parquet est envahi par les eaux. Un voisin taiseux et considéré par tous avec méfiance, l’Allemand (avec qui elle n’interagissait jusque-là que pour acheter des légumes), propose de lui installer une gouttière mais son offre ne va pas sans un marché charnel, délivré de façon clinique. Voilà qui risque de faire vriller davantage encore la jeune femme, prête à se raccrocher au moindre signe chaleureux, fût-il davantage une tractation physiologique qu’une main tendue à une nouvelle arrivée…

Après Quatre par quatre (conte retors d’un pensionnat sous dictature paru chez Rivages en 2015) ou plus encore Cicatrice (dissection au cordeau des rapports amoureux à l’ère des réseaux, Rivages, 2017), Sara Mesa se fait encore ici maîtresse incontestée de la tension et des relations aiguillonnées par les faux-semblants, mais aussi semeuse de zones grises, sans jugement manichéen. Son héroïne développe une façon d’être au monde obsessionnelle. Tout, autour d’elle -de la langue à l’environnement, entre autres une maison abandonnée portant les stigmates tagués “Châtiment” et “Honte”- resserre ses rets, la laissant en état d’asphyxie émotionnelle. Rongée par le doute, sa vision de son amant Andreas est fantasmatique et brouillée, dictée par une hiérarchie où elle lui serait supérieure intellectuellement. Le style du roman, dans une économie de moyens et sans détours, ne permet pas au lecteur de se réfugier loin de ce qui se joue: sa collision avec la solitude constante et épidermique de Natalia est magistrale.

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