Morale d’acier
QUI A DIT QUE LES SUITES ÉTAIENT TOUJOURS MOINS BONNES QUE L’ORIGINAL? UN AN APRÈS LEUR DÉBUT, ROMÉO ELVIS ET LE MOTEL SORTENT UN MORALE 2, TOUT AUSSI ÉPATANT.
Roméo Elvis x Le Motel
« Morale 2 »
DISTRIBUÉ PAR DARING MUSIC/UNIVERSAL. EN CONCERT E.A. CE 25/03 AU BOTA, BRUXELLES; LE 01/04 À L’EDEN, CHARLEROI; LE 13/04 AU REFLEKTOR, LIÈGE, ETC.
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C’est peu dire qu’on a glosé sur le rap belge en 2016. Après des années de disette, la scène locale a semblé tout à coup multiplier les coups d’éclat. Du disque d’or français de Damso, parrainé par la superstar Booba, à la hype Hamza qui déborda jusqu’à trouver écho sur le webzine américain Pitchfork. Décomplexée par le succès mainstream de Stromae, toute une nouvelle génération a ainsi commencé à secouer le cocotier rap, de la Smala à la bande de L’Or du Commun. Mieux: pour une fois, chacun semble tirer dans le même sens, jouant l’unité plutôt que la concurrence stérile. On pense encore au duo JeanJass & Caballero et leur excellent EP Double Hélice. Ou encore à Roméo Elvis et son comparse Le Motel.
L’an dernier, à la même époque, le binôme sortait Morale. Un premier EP particulièrement bien torché, au point de trouver écho dans l’Hexagone. Lors de la dernière cérémonie des Red Bull Elektropedia Awards, Roméo Elvis et son compère beatmaker repartaient même avec trois prix (dont celui du meilleur album). Un triomphe qui ne manquera pas de laisser les médias flamands perplexes: mais qui est donc ce Roméo Elvis?
Un an plus tard, le duo donne déjà une suite à Morale. Signe supplémentaire de la popularité de la nouvelle scène rap (il n’y a plus que la RTBF pour traîner encore le pas), le disque est distribué cette fois par la major Universal. Si le phénomène prend donc de l’ampleur, l’état d’esprit, par contre, n’a pas changé. Humour de sale ket et second degré enfumé mènent les échanges, cédant volontiers à l’autocélébration semi-sérieuse (Nappeux, Sabena), sans que cela n’empêche les confessions (Les hommes ne pleurent pas) ou les accents plus angoissés (à propos des acouphènes, « J’espère percer avant mon tympan », sur Ma tête).
Si elle ne surprend plus, l’association entre le rappeur du « 16-30 » (Linkebeek, dans la place) et Le Motel, alias Fabian Leclercq, reste toujours aussi efficace et originale. Particulièrement quand ils replongent dans le spleen urbain et jazzy, déjà éprouvé sur le premier épisode Morale. Voir notamment Bébé aime la drogue, l’excellent Diable, ou encore la ballade au ralenti J’ai vu (avec Angèle, soeur du rappeur, en guest). Adepte du refrain qui fait mouche, le duo s’amuse aussi à sortir de sa zone de confort à l’une ou l’autre reprise. Par exemple quand il invite Jan Paternoster de Black Box Revelation sur Agora, ou que Roméo Elvis se met à jouer les chanteurs de charme sur Drôle de question, mélodie outrageusement poppy, qui passerait difficilement telle quelle si elle ne tenait de la blague assumée. L’humour, particulièrement dans le hip-hop belge, a toujours été un exercice délicat à pratiquer: façon Roméo Elvis, il est décomplexé et déconneur. Au passage, il permet de désamorcer toute tentative de prise au sérieux, masquant ce que le propos peut avoir parfois de bien plus torturé et ambigu -appelez ça le cool triste.
LAURENT HOEBRECHTS
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